Les Kurdes, qui possèdent une belle image dans les pays occidentaux, seraient à l'origine de fortes pressions, voire d'exactions envers les communautés chrétiennes. Entre mythe et réalité, le vicaire général de l'ordinariat des catholiques orientaux en France et le directeur général de l'Œuvre d'Orient depuis 2010, Mgr Pascal Gollnisch, livre un regard sur cette autre actualité d'Irak et Syrie.
Avant d'entrer dans le vif du sujet, pourriez-vous me préciser les chiffres démographiques des chrétiens au Proche et au Moyen-Orient? Et particulièrement en Syrie et en Irak, en 2018?
Mgr Gollnisch: «La réponse est difficile, parce qu'il n'y a pas d'instrument sur le terrain qui permettent de savoir quel est le nombre des uns ou des autres. Au Liban, les chrétiens forment environ 40% de la population. En Égypte, on dit qu'ils sont environ 10 millions. Mais en Irak, ils représentent à peu près 3% de la population [1,2 million, ndlr] et en Syrie entre 4 et 5% de la population [0,8 million, ndlr]. Mais comme vous l'imaginez bien, nous n'avons pas beaucoup de moyens de faire des calculs très précis sur des terrains qui sont encore extrêmement fragiles.»
Sputnik France: Le sort des communautés chrétiennes est-il différent en Syrie et en Irak? Et si oui, en quoi?
Sputnik France: Quelle est la situation des chrétiens d'Orient dans le nord de la Syrie, dans une zone qu'on peut appeler de manière non officielle, le Kurdistan syrien, Rojava?
Or, une partie de la population kurde locale voudrait finalement escamoter tout ce qui est arabophone. Par conséquent, il y a des pressions de certains groupes kurdes par rapport aux chrétiens. Il y a des écoles chrétiennes qui sont saccagées. Il y a parfois des tirs de Kalachnikov devant et sur les évêchés. Il y a donc une sorte de pression. Je ne dis pas que ce sont tous les Kurdes. Mais certains Kurdes veulent exercer une pression pour que les chrétiens finalement quittent la zone et que cela devienne une zone exclusivement kurde. Ce qui serait d'une grande injustice, car les Kurdes sont d'implantations récentes et sont loin d'être majoritaires dans cette zone.»
Sputnik France: Cette pression kurde face aux communautés chrétiennes est-elle organisée et voulue par les dirigeants ou seulement à l'initiative de quelques factions?
Mgr Gollnisch: «Je pense qu'à la fois elles sont organisées et en même temps elles sont le fait d'un certain nombre de factions. Mais il appartient aux autorités kurdes locales d'assurer la sécurité des chrétiens. Donc, factions ou pas factions, de toute façon la responsabilité doit être assumée par les autorités kurdes. Donc c'est à elles de ne pas commettre d'atteinte à la vie ou aux biens des chrétiens, mais d'empêcher que cela soit commis et donc d'empêcher des factions de le faire. Sans cela, ce ne sont plus des autorités.»
Sputnik France: Quel est l'objectif de cette pression? Est-elle politique ou religieuse?
On sait bien que c'est cela que craint la Turquie. En Syrie, cela n'a pas de raison d'être. Autant cela peut peut-être se discuter dans le sud de la Turquie, au nord de l'Irak et même en Iran, où il y a effectivement des régions d'implantations kurdes très anciennes et majoritaires localement. En Syrie, ce n'est pas le cas, donc il n'y a aucune raison qu'il y ait un Kurdistan syrien. Nous nous élevons contre cette appellation.»
Sputnik France: La présence des Occidentaux, essentiellement des troupes américaines et françaises dans ces zones, évite-t-elle aux factions kurdes des YPG d'oppresser les communautés chrétiennes?
En revanche, de la part des Américains, nous le savons, le souci des États-Unis est de combattre Daech*. Mais, et ce n'est pas la première fois, les États-Unis font alliance avec des groupes qui après cela peuvent se retourner contre ce qu'on essaierait de mettre en place. C'est-à-dire que le soutien unilatéral kurde, s'il se prolonge, finira finalement par se retourner contre les chrétiens. Et malheureusement, les Américains n'ont pas toujours tiré les leçons des expériences malheureuses qui ont été les leurs.»
Sputnik France: Cette zone est devenue depuis quelques semaines le cœur du nouvel affrontement des puissances locales, régionales et mondiales. Est-ce que vous craignez que les chrétiens qui vivent dans cette région soient de nouveau, passez-moi l'expression, des «victimes collatérales»?
Ils veulent insécuriser les conditions de présence des chrétiens pour les pousser au départ.»
Sputnik France: Qui dit État faible, dit désir d'autonomie. Existe-t-il une volonté d'indépendance des communautés chrétiennes vis-à-vis des gouvernements centraux en Syrie et en Irak?
Si tous les musulmans sont des égorgeurs et égorgent les chrétiens qui vivent-là, il n'y a pas d'avenir pour les chrétiens d'Orient. Il faut qu'on se cotise pour leur offrir des billets d'avion et qu'ils quittent la zone.
Si nous croyons qu'il y a un avenir possible pour les chrétiens d'Orient, c'est parce que nous croyons aussi et que nous savons qu'il y a des musulmans qui souhaitent que les chrétiens restent et qu'ils veulent faire avancer leurs pays et les moderniser. Il n'y a aucune raison que les pays du Moyen-Orient restent indéfiniment sur le bas-côté, sur la route de l'histoire et qu'ils ne puissent pas progresser vers plus de liberté et de citoyenneté.
Ce que veulent les chrétiens, c'est la pleine citoyenneté pour tous. C'est cela qu'ils demandent.»
* Organisation terroriste interdite en Russie