Les commémorations du centenaire de la Première guerre mondiale touchent à leur fin, avec le 100ème anniversaire de l'armistice, le 11 novembre prochain. Une date qui fait débat depuis que l'Élysée a annoncé la souhaiter sans «expression trop militaires», préférant mettre l'accent sur la paix retrouvée entre nations européennes et la fin d'un carnage qui, en 1.567 jours, a décimé 18,6 millions d'hommes.
Résultat, «pas de défilé ou de parade militaire», qui plus est avec Angela Merkel comme invitée phare d'une cérémonie qui rassemblera dans la capitale 60 chefs d'État. Emmanuel Macron, quant à lui, n'assistera pas à la cérémonie en hommage aux militaires français aux Invalides. Un hommage qui sera rendu avant tout rendu aux Poilus morts pour la France.
Il faut dire que la France a payé cher cette victoire sur l'Allemagne, avec 1.397.800 soldats et 300.000 civils tués, sans oublier les 4.266.000 blessés et mutilés, soient les plus lourdes pertes des forces de l'Entente, derrière la Russie. Certains iront jusqu'à évoquer dans leurs éditos un «déni d'altérité», un «blasphème mémoriel énorme».
«Dire que leur combat n'avait pas de sens, ce qui est le cas lorsqu'on refuse d'évoquer la victoire, équivaut à traiter ces hommes d'idiots. Ils méritent mieux que cela»,
souligne sur son blog Michel Goya. D'autres, au contraire, comme l'historien Nicolas Offenstadt, pointent du doigt l'«ultra-patriotisme» que représenterait alors une parade militaire. Au micro de RTL ce spécialiste de la Première guerre mondiale, estime que depuis 2014 «on n'a pas cessé de commémorer les soldats et l'armée française». Si «les soldats sont, évidemment, au cœur de la commémoration», selon lui «il ne faut pas oublier que les combattants sont revenus pacifistes de la guerre et même antimilitaristes.»
Au milieu de tout cela, l'Élysée dénonce une «caricature», soulignant «l'itinérance mémorielle» d'Emmanuel Macron qui, durant une semaine, se rendra le long de l'ancienne ligne de front et que —même si le Président n'y sera pas- on rendra hommage aux Maréchaux aux Invalides.
En somme, faut-il commémorer la victoire ou la paix? En ces mots fut synthétisé le débat.
Pour l'historien Alexandre Jevakhoff, qui ne souhaite pas rentrer dans la polémique, il est important de «tirer les conséquences, cent ans après» d'une telle tragédie, mettant en garde contre toute tentation de «simplification» d'une situation qui ne l'était pas.
«Les évènements de 1918, il faut les appréhender dans leur complexité et c'est de ce point de vue là une célébration qui doit ne pas se concentrer sur un seul sujet, mais bien avoir en perspective la tragédie, mais aussi la victoire et surtout ne pas faire d'anachronisme politique ou historique.»
«Tirer les leçons», c'est à vrai dire «pour cela que nous commémorerons ce qui a été l'épreuve la plus terrible que notre pays a traversé dans son histoire», expliquait le Général Irastorza, président de la Mission du Centenaire à L'Opinion.
«Lorsqu'en 1912, la Russie célébrait le centenaire de la guerre qui l'a opposée à la France, lorsque l'Empereur Nicolas II a invité une délégation française […] il célébrait autant la paix et l'alliance franco-russe que les évènements militaires de 1812.»
Qu'en est-il cependant des combattants, ces «civils que l'on avait armés»? Au-delà du fait que les historiens se soient mutuellement accusés de voir l'Histoire «de biais», de vouloir la «réécrire», l'histoire serait-elle l'otage du politique? Les convenances et le politiquement correct l'emporteraient-elles aujourd'hui sur les faits historiques?
«Cela a toujours été comme cela. Il faut simplement que chacun reste dans son camp» répond Alexandre Jevakhoff. «Le politique fait de la politique, l'historien fait de l'histoire et il ne faut absolument pas mélanger les genres», ajoute-t-il évoquant une précédente interview à ce sujet.
«J'ai été frappé par le fait qu'aujourd'hui, l'Histoire était l'un des domaines où les idéologies et les clivages idéologiques étaient les plus marqués. Des clivages qui n'étaient pas des clivages droite-gauche, mais des clivages qui obéissaient à des matrices plus complexes.»
Une politisation de l'Histoire qui s'était notamment ressentie lors du bicentenaire des campagnes napoléoniennes, tout particulièrement en 2005. Cette année-là, le Président Jacques Chirac et son gouvernement boycottent le 200e anniversaire de la victoire de Napoléon à Austerlitz, sur fond de polémique autour du rétablissement de l'esclavage par l'Empereur. Six mois auparavant, Paris envoyait son porte-avions, le Charles de Gaulle, à Portsmouth pour participer à une revue navale célébrant la victoire britannique sur la flotte franco-espagnole à Trafalgar.
Un paradoxe mémoriel ubuesque, qui porte à croire que la France n'aimerait pas célébrer ses victoires, ou plutôt que ses dirigeants ont un rapport pour le moins ambigu avec l'Histoire de leur pays. Un avis que ne partage pas notre intervenant:
«Non, la France aime célébrer ses victoires et pas seulement sur les terrains de foot, rassurez-vous. […] la France a eu des victoires, elle a eu des défaites, il faut savoir regarder les uns comme les autres, les yeux grands ouverts, et ne pas avoir de honte à célébrer les uns ou les autres.»
Le potentiel de polémiques autour de ces commémorations n'est cependant pas épuisé. Il reste notamment à savoir quelle place Emmanuel Macron pourrait réserver aux mutins dans l'un de ses discours, eux que justement Philippe Pétain avait tenu à réprimer avec parcimonie, lui qui s'était élevé contre la doctrine de l'attaque à outrance qui coûta la vie à tant de conscrits, auxquels le Président veut aujourd'hui tout particulièrement rendre hommage.