«C'est un jour historique pour les parlementaires internationaux! C'est la première fois que des parlementaires du Royaume-Uni, de France, d'Allemagne, d'Italie et des Pays-Bas, se sont réunis en soutien au peuple yéménite»,
a déclaré jeudi 08 novembre, sur un ton solennel, Keith Vaz, député travailliste et ancien ministre d'État britannique chargé de l'Europe. Et pour cause, c'est un sujet de Sa Majesté originaire de Saana, au Yémen, qui prononce ces mots sous les Ors du Palais Bourbon.
C'est en effet au cœur du pouvoir législatif français que le député de la majorité Sébastien Nadot a reçu une quinzaine de ses homologues européens afin de signer «l'appel de Paris».
Face à une situation qu'ils «supportent plus» et l'«hécatombe yéménite», les députés espèrent infléchir les positions de leurs gouvernements respectifs, tout particulièrement concernant les livraisons d'armes à Riyad.
«Le conflit a causé des pertes inacceptables d'au moins 30.000 civils et occasionné une situation d'urgence humanitaire pour désormais 22 millions de yéménites», détaille l'appel.
Une précision loin d'être négligeable. Lors de la conférence qui s'est tenue tout au long de l'après-midi à l'Assemblée, les parlementaires ont vu défiler à la tribune aussi bien des membres d'ONG internationales (Amnesty International, Human Right Watch) que yéménites, ainsi qu'un représentant du mouvement Houthi Ansar Allah (Partisans de Dieu), en passant par le président du groupe d'experts mandaté par le Conseil onusien des droits de l'homme, Kamel Jendoubi.
Une pluralité d'acteurs de terrain qui a provoqué quelques vifs échanges, notamment dans le cas des représentants Houthis, «confrontés à des ONG qui n'ont pas mâché leurs mots» confie à Sputnik Sébastien Nadot, qui évoque des diplomates saoudiens et émiratis présents dans la salle.
Point d'orgue de cette rencontre interparlementaire, une visioconférence avec la chambre des députés yéménite à Sanaa: «ils avaient ouvert une session extraordinaire pour pouvoir échanger avec nous, il y avait plus de cent députés», précise le député.
«Si on pense qu'on peut se passer de travailler avec toutes les parties, c'est quand même un problème.»
Une approche qu'il juge capitale pour parvenir à une paix durable. En effet, si Sébastien Nadot se réjouit de l'échéance de 30 jours, fixée le 30 octobre par le secrétaire d'État américain à la Défense, James Mattis, afin que Houthis et coalisés sous commandement saoudien mettent un terme au conflit yéménite, le député regrette que les Américains n'aient pas fait l'effort de prendre contact avec les différents protagonistes du conflit sur le terrain.
«J'ai discuté avec tous les groupes politiques au Yémen. Les Américains, eux, veulent faire la paix au Yémen sans les yéménites.»
S'il souhaite plus que tout un cessez-le-feu, le député français redoute toutefois que celui-ci ne s'inscrive pas dans la durée s'il est obtenu sous la pression de Washington.
«S'ils y parviennent, très bien, fonçons. Mais, les précédentes interventions américaines au Moyen-Orient ont quand même montré qu'ils avaient une certaine méconnaissance dans l'approche de ce dont on a besoin pour amener une paix pérenne.»
Sébastien Nadot souligne par ailleurs l'engagement dans la voix de la paix au Yémen de plusieurs parlementaires américains, dont il espère le prochain soutien à «l'appel de Paris», comme le démocrate Ro Khanna. Fraîchement réélu avec 72,8% des voix, celui-ci a dédié l'un de ses premiers tweets à la crise au Yémen.
Pour autant, l'élu français garde un œil inquiet sur les récentes élections aux États-Unis. En effet, les choses commençaient à évoluer positivement avant la redistribution des cartes à la chambre des Représentants. Les résultats des élections de mid-terms auront-elles un impact sur la position de Washington vis-à-vis du conflit yéménite? «Il est un peu tôt pour le savoir», tempère Sébastien Nadot, qui précise qu'outre-Atlantique la question de la guerre au Yémen va bien au-delà des clivages politiques classiques.
En plus de la signature de ces membres de la chambre des Représentants, le député français attend également celle d'une députée Canadienne. Pour autant, Sébastien Nadot, ne se fait pas d'illusions quant à la concrétisation immédiate de cet appel à la paix au Yémen.
«Soyons clairs, tout le monde ne souhaite pas une paix heureuse dans les mois qui viennent. C'est un fait. Mais une fois qu'on a intégré ça, nous parlementaires qui sommes ici et ceux qui vont nous rejoindre, on a une responsabilité: c'est qu'en mettant une pression suffisamment forte, on peut quand même faire bouger les lignes.»
Un point qui fut au centre des discussions durant l'après-midi. «Nous ne pouvons pas apporter la paix avec des bombes», insiste la députée socialiste néerlandaise Sadet Karabulut. Son homologue italienne, Lia Quartapelle, souligne ainsi l'«exemple Allemand» à suivre en matière de restrictions sur les livraisons d'armes à Ryad. Cette députée du Parti démocrate insiste particulièrement sur la nécessité des Européens d'être unis dans la concrétisation d'une telle initiative.
«Prendre ensemble un engagement sur le cessez-le-feu, sur le soutien humanitaire, sur l'interdiction des armes, est très important. […] L'initiative de Sébastien Nadot, aujourd'hui, nous renforce dans notre plaidoyer en faveur du respect du droit humanitaire, des droits de l'homme et de la paix au Yémen,» a déclaré Lia Quartapelle aux journalistes.
Inutile de préciser que Sébastien Nadot n'a pas attendu l'affaire Khashoggi pour faire de la paix au Yémen son cheval de bataille. En mars, il demandait déjà l'ouverture d'une commission d'enquête concernant le rôle de la France au Yémen, notamment concernant les armes exportées par Paris vers la péninsule arabique, pour l'heure sans succès.
«Pour l'instant, le cheminement parlementaire ne permet pas que je puisse obtenir ce que je souhaite», concède-t-il aux journalistes. Pour l'élu, qui ne désespère pas de parvenir à ses fins, le Parlement doit avoir son mot à dire sur les exportations d'armes et «ne plus se contenter d'un simple rapport sur les exportations d'armes fournis par le ministère de la Défense.»
«Ce que je vois, c'est que j'ai déposé une commission d'enquête pour avoir des informations précises, qui questionnent sur la vie de pauvres gamins qui sont en train de mourir et dans le même temps, dans l'affaire Benalla, on ouvre en 24 heures une commission d'enquête — alors que la Justice fait déjà son travail — et moi il va me falloir encore des mois et des mois. Ça questionne très fortement…»
Aujourd'hui, l'engagement de Sébastien Nadot, en faveur de la paix au Yémen n'est plus un cas isolé. À Bruxelles, l'eurodéputée Patricia Lalonde se mobilise également. En juin dernier, plusieurs députés français avaient également effectué un discret voyage dans ce pays oublié du Golfe persique.