Le droit d'auteur européen va-t-il tuer la création? Les eurodéputés ont adopté ce midi au Parlement à Strasbourg, en session plénière, la directive européenne sur le droit d'auteur, avec ces deux articles controversés: l'article 13, qui vise à inciter les plateformes à mieux rétribuer les créateurs de contenus, et l'article 11, qui doit permettre aux agences de presse, journaux et magazine d'être rétribués dès que leurs contenus apparaissent sur Google, par exemple.
«Même si les articles 11 et 13 s'adressent à deux types de contenus différents, d'un côté tout ce qui est de l'ordre de la création culturelle et de l'autre la presse, en fait il s'agit du même problème»,
explique François Vermorel, militant du parti Pirate, dont la formation était représentée par la députée allemande Julia Reda.
«En étendant un système de blocage sur les contenus, on ira vers un système de censure automatisé. Les plateformes, Google, Facebook, n'auront pas d'autres choix. Ça va être la mise en place de système qui existe déjà, des robots copyright, qui vont filtrer les contenus du Web.»
«Le plus probable, c'est que vous n'y parveniez pas. Soit on vous demandera de payer, mais ça, c'est impossible, Facebook non plus. Cette photo sera automatiquement censurée», se désole François Vermorel.
Perfusion pour les groupes médias financièrement mal en point, l'article 11, rebaptisé «link tax», doit permettre aux journaux ou agences de presse de se faire rémunérer lors de réutilisation en ligne de leurs contenus par Google News.
Pour ces détracteurs, cette mesure complexifie le droit d'auteur et pénalise les bloggeurs: un internaute voulant ajouter un article de presse dans son article Wikipédia devra demander l'autorisation à l'éditeur pour le citer, par exemple: «On n'imagine pas non plus Wikipédia fonctionner sans que ces milliers de bénévoles ne puissent s'échanger des liens», commente François Vermorel.
Elle ne garantira pas nécessairement une meilleure rémunération des journalistes, estiment certains, mais renforcerait au contraire les Gafa: en 2012, Google News avait décidé de retirer ses services en Espagne, qui l'obligeait à rémunérer les entreprises de presse dont il reproduisait les contenus, et menacé des centaines de médias allemands de ne laisser apparaître que le titre de l'article, sans description ni image…
«Le piège va vite se refermer», estime Guillame Champeau, Directeur Ethique et Affaires Juridiques de Qwant, «le moteur de recherche européen qui protège votre vie privée». Il dénonce une vision à court terme:
«Non seulement Google évitera de payer en arrêtant d'afficher des "snippets" de contenus de la presse en ligne, mais il demandera aux éditeurs de presse de le payer lui pour bénéficier du service d'hébergement.»
L'accord est «historique» se félicite en revanche l'eurodéputée communiste Marie-Pierre Vieu dans un communiqué:
«Depuis des années, les plateformes numériques tirent des bénéfices énormes des créations de contenu de presse et contenus artistiques sans rémunérer les créateurs.»
Si le texte est un «pas en avant pour la rémunération des auteurs sur le Net», les «contenus générés par les utilisateurs à des fins de caricature, de parodie ou de critique» manquent encore de «garanties», poursuit la députée.
Pour rajouter à la complexité du dispositif, parce qu'il s'agit d'une directive, chaque État membre devra la traduire dans son droit national, les nouvelles règles pourront donc varier selon les pays. Le bon côté des choses pour les tenants du statu quo est que cette implémentation dans les droits nationaux pourrait prendre plusieurs années.