Nomination du procureur de Paris: Macron veut-il mettre au pas les contre-pouvoirs?

Macron bloque la nomination du procureur de Paris. Après ses attaques contre les médias et le Parlement, la Justice est-elle dans le collimateur de l’Élysée? La réponse est clairement oui pour l’avocat Régis de Castelnau, qui dénonce le «déficit de culture démocratique» et une vision «très personnelle de l’autorité» du Président.
Sputnik

Emmanuel Macron a-t-il un problème avec les contre-pouvoirs? Après avoir publiquement affiché son mépris des journalistes français et après avoir voulu raboter les pouvoirs du Parlement à travers son projet de réforme constitutionnelle, serait-ce au tour de la Justice d'être dans le collimateur de l'Élysée?

La polémique autour de la succession de François Molins à la tête du Parquet de Paris ne fait qu'enfler depuis le 24 septembre, date à laquelle le ministère de la Justice a relancé la procédure de sélection du «plus stratégique de tous les postes de procureur» (dixit. Médiapart).

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En effet, alors que trois candidats avaient émergé place Vendôme, début juillet, tous reçus par Matignon, que la nomination à Paris de l'un d'eux —Marc Cimamonti- était annoncée comme «imminente» depuis des semaines, on apprenait le 24 septembre que celui-ci était finalement nommé à Versailles, avec un nouvel appel à candidatures.

Le 26 septembre, Le Canard enchaîné révèle qu'Emmanuel Macron aurait lui-même rejeté les noms de ces trois candidats, «du jamais vu dans les annales judiciaires», souligne le palmipède.

Un retournement de dernière minute qui ne passe absolument pas chez les syndicats de magistrats. Ce nouvel appel à candidatures fait figure d'«un appel du pied d'un pouvoir qui a certainement déjà présélectionné son ou sa candidate,» suspecte le Syndicat de la Magistrature (SM, minoritaire) qui dans un communiqué dénonce «le fait du Prince».

Même son de cloche du côté de l'union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) dont la présidente, Virginie Duval estime auprès de nos confrères du Parisien que «ce nouvel appel à candidatures a été lancé uniquement pour trouver quelqu'un qui sera adoubé par le pouvoir,» réprouve ainsi le magistrat.

«Sur le plan de la régularité institutionnelle, je n'aurai pas grand-chose à dire, mais dans la période actuelle, l'évidence de la manœuvre politique est telle qu'on ne peut que la critiquer»,

réagit à notre micro l'avocat Régis de Castelnau, spécialiste du droit public, fondateur du Syndicat des Avocats de France (SAF) et animateur du blog Vu du droit. Si notre intervenant comprend les réactions des syndicats de magistrats, sans pour autant les approuver, la méthode employée et le contexte politique lui posent clairement problème.

En effet, s'il est dans l'essence même de la fonction de procureur de mettre en œuvre une politique pénale générale, «dans la plupart des systèmes, le procureur est non indépendant» rappelle maître de Castelnau, «la manœuvre» n'en reste pas moins «grossière» à ses yeux, qui plus est à un moment où les affaires visant l'entourage d'exécutif et celui du Président se multiplient.

«On voit bien qu'existe une volonté d'avoir quelqu'un de docile qui permettra de continuer à couvrir un certain nombre d'affaires», estime Régis de Castelnau.

Une manœuvre à l'image politique «meurtrière», d'autant plus que jusque-là ce reproche avait «parfois injustement» été fait aux précédents exécutifs.

«On est le monde nouveau et on fait pire que l'ancien, c'est quand même pas terrible»,

ajoute l'avocat, qui évoque le nombre important d'affaires judiciaires dans lesquelles trempent les Marcheurs de première et dernière heure et qui s'accumulent depuis la campagne présidentielle, durant laquelle elles ont été peu ébruitées.

«Emmanuel Macron a bénéficié d'une énorme mansuétude depuis 18 mois maintenant que je trouve —personnellement- très critiquable,» fustige l'avocat.

À ce titre, Régis de Castelnau revient notamment sur les soupçons de délit de favoritisme qui éclaboussent Muriel Pénicaud, actuelle ministre du Travail, pour l'organisation de l'onéreuse «French Tech night» à Las Vegas, ou encore Alexis Kohler, Secrétaire général de l'Élysée concernant la société italo-suisse MSC avec laquelle il est lié par sa famille. Alexis Kohler qui, comme le souligne Le Monde se serait «investi» dans le processus de sélection du successeur de François Molins.

Autre boulet pour l'exécutif, l'affaire dite «des Mutuelles de Bretagne», qui avait provoqué l'extraction de Richard Ferrand du gouvernement vers l'Assemblée nationale, et dont il vient d'ailleurs de prendre la présidence. «Le lendemain de son élection au perchoir, Richard Ferrand a annoncé que s'il était mis en examen il ne démissionnerait pas», tient à préciser Régis de Castelnau, qui nous fait part de bruits de couloir dont il aurait eu vent concernant l'affaire.

«On me dit que l'affaire était gérée au pôle financier, que Renaud Van Ruymbeke, le juge d'instruction désigné, s'apprêtait à convoquer monsieur Ferrand pour le mettre en examen ainsi que son épouse… et l'affaire a été délocalisée à Lille, très rapidement, par la Cour de cassation.»

Autre affaire que ne peut éviter notre intervenant, la très médiatique affaire Benalla. Il revient notamment sur l'attitude du procureur qui avait «refusé de donner un réquisitoire supplétif», c'est-à-dire d'engager de nouvelles poursuites après «l'épisode rocambolesque» de la perquisition chez Alexandre Benalla, celle-là même qui s'était soldée par la disparition du coffre-fort du principal intéressé durant la nuit.

