Sanctions contre l’Iran: l’UE se rebiffe, les États-Unis grondent

La vieille dame se révolterait-elle contre l’impétueux goujat? Après s’être couchés, les Européens entendent contourner les sanctions américaines pour commercer avec l’Iran. Washington répond par l’arrogance et la menace. Explication de cette crise d’un nouveau genre avec François Nicoullaud, ancien ambassadeur de la France à Téhéran.
Sputnik

Les Européens commencent-ils à être crédibles sur le dossier du nucléaire iranien? La question mérite d'être posée depuis que la cheffe de la diplomatie de l'Union européenne a annoncé la création d'un système qui permettrait d'échanger avec l'Iran sans risque d'être sanctionné par le turbulent allié américain. En effet, Frederica Mogherini a déclaré le 24 septembre:

«Concrètement, les États membres de l'Union européenne vont instaurer une entité légale pour faciliter les transactions financières légitimes avec l'Iran».

Si de nombreux responsables politiques européens ont confirmé cette évolution, elle ne pourrait ne pas être une révolution.
Pour le moment, aucune précision n'a été annoncée. Cela sera-t-il un système de troc, à l'instar de celui mis en place par la Turquie, ou de celui qui prévalait avec l'URSS avant sa chute? La création d'un compte pour l'Iran libellé en Euro? Ce système va-t-il permettre aux multinationales, notamment françaises, de revenir travailler en Iran?

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Si les questions restent nombreuses, le délai pour mettre en place un tel système pourrait être de plus assez long, et ce, alors que la deuxième phase des sanctions américaines contre l'Iran débute le 4 novembre prochain. Mais alors qu'il y avait un réel décalage entre les intentions politiques affichées par les Européens pour sauver l'accord et leurs capacités à contrecarrer les sanctions américaines, les pays membres de l'UE et tout particulièrement les «trois» (France, Allemagne et Royaume-Uni) envoient un signal fort à leur partenaire iranien, qui menace régulièrement de sortir lui aussi de l'accord de Vienne signé en 2015.

Malgré le flou qui règne donc autour de ce nouvel outil, les États-Unis n'ont pas tardé à réagir avec mépris et condescendance, mais peut-être aussi avec un certain réalisme. John Bolton a ainsi déclaré:
«L'Union européenne est forte dans sa rhétorique, mais faible pour l'appliquer. Nous allons surveiller le développement de cette structure qui n'existe pas encore et pour laquelle aucune date de création n'a été fixée. Nous n'avons pas l'intention de permettre à l'Europe ou quiconque d'éviter nos sanctions.»
Et Donald Trump, tout en finesse, a ajouté:

«Je pense que les Européens se comporteront bien.»

François Nicoullaud, ancien ambassadeur de la France à Téhéran tente de faire la lumière sur ces dernières annonces et déclarations politiques.

Sputnik France: Comment peut-on expliquer ce nouveau dispositif que les Européens veulent mettre en place pour continuer à échanger avec l'Iran sans risquer des sanctions provenant des États-Unis?

François Nicoullaud: «On ne sait pas très bien encore quel est le montage. Il y a une volonté politique, cela est clair. Mais cela reste quand même, il faut le reconnaître, très compliqué sur le plan financier, sur le plan juridique. Cela ne va pas se mettre en place d'un jour à l'autre. Et d'ailleurs, le futur employé par Madame Mogherini est symptomatique, je pense qu'il faut encore être patient avant de voir ce dispositif se mettre en place. […] Pour sauver l'accord, pour arriver à le garder à flot, il y a ce mécanisme qui devra éviter de passer par le dollar, toute la question est là, qui ajoute un risque supplémentaire pour les sociétés qui envisagent de travailler avec l'Iran.»

Sputnik France: Outre les échanges étatiques, la question est brûlante pour les grands groupes français et européens. Emmanuel Macron a récemment déclaré que ces nouvelles solutions «ne permettront pas de corriger ou faire changer les décisions de certains grands groupes européens ou internationaux qui sont très exposés aux États-Unis». Cela ne va donc rien changer pour eux?

