«Notre politique en matière d'attractivité porte ses fruits,» s'est félicité Patrick Devedjian,
successeur Les Républicains (LR) de Nicolas Sarkozy à la tête du Conseil départemental des Hauts-de-Seine. Celui qui est également patron de l'établissement public Paris La Défense (ex-Epadesa) a annoncé le 11 septembre que l'Autorité bancaire européenne (EBA) allait finalement s'installer à La Défense.
«Maintenant, est-ce que cela fait basculer la finance de Londres vers Paris, sincèrement non. Le siège d'Airbus est (à Leyde) en Hollande, les usines restent bien à Toulouse, (à Broughton) en Angleterre, (à Puerto Real) en Espagne ou à Hambourg (en Allemagne),»
réagit à notre micro Philippe Béchade, rédacteur en chef de La Bourse au quotidien et président du think tank Les Éconoclastes. Pour lui, cette victoire demeure «symbolique», une «goutte d'eau», qui ne permettra pas à la place financière parisienne de faire de l'ombre à son homologue londonienne.
«Cela va tenir sur un ou deux plateaux de la tour Europlaza, relativise ainsi notre intervenant, il y a 200.000 personnes qui travaillent tous les jours à La Défense, on vient donc d'y rajouter un millier de salariés» ajoute-t-il.
Pour reprendre l'anecdote que soulignait Le Monde au moment de l'attribution de l'EBA à la France, si huit États membres s'étaient portés candidats afin de l'accueillir (la France finissant par l'emporter au bout de trois tours), ils étaient pas moins de vingt-trois à s'être porté candidats pour accueillir l'agence européenne du médicament (AEM) et ses… 900 emplois. Dans ce dernier cas, la capitale néerlandaise avait raflé la mise.
«Gage de notoriété, le fait de décrocher une agence garantit surtout un pactole lié à l'accueil de personnels dotés d'un fort pouvoir d'achat et de leur famille, aux multiples réunions qui engendrent des nuitées d'hôtel, aux loyers perçus, etc.» soulignaient alors nos confrères.
On notera que sur cette épineuse question de la rémunération, la Commission européenne se veut rassurante, soulignant que les 56.000 agents européens «soit à peine plus que la Ville de Paris (51.000 agents)» ne coûtent que 85 centimes par jour à chacun des 512 millions d'européens (soient 435,2 millions €/jour ou encore 7.771 €/jour et… par agent).
Parmi les entreprises ayant décidé de mettre le cap sur Paris, l'assureur Chubb ou encore la Banque HSBC. Cette dernière a annoncé cet été son intention de faire de la capitale française, d'ici le premier trimestre 2019, sa tête de pont pour ses opérations en Europe. «Paris tête de pont, mais siège rapatrié à Hong-kong,» relativise encore une fois Philippe Béchade. Pour notre intervenant, ces mouvements ne changent rien à la donne,
«Ce n'est pas demain que Paris va détrôner la City de Londres, pour des tas de raisons. D'abord une confidentialité, pour les capitaux, qui n'existe pas en France. Le Royaume-Uni est le pays des trustees […] qui vous garantissent un relatif anonymat.
Si vous placez de l'argent sur les marchés, vous n'êtes pas forcément obligé de payer des impôts sur les plus-values.»
«Je pense que Londres restera dominante. Les opérations qui deviennent illégales au Royaume-Uni (après le Brexit en vertu de la législation de l'UE) doivent par définition être transférées en Europe. Mais je pense que les banques vont essayer de garder tout le reste au Royaume-Uni» déclarait en février, la veille de son départ de la direction d'HSBC, Stuart Gulliver. Sept mois plus tôt, il avait annoncé la possibilité de transférer 1.000 des 43.000 emplois de sa banque à Paris, en cas de «hard» Brexit, évoquant l'aspect positif des réformes du gouvernement Macron si elles étaient appliquées.