«Tout le monde judiciaire a éclaté de rire quand il a appris comment la perquisition s'était déroulée,» se désole notre intervenant.

Régis de Castelnau revient également sur le énième rebondissement de ce feuilleton, avec une photo twittée durant la campagne épinglée par Médiapart. Un tweet qui contredit totalement les affirmations de l'ex-chargé de mission du cabinet présidentiel lors de son audition devant le Sénat.

«Il a dit, je n'ai jamais porté une arme sans permis- je vous rappelle qu'il avait prêté serment —et moyennant quoi on a une photo où on le voit brandissant une arme sur un selfie, ce qui est quand même très problématique.»

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Une révélation qui a entraîné l'ouverture d'une enquête préliminaire, ce qui «normalement devrait déboucher sur une information judiciaire confiée à un juge» estime l'avocat. «M. Philippe Bas, le président de la commission d'enquête devra transmettre au parquet les faits qui ressemblent fort à un faux témoignage de monsieur Benalla,» ajoute Maître de Castelnau pour cette multitude d'éléments vient affaiblir la présidence Macron, renforçant ainsi la tentation du Président de mettre en place un procureur docile.

«Donc, avoir un procureur à Paris qui soit rétif ou qui soit moins souple que François Molin, cela peut constituer un risque important. […] Il est bien évident que la volonté de mettre des amis aux postes stratégiques du Parquet doit drôlement démanger l'Élysée.»

Il n'a en tout cas pas échappé aux journalistes que Marc Comamonti, en tant que procureur de la République de Lyon, avait notamment ouvert une enquête préliminaire sur le financement de la campagne présidentielle d'Emmanuel Macron. Celui-ci n'était probablement pas le candidat le plus en odeur de sainteté rue du Faubourg Saint-Honoré.

«On se rend compte que le procureur de Paris est nommé comme n'importe quel directeur d'administration centrale,» s'indignait Virginie Duval, présidente de l'USM, auprès de nos confrères du Parisien, déplorant l'image que tout cela pouvait donner de l'institution judiciaire.
Un rapprochement «pas tout à fait exact» estime Régis de Castelnau,

«Il ne faut pas être hypocrite, tous ces postes stratégiques […] font l'objet de tractations de couloir, c'est assez normal, on est dans la haute fonction publique de la Justice, qui entretient des rapports avec la haute fonction publique d'État,» souligne l'avocat.

Pour ce dernier, si réforme il doit y avoir, celle-ci ne devra pas mettre l'accent sur la séparation des pouvoirs entre l'exécutif et le procureur, mais entre ce dernier et son homologue juge du siège. Maître de Castelnau évoque d'ailleurs un certain malaise à voir des syndicats représenter juges et procureurs, qui pourtant ne font pas le même métier. Une pratique française «confuse», «amalgamante» qu'il déplore.

«Il faut bien se rappeler que ce qui est important, c'est l'indépendance du juge du siège pour garantir son impartialité. Que le Parquet soit partial, c'est son métier. Le problème est plus lié au fait qu'on a droit à un corps unique en France, le procureur est un magistrat et le juge du siège est un magistrat, c'est cette connivence qui pose un problème.»

Quoi qu'il en soit, cette nouvelle intervention du chef de l'État dans les affaires de la Justice nous interroge sur le rapport d'Emmanuel Macron avec les contre-pouvoirs.

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Rappelons en effet que jusqu'à l'éclatement de l'affaire Benalla, il était prévu —dans le cadre de la réforme constitutionnelle- de raboter les pouvoirs du Parlement au nom de «l'efficacité», limitant notamment la capacité d'amendement des députés, l'interdisant même aux non-inscrits dans un groupe parlementaire, ce qui est par exemple le cas des élus du Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen, son opposante au second tour et pour laquelle le Président ne cache pas son inimitié.

«La politique, c'est un métier. Il se retrouve à la tête d'un État sans en avoir, à mon avis, ni l'expérience ni la connaissance et par conséquent il a une vision de l'autorité très personnelle.»

On se souvient également —et nous sommes les premiers concernés- des prises de position et accusations du candidat puis du Président Macron à l'encontre des journalistes, et pas seulement concernant ceux qu'il estime ne pas avoir convenablement couvert sa campagne. Tout cela «montre bien un vrai déficit de culture démocratique», estime maître de Castelnau, qui ne s'arrête pas là.

«Cela va plus loin […] On paie ses conditions d'accession au pouvoir, avec un raid judiciaire pour détruire Fillon, avec une Presse qui l'a énormément soutenu, avec des financements sur lesquels il y a vraiment lieu de s'interroger. On se retrouve avec quelqu'un qui était parfaitement inconnu un an avant, avec une expérience sociale, politique, très faible.»

Des mises en cause qui «lui coûtent très cher», relevant un «impressionnant» affaiblissement politique du Président dû à la multiplication de ces affaires, dont la dernière en date, Benalla, est assurément la plus médiatique. «Rappelez-vous le 16 juillet, au lendemain de la victoire à la Coupe du monde, il était sur un nuage, regardez où il est aujourd'hui,» souligne l'avocat.

«Ces affaires qui sont quelque part le prix des conditions de son arrivée au pouvoir, de la façon de s'entourer, de gouverner, commencent à coûter cher. Plutôt que d'essayer de rénover une démarche politique, on colmate. La Justice étant un milieu d'où peuvent venir les coups eh bien on va souhaiter la mettre au pas… mais ce n'est pas sûr qu'elle se laisse faire.»

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