L'affaire du départ du patron du FLN peut en cacher une autre… et une autre… et une autre!
Parmi les différents hérauts de l'hypothétique 5e mandat d'Abdelaziz Bouteflika, la voix de Djamel Ould Abbes était certainement la plus fracassante. Celui qui comparait sa longévité, au cœur du pouvoir, à «un olivier de Kabylie» et comptait fêter ses 100 ans parmi ses militants a succombé à une mort politique subite. Et ô combien prématurée. À seulement 84 ans, la fin de sa carrière est actée par un certificat médical attestant de soucis de santé incompatibles avec l'exercice de ses fonctions à la tête du Front de libération nationale (FLN), le parti historique algérien.
Si la couverture médiatique devait servir de baromètre, peu d'Algériens croyaient, cette semaine, à l'excuse «médicale» produite par le désormais ex-chef du FLN. Dans un pays où le président de la République est arrimé depuis 5 ans à son fauteuil roulant, une démission pour raisons de santé a, en effet, de quoi surprendre.
Le champ lexical des médias algériens traduisait ainsi ce scepticisme, trouvant écho sur les réseaux sociaux: Ould Abbes serait ainsi, «poussé à la porte» selon TSA, «éjecté», pour Algérie patriotique. Des conclusions se démarquant nettement des qualificatifs plus neutres, privilégiés par les médias internationaux, préférant parler simplement de «démission». Une position prudente, tant l'imbroglio algérien paraît incompréhensible vu de l'extérieur… et de l'intérieur aussi. De fait, même les cadres du parti avouaient ne pas en savoir davantage, en sous-tendant que «la vérité» se trouvait ailleurs.
«Ce que l'on peut confirmer, c'est que M. Ould Abbes est tombé malade et qu'il s'est dirigé vers l'hôpital. Au-delà de ça, on ne connaît pas la vérité», Mahmoud Guemmama, membre du bureau politique du FLN dans une déclaration à Ennahar TV.
Coup de théâtre, samedi après-midi. Alors que la démission avait été annoncée par l'agence de presse officielle, citant une source officielle, l'information est démentie par un communiqué du FLN, affirmant que «le secrétaire général est en période de repos (de 45 jours) après un problème de santé, qu'il n'a accordé aucune déclaration aux médias, que tout ce qui a été rapporté en son nom est dénué de tout fondement, qu'il dément, enfin, catégoriquement toutes les rumeurs qui ont circulé à ce sujet».
L'agence de presse officielle, le premier média francophone du pays, TSA, ou le quotidien Alwatan, sont ainsi réduits à des sites satiriques ou des vecteurs de fake news, dans la bouche de « l'ex-futur ancien » patron du FLN… ou de quelques fidèles qui auraient concocté le communiqué pour brouiller les cartes ou s'aménager un sursis pour mieux négocier l'après Ould Abbes.
Pour ce cadre du FLN, s'exprimant dimanche 18 en conférence de presse, la direction du parti se réunira bientôt pour décider des mesures à prendre. En attendant, le secrétaire général est en télétravail, puisqu'il exerce ses activités depuis… sa maison.
Yahia Zoubir, professeur de relations internationales à la KEDGE Business school France, ne croit pas plus à ce démenti qu'il n'avait cru à la démission pour des raisons de santé. Pour lui, il s'agit bel et bien d'une éviction.
«Ils lui ont même dicté la manière de justifier son éviction», précise Yahia Zoubir à Sputnik France.
«Ils», ce sont les décideurs, un conglomérat de faiseurs de rois, rassemblant l'armée, le clan présidentiel et autres cercles d'influence dans l'administration et les milieux d'affaires. Depuis l'indépendance, le véritable titulaire du pouvoir est l'inconnue que résout, périodiquement, cette équation.
En l'occurrence, et à en croire Djamel Ould Abbes lui-même, les ordres venaient d'en haut… de très haut. En mai dernier, il révélait lui-même l'identité de la seule personne capable de lui passer la corde au cou.
Difficile de savoir, en revanche, par quels biais le Président Bouteflika aurait intimé cet ordre. Gravement diminué depuis qu'il a été victime d'un AVC en avril 2013, sa dernière prise de parole en public remonte à mai 2012. Depuis, et quoique des sources affirment qu'il arrive à travailler jusqu'à quelques heures par jour, c'est son frère Saïd, qui assurerait, en partie, «la gestion d'affaires». Était-ce lui qui passa, le 14 novembre, ce fameux coup de fil à Ould Abbas, lui annonçant la fin des haricots et mettant fin à ses «dérapages»? Loin de sanctionner une erreur politique en particulier, le limogeage vient le récompenser pour « l'ensemble de son œuvre ».
Le dernier en date, une passe d'armes entre le ministre de la Justice, Tayeb Louh, et le Premier ministre Ahmed Ouyahia, sur laquelle s'est greffée Djamel Ould Abbes en apportant son soutien au second. Une position pour le moins surprenante au vu de leurs désaccords étalés sur la place publique. Alors que ses motivations demeurent inconnues, cette prise de position aurait été peu appréciée en haut lieu…
«Certains souhaiteraient pousser Ouyahia à la succession de Bouteflika. Ils voient en lui le plus compétent, le plus à même de diriger le pays, mais aussi, de garantir les intérêts du système», explique Yahia Zoubir.
