La ministre française des Armées, Florence Parly, est de retour en France après une visite de deux jours au Tchad (8 et 9 octobre). Ce déplacement s'inscrit dans la continuité de sa visite au Mali et au Niger en juillet dernier. La raison de ces déplacements: soutenir les forces militaires françaises sur place, et renforcer la crédibilité du G5 Sahel, à l'heure où se multiplient les attaques terroristes dans la région.
Pour rappel, le G5 Sahel est une coalition formée de cinq pays de la bande sahélo-saharienne: la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad. L'objectif de cette alliance est, selon son Secrétaire permanent, Maman S. Sidikou, de «faire face de manière groupée et coordonnée aux problèmes majeurs qui préoccupent plusieurs pays aux réalités proches: la pauvreté et l'insécurité (notamment l'extrémisme violent) et certains défis reliés directement à la survie de notre planète, comme le dérèglement climatique». Dans les faits, il s'agit surtout, selon la diplomatie française, d'enrayer la déstabilisation causée par «la menace terroriste et le crime organisé».
Or, ces derniers mois ont mis à rude épreuve cette coopération G5+1 (les cinq pays précités, plus la France). En effet, le 29 juin dernier, le quartier général de la force régionale G5 Sahel de Sévaré dans le centre du Mali a été victime d'une attaque qui a fait six morts. Deux jours plus tard, c'est un véhicule blindé de l'opération Barkhane qui a été la cible d'un attentat-suicide à la voiture piégée à Gao, faisant quatre morts et des dizaines de blessés. L'opération Barkhane, qui mobilise près de 4.500 militaires a déjà coûté la vie à 22 soldats français.
Selon ces critiques, «l'intervention militaire de la France ne répond pas aux causes profondes de la violence et contribue même à maintenir le Niger dans le sous-développement. […] Alors que le pays est confronté à des défis essentiels en matière de sécurité alimentaire, de développement, de système de santé ou d'éducation, la lutte contre les groupes terroristes détourne des priorités.»
Antonin Tisseron conclut que «les Occidentaux se trompent de cible [car] les facteurs principaux d'insécurité ne sont pas les groupes jihadistes et leurs actions terroristes, mais la pauvreté, la misère et la précarité.»
Ce point est également souligné par Corinne Dufka, la Directrice adjointe de la division Afrique de l'ONG Human Rights Watch, notamment chargée de superviser les recherches sur l'Afrique de l'Ouest: «Paris comme les puissances régionales prête beaucoup trop d'attention à l'aspect militaire de la lutte contre les djihadistes, pas assez au terreau qui l'alimente.»
Saïd Bouamama, sociologue mais aussi militant associatif et politique engagé dans des mouvements sociaux et la lutte contre le racisme, a publié le Manuel Stratégique de l'Afrique.
Pour lui, cela va beaucoup plus loin. Il accuse la France d'ingérence dans les pays du Sahel.
«La France poursuit une vieille politique, qui consiste à empêcher les États de se prendre en charge et de se défendre eux-mêmes, pour pouvoir justifier d'une intervention et d'une présence militaire. C'est l'un des mécanismes classiques de l'ingérence des grands pays industrialisés pour maintenir leur mainmise sur les richesses du sous-sol africain.»
Selon ce chercheur, la France n'est pas le seul pays à tenter de conserver une emprise sur son ancienne zone coloniale, mais c'est celle qui a la plus grande responsabilité devant l'Histoire:
«La France est le pays qui, depuis les indépendances [des pays d'Afrique francophone] dans les années 1960, a maintenu le plus de soldats sur le continent africain. C'est aussi le pays qui a mis en œuvre le plus grand nombre d'opérations militaires pour régler des conflits qui sont en réalité créés par sa politique économique et par sa politique d'ingérence.»
Cette stratégie ne serait donc pas nouvelle. Elle prendrait racine dans le processus de colonisation lui-même, et viserait à contrôler les ressources du continent:
«Cette politique s'est mise en place au moment de la décolonisation, lorsque les pays africains se sont posé sérieusement la question de leur indépendance. Les grandes puissances coloniales ont eu peur que le processus de décolonisation ne donne lieu à des velléités de réelle indépendance touchant la question économique, et pas seulement le souhait d'avoir un drapeau et un siège à l'ONU. Les services secrets français ont préparé les "transitions" en mettant en place un certain nombre de cadres pour empêcher ces pays de se développer réellement: les Accords de Partenariat Économique (APE), les accords de Défense, et des accords affectant les minerais stratégiques.»
Pour Saïd Bouamama, la «seconde et véritable indépendance» passe par trois conditions essentielles: un développement autocentré, la rupture avec l'endettement, et la solidarité panafricaine.
Il y a peu de chance que la ministre française des Armées Florence Parly l'entende de cette oreille…