L’Autorité bancaire européenne s’installe à La Défense… mais la Finance restera à Londres

CC0 / Pixabay/ cocoparisienne / ParisLe quartier d’affaires de la Défense
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La France et son quartier d’affaires de la Défense ont raflé l’Autorité Bancaire Européenne. Une victoire dans la compétition que se livrent les villes de plusieurs États membres, qui souhaitent ravir à la City le flambeau de leader de la finance européenne. Pour autant, il ne vaut mieux pas crier victoire trop tôt…

«Notre politique en matière d'attractivité porte ses fruits,» s'est félicité Patrick Devedjian,

successeur Les Républicains (LR) de Nicolas Sarkozy à la tête du Conseil départemental des Hauts-de-Seine. Celui qui est également patron de l'établissement public Paris La Défense (ex-Epadesa) a annoncé le 11 septembre que l'Autorité bancaire européenne (EBA) allait finalement s'installer à La Défense.

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L'EBA, contrainte de quitter Londres en raison du Brexit, rejoint ainsi dans l'hexagone l'Autorité européenne des marchés financiers (AEMF), basée quant à elle dans la capitale, rue de Grenelle. Une belle prise pour le quartier d'affaires francilien dans la bataille que se mènent plusieurs villes de l'Union pour devenir la nouvelle place forte de la finance européenne, aux dépens de la City de Londres.

«Maintenant, est-ce que cela fait basculer la finance de Londres vers Paris, sincèrement non. Le siège d'Airbus est (à Leyde) en Hollande, les usines restent bien à Toulouse, (à Broughton) en Angleterre, (à Puerto Real) en Espagne ou à Hambourg (en Allemagne),»

réagit à notre micro Philippe Béchade, rédacteur en chef de La Bourse au quotidien et président du think tank Les Éconoclastes. Pour lui, cette victoire demeure «symbolique», une «goutte d'eau», qui ne permettra pas à la place financière parisienne de faire de l'ombre à son homologue londonienne.

«Cela va tenir sur un ou deux plateaux de la tour Europlaza, relativise ainsi notre intervenant, il y a 200.000 personnes qui travaillent tous les jours à La Défense, on vient donc d'y rajouter un millier de salariés» ajoute-t-il.

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Un millier de salariés, certes, mais pas n'importe lesquels. Au-delà de leurs compétences et de l'atout que leur agence représente pour l'attractivité de la place financière qui les accueille, les États qui se sont disputé les agences européennes basées à Londres semblaient également lorgner sur les retombées fiscales que représentent ces fonctionnaires et employés de l'UE.

Pour reprendre l'anecdote que soulignait Le Monde au moment de l'attribution de l'EBA à la France, si huit États membres s'étaient portés candidats afin de l'accueillir (la France finissant par l'emporter au bout de trois tours), ils étaient pas moins de vingt-trois à s'être porté candidats pour accueillir l'agence européenne du médicament (AEM) et ses… 900 emplois. Dans ce dernier cas, la capitale néerlandaise avait raflé la mise.

«Gage de notoriété, le fait de décrocher une agence garantit surtout un pactole lié à l'accueil de personnels dotés d'un fort pouvoir d'achat et de leur famille, aux multiples réunions qui engendrent des nuitées d'hôtel, aux loyers perçus, etc.» soulignaient alors nos confrères.

On notera que sur cette épineuse question de la rémunération, la Commission européenne se veut rassurante, soulignant que les 56.000 agents européens «soit à peine plus que la Ville de Paris (51.000 agents)» ne coûtent que 85 centimes par jour à chacun des 512 millions d'européens (soient 435,2 millions €/jour ou encore 7.771 €/jour et… par agent).

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Mais au-delà de l'attractivité de La Défense pour des agents rémunérés par Bruxelles et dont la destination a été décidée par un vote politique des 27 États membres, Paris et sa place financière attirent-elles les acteurs privés qui quittent Londres?
Parmi les entreprises ayant décidé de mettre le cap sur Paris, l'assureur Chubb ou encore la Banque HSBC. Cette dernière a annoncé cet été son intention de faire de la capitale française, d'ici le premier trimestre 2019, sa tête de pont pour ses opérations en Europe. «Paris tête de pont, mais siège rapatrié à Hong-kong,» relativise encore une fois Philippe Béchade. Pour notre intervenant, ces mouvements ne changent rien à la donne,

«Ce n'est pas demain que Paris va détrôner la City de Londres, pour des tas de raisons. D'abord une confidentialité, pour les capitaux, qui n'existe pas en France. Le Royaume-Uni est le pays des trustees […] qui vous garantissent un relatif anonymat.
Si vous placez de l'argent sur les marchés, vous n'êtes pas forcément obligé de payer des impôts sur les plus-values.»

«Je pense que Londres restera dominante. Les opérations qui deviennent illégales au Royaume-Uni (après le Brexit en vertu de la législation de l'UE) doivent par définition être transférées en Europe. Mais je pense que les banques vont essayer de garder tout le reste au Royaume-Uni» déclarait en février, la veille de son départ de la direction d'HSBC, Stuart Gulliver. Sept mois plus tôt, il avait annoncé la possibilité de transférer 1.000 des 43.000 emplois de sa banque à Paris, en cas de «hard» Brexit, évoquant l'aspect positif des réformes du gouvernement Macron si elles étaient appliquées.