François Nicoullaud: «Absolument. Monsieur Macron connaît le dossier, il a tout à fait raison. Ce dispositif ne s'adresse pas aux groupes, aux grandes sociétés internationales —je ne parle pas des petites qui sont sous le niveau du radar américain- qui ont des intérêts significatifs aux États-Unis, parce que le système de sanctions américain permet de punir les sociétés par deux voies. D'abord la voie financière, si elles utilisent le dollar, mais ensuite, qu'elles utilisent ou non le dollar, si elles font des affaires dans un secteur qui n'est pas autorisé en Iran. Et la plupart des secteurs sont non autorisés, il n'y a, à vrai dire, que les dossiers humanitaires, les transactions à caractère humanitaire, donc agroalimentaire, médical et pharmaceutique, qui en principe échappent aux sanctions.

Donc on voit bien que, même si les entreprises sont protégées en ce qui concerne l'utilisation du dollar, elles restent encore exposées si elles ont des intérêts aux États-Unis.»

Sputnik France: Donc ce dispositif pourrait ne concerner que les petites entreprises et les États, notamment pour le pétrole?

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François Nicoullaud: «Alors pour le pétrole, cela reste encore très compliqué pour trouver un système. Le pétrole se négocie en dollars, donc cela pose un premier problème, que ce dispositif devrait permettre de régler, mais, dollar ou pas, si une société européenne achète du pétrole aux Iraniens, si elle paye en roupie ou en tout ce que l'on veut, elle est de ce fait même soumise aux sanctions américaines. Donc, il y a sans doute des solutions, mais elles sont complexes. On verra ce que font les Iraniens, qui eux aussi cherchent des solutions qui permettront en gros d'effacer la traçabilité de leur pétrole. À partir de là, s'ils y parviennent, il sera peut-être possible d'acheter effectivement du pétrole d'origine lointaine iranienne, qui aura changé de mains, changé de pavillon, qui aura été mélangé avec d'autres pétroles. Voici ce genre de solutions sur lesquelles les gens doivent travailler en ce moment.»

Sputnik France: Depuis ces diverses annonces et déclarations, les Américaines fulminent. Comment appréhender ces réactions?

François Nicoullaud: «Les Américains vont effectivement donner une efficacité maximale à leurs sanctions, éviter qu'il y ait des détournements qui en affaiblissent la portée, parce que leur idée est bien de mettre l'Iran à genoux et donc ils vont faire tout ce qui peuvent pour faire obstacle à tous les projets qui eux-mêmes gêneraient l'application de leur sanction. Cela est tout à fait clair.»

Sputnik France: Donald Trump a été bien seul pour défendre son politique contre l'Iran au Conseil de sécurité des Nations unies ce 26 septembre. Les États-Unis vont-ils accentuer leurs pressions sur l'Iran et ses partenaires?

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François Nicoullaud: «Les États-Unis mettent une pression maximale sur l'Iran. Mais toutes les sanctions ne sont pas encore entrées en vigueur, puisque les prochaines sanctions, qui sont les plus dures, entreront en vigueur en novembre prochain et notamment les sanctions sur le pétrole qui ne sont pas encore appliquées, même si quelques acheteurs de pétrole iranien ont déjà pris leurs précautions en baissant leur quantité de pétrole qu'ils achètent [à Téhéran, ndlr]. Maintenant, ce qu'avaient affiché les États-Unis au départ, c'est que l'Iran exporterait zéro goutte de pétrole. Quelques pays ont fait savoir aux États-Unis, comme le Japon, qu'ils ne pouvaient pas se passer du pétrole iranien, qu'ils avaient besoin d'acheter un minimum de pétrole provenant de l'Iran. Il y aura donc quelques exemptions limitées.

Et il y a un autre facteur dont on ne sait pas comment il va jouer, c'est le prix du pétrole parce que s'il y a une raréfaction, une baisse de la disponibilité de la quantité de pétrole offerte sur le marché mondial, le cours du pétrole peut monter. Et cela peut gêner les consommateurs américains, donc gêner Donald Trump. Tout le monde essaye de se faire élire et d'être populaire. Voilà un peu comment va se jouer la partie qui s'annonce.»

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