Le prince Mohammed ben Salmane al-Saoud a annoncé la «sortie imminente de la Russie» du marché pétrolier mondial, et Larry Kudlow a déclaré que pour l'Amérique, «le meilleur moyen de lancer un défi à Moscou» était de devenir la plus grande puissance énergétique et d'évincer Moscou du marché énergétique européen. Même si les objectifs du prince saoudien et du responsable américain diffèrent, leur discours antirusse se ressemble et se compose de deux thèses complémentaires: premièrement, le pétrole de la Russie s'épuisera dans un avenir proche; deuxièmement, d'autres acteurs prendront très bientôt sa place sur le marché énergétique mondial. C'est là que les versions de Larry Kudlow et de Mohammed ben Salmane al-Saoud divergent. L'Américain pense que ce sont les USA qui deviendront l'acteur dominant, mais ce n'est pas l'avis du prince saoudien. Les deux hommes ont une vision différente des perspectives de la «révolution de schiste» américaine.
En croisant l'affirmation du prince arabe avec les chiffres de la production et des réserves russes, on trouve une explication logique à sa position. Car quand l'on prend les informations de la compagnie BP datant de 2015 sur les réserves pétrolières russes prouvées et qu'on les divise par le niveau actuel de production, on obtient précisément les 19-20 ans mentionnés par Mohammed ben Salmane al-Saoud.
Il se peut qu'il soit arrivé à ce chiffre par un autre moyen, mais quoi qu'il en soit c'est une supposition très audacieuse et complètement irréaliste, car elle s'appuie sur la conviction qu'à partir de demain la Russie ne trouvera plus jamais de pétrole nulle part et que les réserves éventuelles et possibles de pétrole ne seront pas prouvées, que la Russie restera à tout jamais au niveau actuel des technologies de production qui ne permettra pas (à cause du retard technique) d'accéder aux réserves actuellement inatteignables ou économiquement non rentables. Inutile de dire que ce scénario apocalyptique est complètement improbable, notamment compte tenu des perspectives des projets pétroliers et gaziers russes en Arctique et en Sibérie. Pour comprendre leur potentiel colossal, il suffit de voir l'intensité des débats des experts américains et canadiens qui voudraient prendre à la Russie sa propriété arctique.
La situation autour des pronostics du conseiller de Donald Trump est complètement différente. Car il est bel et bien question de futures actions très hostiles vis-à-vis de Moscou. Sur Hill TV, Larry Kudrow a été direct: «Nous avons besoin d'une infrastructure […], nous avons besoin de fournir du gaz en Europe et de lancer un défi à l'hégémonie russe dans le gaz naturel et le GNL. […] C'est possible. Nous devons nous concentrer sur le secteur énergétique.» Dans cette même interview, il a souligné que les USA étaient déjà une superpuissance énergétique et que prochainement l'Amérique pourrait produire 15 millions de barils par jour. Ce qui signifie que les États-Unis «dépassent déjà l'Arabie saoudite et la Russie».
Deux choses: premièrement, le conseiller américain a reconnu de facto que toutes les déclarations américaines sur l'«indépendance énergétique de l'Europe» et la volonté de se battre pour les intérêts de l'Ukraine en tant qu'État de transit du gaz russe n'étaient qu'un mensonge. Les USA veulent précisément remplacer le gaz russe par le GNL américain — rien d'autre.
Dans la pratique, le scénario de Larry Kudlow rencontre deux grands problèmes. Malgré toute la pression de l'Amérique sur l'UE, le gazoduc Nord Stream 2 est en construction et, explique Gazprom, les investissements nécessaires pour la mise en œuvre du projet sont financés à pratiquement 70%. Il sera très difficile de l'arrêter à l'étape actuelle, et si besoin la Russie pourrait terminer la construction à ses frais. La tentative de forcer les Européens à acheter le GNL américain coûteux au détriment de leurs propres intérêts économiques est vouée à l'échec dans le contexte des relations américano-européennes très complexes et de la guerre commerciale déjà en cours entre les USA et l'UE. Et ce sans compter les problèmes liés à la ligne de dédollarisation récemment annoncée par le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. Quant au pronostic sur la hausse de la production américaine jusqu'à 15 millions de barils par jour, il est à noter que même le ministère américain de l'Énergie écrit dans son récent rapport annuel que l'augmentation jusqu'à ce niveau est le scénario le plus optimiste, combinant à la fois une forte hausse des prix du baril et une percée dans les technologies de production. Dans tous les autres scénarios, y compris de base, la production américaine n'atteindra pas ce niveau et commencera même à chuter dans 12-15 ans.
Le fait que certains responsables étrangers rêvent du départ de la Russie des principaux marchés énergétiques ne fait que confirmer une fois de plus l'importance de sa présence sur ces derniers. Il sera donc impossible d'en écarter Moscou.
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