Dans un duel opposant Tayeb Louh, un fidèle de Bouteflika, à Ahmed Ouyahia, qu'on dit plutôt proche de l'ancien chef des renseignements Mohamed Médiène, alias le Général Toufik, Ould Abbes aurait, selon cette théorie, payé les pots cassés… après avoir mis en péril un plan en préparation. Celui d'un passage du flambeau, à terme, à Tayeb Louh, que prévoit le clan présidentiel. L'hypothèse est affirmée par l'ancien diplomate algérien, Mohamed Larbi Zitout, sur Al Hiwar TV. Joint par Sputnik, le porte-parole de l'UDS (Union démocratique et sociale), Karim Tabbou, estime que
«Le départ de Bouteflika est une question de temps. Dès lors, les deux têtes actuellement aux commandes, le frère du Président et le chef des armées, Ahmed Gaïd-Salah, voudraient d'abord, et coûte que coûte, aller aux élections avec Bouteflika. Pour le second, c'est un fidèle du Président, auquel il doit son ascension.
Le frère du Président, quant à lui, sait qu'en fin de mandat, il n'est pas en bonne position pour négocier l'après-Bouteflika. D'où la volonté de passer le cap des élections pour imposer, ensuite, quelqu'un d'autre. Un fidèle de l'actuel clan présidentiel et qui rencontrera l'assentiment des autres décideurs du système. Le remue-ménage observé ces derniers temps s'explique par la nécessité de s'assurer un cinquième mandat sans embûche.»
… quitte à lancer des avertissements aux réfractaires au cinquième mandat. L'inculpation, le 14 octobre dernier, de cinq généraux algériens, pour «corruption» et «biens mal acquis», et leur élargissement «sur ordre du Président», trois semaines plus tard, pourraient être interprétés dans ce sens, selon Yahia Zoubir.
Dans cette atmosphère électrique, où se cristallisent les enjeux d'un système en quête de récidive, le timing des annonces acquiert souvent une importance décisive. Quoiqu'elle fût suspectée par nombre d'Algériens, l'annonce d'un cinquième mandat a fait l'objet d'une préparation psychologique minutieuse. D'abord, avec une supplique de 700.000 militants du FLN, «implorant» le Président de «poursuivre sa mission» à la tête du pays. Deux jours plus tard, ce fut une sortie publique du Président après une très longue absence. Un remaniement ministériel, annoncé quelques jours plus tôt, et dont l'opinion peinait à déchiffrer le sens, portait un seul message: Bouteflika est bien aux commandes. Depuis, les appels au rempilage se sont succédé.
C'est probablement à une obligation de respect de timing qu'aurait manqué l'ex-secrétaire général, en déclarant à la surprise générale, un 28 octobre 2018, la candidature du Président algérien à un cinquième mandat… qu'il n'a pas encore sollicité. Les médias internationaux, peu habitués au style du patron du FLN, se saisissent de l'information, qui fera le tour du monde.
«Mauvais timing surtout si l'on considère l'effet sur les Algériens du spectacle affligeant de Bouteflika, en fauteuil roulant et attaché par une ceinture, quelques jours plus tard, à l'occasion de la fête nationale du 1er novembre. La déclaration de Ould Abbes était venue également préjuger de l'issue des négociations engagées au sommet de l'État. D'ailleurs, après cette sortie, certains n'ont pas hésité à modérer leur soutien.»
Interrogé au sujet du 5e mandat, Amara Benyounès, président du Mouvement populaire algérien (MPA) a appelé «le président de la République [à] prendre sa décision en son âme et conscience et en son intimité la plus profonde»…
#3 Affaire Bouhadja et mouvements d'humeur au sein du FLN
Le scandale de l'affaire Saïd Bouhadja, qui aboutit au déboulonnement manu catanae («par la force du cadenas») du président de l'Assemblée, sans raison valable, a été la fissure de trop. Des personnalités politiques ainsi qu'un certain nombre d'organisations d'anciens combattants lui ont apporté leur soutien, alors qu'il affrontait une véritable «cabale» menée par des députés de l'Assemblée populaire nationale. Ould Abbes qui dirigeait la fronde, avait alors invité cette figure respectée du parti à partir «dans la dignité»…
«Les scandales qui ont défrayé la chronique, ces derniers mois, et qui touchent les plus hautes autorités du pays sont révélateurs de luttes au sommet du pouvoir. Chaque clan et chaque groupe tente d'imposer ses choix dans un jeu politique complexe et opaque. "Les grands électeurs" ont engagé la bataille de succession, c'est le premier tour d'une élection unique dans les annales algériennes, dans une République où l'essentiel du jeu politique se déroule loin du public. Une fois que les compromis sont faits et les choix admis de tous les décideurs, le reste n'est que carnaval», a résumé Karim Tabbou.