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Des réformes qui traduisent le volontarisme d'Emmanuel Macron. Si elles sont mal perçues par l'opposition en France, elles le sont également —en dehors des frontières nationales- par les places financières concurrentes de Paris, à commencer par Francfort. En effet, nos confrères des Échos relataient un agacement certain outre-Rhin après l'opération séduction du Président français à Versailles en janvier dernier, la veille du forum économique de Davos.

«Parmi les 140 invités du Président de la République: Lloyd Blankfein, le patron de Goldman Sachs, qui aurait depuis décidé de renforcer ses équipes à Paris en plus de Francfort,» soulignait le chef du service Finance du quotidien. Autre point fort pour Paris, les grandes banques françaises, dont la force de frappe et la santé ne sont en rien comparables à leurs homologues allemandes.

«En ce qui concerne l'ingénierie financière, le jonglage entre les paradis fiscaux, on sait que Londres est une passerelle avec notamment les Bermudes, les Bahamas et la plupart des trustees jouent justement sur la fluidité des échanges entre Londres et des places financières offshores. Paris, naturellement, se l'interdit et l'interdirait aux épargnants étrangers.»

Des «épargnants étrangers», dont le profil ne correspond pas vraiment avec le profil du prospect idéal des banques commerciales française (jeunes actifs non propriétaires, couple de fonctionnaires ou clients lambda en difficulté auxquels on facturera des frais d'incidents de paiement),

«Lorsqu'on parle d'épargnants, pour ce genre de services à Londres, on parle d'oligarques russes, on parle de milliardaires de divers pays d'Amérique du Sud, d'Inde, etc., et ce qu'ils viennent chercher à Londres, c'est de l'anonymat et des montages financiers, fiscaux, qui garantissent le meilleur rendement à leurs capitaux. Paris ne pourra jamais offrir ce genre de services.»

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Il est vrai qu'en France, le climat est tout autre. Pour rappel, le Brexit était survenu sous la présidence de François Hollande. Un ex-président qui avait déclaré durant sa campagne électorale «mon ennemi, c'est la finance», tout en promettant de taxer les hauts revenus (au-delà d'un million d'euros annuels) à 75%.

«Il a surtout importé, dans le bureau d'à côté, Emmanuel Macron, qui est la quintessence du banquier d'affaires et du banquier revolving —si j'ose dire- puisqu'on sait qu'il y a de nombreux ponts entre l'administration et la très haute finance, la banque d'affaires,» ironise Philippe Béchade.

Mieux encore, cette promesse de campagne s'était finalement soldée en «contribution exceptionnelle» sur le chiffre d'affaires des plus grosses compagnies installées en France. «Un marqueur contre les entreprises», avait alors dénoncé le patronat, d'autant plus que cette surtaxe «exceptionnelle» avait fini par s'éterniser, comme d'autres avant elles (CSG, CRDS).
N'oublions pas également la fameuse taxation de 3% sur les dividendes, depuis jugée anticonstitutionnelle, car contraire aux directives européennes. Un amateurisme qui avait contraint le gouvernement Édouard Philippe à trouver 10 milliards d'euros supplémentaires dans l'urgence afin de dédommager les entreprises.

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Le goût prononcé de Bercy pour les effets d'annonce et la surenchère fiscale n'est pas près de changer. Selon le cabinet sud-africain New World Wealth (NWWealth), l'hexagone aurait vu partir en 2015 près de 10.000 de ses millionnaires pour raisons fiscales, 12.000 en 2016.

Si ce sont autant de recettes à compenser par les classes moyennes et les entreprises, c'est également un record mondial en matière de fuite des hauts revenus, la France devançant à ce titre la Chine qui, rappelons-le, demeure officiellement un État communiste. En tête de liste des destinations prisées par ces émigrés millionnaires… Londres.

Parler d'instabilité fiscale est d'ailleurs un «euphémisme», estime Philippe Béchade, qui s'il salue certaines mesures d'Emmanuel Macron, notamment en matière de flat taxe et d'imposition sur les dividendes, juge bon de rappeler «qu'à Londres, si on est malin, on paie zéro».
Non sans une certaine ironie, alors qu'une partie des millionnaires nationaux aspiraient à prendre le large et que les plus grandes entreprises françaises étaient «exceptionnellement» surtaxées, l'exécutif de François Hollande faisait du pied à ces mêmes hauts-revenus et entreprises installées outre-Manche

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Ainsi, dans la foulée du Brexit, Manuel Valls avait-il présenté en juillet 2016 une série de mesures afin d'inciter les entreprises financières établies à Londres à choisir Paris. Allongement des avantages fiscaux pour les impatriés, aides aux démarches administratives pour les entreprises étrangères et leurs salariés, ramener l'IS de 33% à 28% (ce qui, était en réalité déjà acté pour 2020) et ouverture de sections internationales dans les établissements scolaires.
Au-delà des paradoxes politiques, ces mesures ne sont pas aussi dérisoires qu'elles n'y paraissent, d'après notre intervenant. En effet, les prix parisiens (logements, éducations) étant «pour l'instant» encore bien plus abordables qu'à Londres.

Des prix attractifs qui finalement pourraient bien être le meilleur atout pour convaincre des banquiers londoniens. Du côté des concurrents de Paris, outre Amsterdam et Dublin, Francfort a été préférée par les grandes banques américaines telles que Citigroup, Goldman Sachs et Morgan Stanley, pour y installer leurs équipes de ventes et de trading, Luxembourg est prisé par les assureurs britanniques, tels qu'AIG, FM Global et Hiscox. Paris est encore loin d'avoir gagné la guerre du «brexodus».

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