«Parmi les 140 invités du Président de la République: Lloyd Blankfein, le patron de Goldman Sachs, qui aurait depuis décidé de renforcer ses équipes à Paris en plus de Francfort,» soulignait le chef du service Finance du quotidien. Autre point fort pour Paris, les grandes banques françaises, dont la force de frappe et la santé ne sont en rien comparables à leurs homologues allemandes.
«En ce qui concerne l'ingénierie financière, le jonglage entre les paradis fiscaux, on sait que Londres est une passerelle avec notamment les Bermudes, les Bahamas et la plupart des trustees jouent justement sur la fluidité des échanges entre Londres et des places financières offshores. Paris, naturellement, se l'interdit et l'interdirait aux épargnants étrangers.»
Des «épargnants étrangers», dont le profil ne correspond pas vraiment avec le profil du prospect idéal des banques commerciales française (jeunes actifs non propriétaires, couple de fonctionnaires ou clients lambda en difficulté auxquels on facturera des frais d'incidents de paiement),
«Lorsqu'on parle d'épargnants, pour ce genre de services à Londres, on parle d'oligarques russes, on parle de milliardaires de divers pays d'Amérique du Sud, d'Inde, etc., et ce qu'ils viennent chercher à Londres, c'est de l'anonymat et des montages financiers, fiscaux, qui garantissent le meilleur rendement à leurs capitaux. Paris ne pourra jamais offrir ce genre de services.»
«Il a surtout importé, dans le bureau d'à côté, Emmanuel Macron, qui est la quintessence du banquier d'affaires et du banquier revolving —si j'ose dire- puisqu'on sait qu'il y a de nombreux ponts entre l'administration et la très haute finance, la banque d'affaires,» ironise Philippe Béchade.
Mieux encore, cette promesse de campagne s'était finalement soldée en «contribution exceptionnelle» sur le chiffre d'affaires des plus grosses compagnies installées en France. «Un marqueur contre les entreprises», avait alors dénoncé le patronat, d'autant plus que cette surtaxe «exceptionnelle» avait fini par s'éterniser, comme d'autres avant elles (CSG, CRDS).
N'oublions pas également la fameuse taxation de 3% sur les dividendes, depuis jugée anticonstitutionnelle, car contraire aux directives européennes. Un amateurisme qui avait contraint le gouvernement Édouard Philippe à trouver 10 milliards d'euros supplémentaires dans l'urgence afin de dédommager les entreprises.
Si ce sont autant de recettes à compenser par les classes moyennes et les entreprises, c'est également un record mondial en matière de fuite des hauts revenus, la France devançant à ce titre la Chine qui, rappelons-le, demeure officiellement un État communiste. En tête de liste des destinations prisées par ces émigrés millionnaires… Londres.
Parler d'instabilité fiscale est d'ailleurs un «euphémisme», estime Philippe Béchade, qui s'il salue certaines mesures d'Emmanuel Macron, notamment en matière de flat taxe et d'imposition sur les dividendes, juge bon de rappeler «qu'à Londres, si on est malin, on paie zéro».
Non sans une certaine ironie, alors qu'une partie des millionnaires nationaux aspiraient à prendre le large et que les plus grandes entreprises françaises étaient «exceptionnellement» surtaxées, l'exécutif de François Hollande faisait du pied à ces mêmes hauts-revenus et entreprises installées outre-Manche
Au-delà des paradoxes politiques, ces mesures ne sont pas aussi dérisoires qu'elles n'y paraissent, d'après notre intervenant. En effet, les prix parisiens (logements, éducations) étant «pour l'instant» encore bien plus abordables qu'à Londres.
Des prix attractifs qui finalement pourraient bien être le meilleur atout pour convaincre des banquiers londoniens. Du côté des concurrents de Paris, outre Amsterdam et Dublin, Francfort a été préférée par les grandes banques américaines telles que Citigroup, Goldman Sachs et Morgan Stanley, pour y installer leurs équipes de ventes et de trading, Luxembourg est prisé par les assureurs britanniques, tels qu'AIG, FM Global et Hiscox. Paris est encore loin d'avoir gagné la guerre du «brexodus».