Sans surprise, le nouveau gouvernement tunisien a obtenu, lundi 12 novembre au soir, la confiance du Parlement. Sans être particulièrement houleuse, la séance a néanmoins vu la trentaine de députés de l'opposition présents décocher leurs flèches du Parthe à l'endroit du nouveau gouvernement. Domination des islamistes d'Ennahda, insuffisance du bilan gouvernemental, manœuvres politiciennes à visées électoralistes et finalement sionisme présumé du nouveau ministre du Tourisme… Autant de cartons rouges brandis, sans succès, par les détracteurs du jeune Chef du gouvernement… et de ses nouveaux amis d'Ennahda.
Une «manœuvre politicienne» profitant à Ennahda
S'il a un quelconque mérite, le remaniement approuvé lundi par le parlement a réussi à introduire une dose de cohérence au sein de l'équipe gouvernementale et à mettre fin à la crise politique qui secoue le pays depuis plusieurs mois. Depuis l'été 2016, date de l'investiture du premier gouvernement de Youssef Chahed, choisi et propulsé par le Président Béji-Caïd Essebsi, le paysage politique tunisien a subi un véritable chamboulement.
Sorti vainqueur des élections de 2014, le parti Nidaa Tounes, fondé par Caïd-Essebsi et «légué» ensuite à son propre fils, périclitait à vue d'œil. À mesure que des dissensions internes le minaient, les démissions et défections s'enchaînaient, réduisant sa masse parlementaire comme peau de chagrin. La rupture a vite été consommée avec le chef du gouvernement, qui a rassemblé autour de lui une nouvelle majorité, composée de la masse des mécontents… avec la bénédiction du parti islamiste Ennahda, pour former un gouvernement «Nidaa-free».
Du tourisme parlementaire… au ministre du Tourisme
Les Nidaïstes ont fustigé le phénomène du «tourisme parlementaire», en ce qu'il a bousculé la donne des élections de 2014 et trahi, dans un sens, la volonté populaire. Le tourisme est tout aussi rédhibitoire pour le Front populaire. Cette alliance de partis de gauche, nec plus ultra de l'antisionisme, a dirigé ses foudres à l'endroit du nouveau ministre du Tourisme, René Trabelsi. En cause, son absence de qualification universitaire, sa citation dans des affaires judiciaires, mais surtout, ses liens présumés avec Israël.
La nomination de ce voyagiste israélite natif de Djerba, où se concentre la grande majorité des quelque 1.500 Juifs de Tunisie, serait davantage, à en croire les observateurs de la scène politique tunisienne, un gage d'ouverture de la gouvernance tunisienne à l'attention de ses partenaires étrangers. Pari gagné, à croire le formidable écho que sa nomination rencontra dans la presse internationale. Une «discrimination positive» chassant l'autre, la parité a été malmenée dans le nouveau gouvernement.
Aussi bien dans l'arène parlementaire que sur les réseaux sociaux, les détracteurs de Trabelsi prirent soin d'exclure sa confession de leur champ de tir. C'est plutôt sa «normalisation avec l'État sioniste» qui est en jeu, voire son «sionisme notoire».
«Nous n'avons pas de problème avec les Juifs […] Nous ne faisons pas de distinction entre les Tunisiens sur la base de leur religion, leur couleur de peau ni de leur origine […] Nous ne sommes pas contre les Juifs, mais contre une entité qui s'est emparé, de force, de la terre de Palestine», a précisé Zouhair Maghzaoui, du Front populaire, à l'occasion de son intervention pendant la séance plénière.
À l'appui de cette position, partagée par d'autres députés de l'opposition, un certain nombre de faits, comme des interventions répétées sur la télévision israélienne ou son appel à faciliter l'accueil de touristes israéliens à l'occasion du pèlerinage juif de la Ghriba, qui se tient chaque année dans la synagogue éponyme de Djerba. L'assertion de quelques sources israéliennes affirmant que l'intéressé détient la nationalité israélienne a obligé celui-ci à apporter un démenti public.
La nomination de Trabelsi a finalement été approuvée avec 127 voix «pour», 25 «contre», et une seule abstention. Un score «honorable», qui s'inscrit dans la moyenne inférieure des votes de confiance accordés aux autres membres du gouvernement: De 115 à 132 voix, sur 161 présents, sur un total de 217. L'arithmétique parlementaire, qui a gouverné jusqu'au timing du remaniement, l'a imposé envers et malgré la polémique.
Dimanche, un rassemblement était organisé au centre-ville de Tunis, pour protester contre la normalisation avec «l'ennemi sioniste», et plus particulièrement, contre la nomination du «sioniste René Trabelsi».
Cap sur 2019?
Débarrassé des «tirs amis» qu'il essuyait de ses anciens collègues de Nidaa Tounes, le chef du gouvernement se trouve désormais à la tête d'une majorité gouvernementale confortable, à défaut d'être politiquement homogène.
Si le secret de Polichinelle dit vrai sur ses ambitions présidentielles, Chahed devrait pouvoir se présenter devant les Tunisiens, dans un an, avec un bilan dont il assumera, pleinement, les succès… et les tares. Au nombre de ceux-ci, son pacte avec Ennahda, lequel pourrait le priver d'un segment électoral conséquent se refusant à croire au revirement civil et démocratique du parti islamiste. Le même segment qui se sentit «trahi» par le consensus associant Ennahda au pouvoir, au lendemain des élections de 2014, et qui ne serait pas prêt à récidiver.