Les milices se déchirent à Tripoli: le pouvoir libyen a-t-il pactisé avec le diable?

La capitale libyenne est le théâtre depuis plusieurs jours de violents affrontements entre milices proches du pouvoir de Tripoli. L’État d’urgence a été déclaré et la situation semble hors de contrôle. Sept ans après la chute de Mouammar Kadhafi, le pays est plus éloigné que jamais de la sortie de crise récemment envisagée par Macron.
Sputnik

Tripoli à feu et à sang. Le 2 septembre, 400 détenus se sont évadés à la suite d'une émeute dans leur prison de la banlieue sud de Tripoli, où les combats font rage.

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Médecins sans frontières s'est fendu d'un communiqué pour dénoncer le danger dans lequel se trouve les réfugiés «arbitrairement détenus dans les centres de détention dits officiels» et qui selon l'ONG «ont été pris au piège, abandonnés et enfermés pendant deux jours dans la zone des bombardements, et sans aucun accès à de la nourriture». Le 2 septembre toujours, les services de secours et plusieurs témoins cités par l'AFP ont assuré que plusieurs roquettes se sont abattues sur un camp de déplacés de la ville faisant au moins deux morts et cinq blessés.

Comment en est-on arrivé à une situation aussi dramatique? Pour le comprendre, il faut revenir un peu en arrière, tant la situation politique libyenne est un casse-tête. Deux forces principales se disputent l'autorité sur le pays. D'un côté, le gouvernement d'union nationale (GNA), dirigé par Fayez Al-Sarraj et basé à Tripoli: c'est celui qui est reconnu par la communauté internationale. De l'autre, un gouvernement parallèle, soutenu par le maréchal Khalifa Haftar, à la tête de l'Armée Nationale Libyenne (ANL) et maître de l'Est du pays. Un tableau compliqué par la lutte intestine que se livrent pour le contrôle de Tripoli plusieurs milices censées soutenir le GNA. Fayez Al-Sarraj s'est notamment hissé au pouvoir avec l'accord tacite de ces groupes qui exercent le réel pouvoir militaire dans la région.

​Le 27 août, une milice originaire de la banlieue sud de Tripoli, la «7ème Brigade», s'est mise en tête de prendre le contrôle de l'aéroport international de Tripoli, qui s'apprêtait à rouvrir après des années passées en ruine. Une échappée qui n'a pas plu à certains de ses adversaires, qui ont préféré les accueillir à l'arme lourde. Le départ d'une véritable guérilla urbaine, qui voit depuis plusieurs jours s'affronter les milices qui exercent le contrôle sur Tripoli et les groupes précédemment exclus de la ville et qui souhaitent obtenir leur part du gâteau.

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Ironie du sort, ces organisations sont censées être dans le même camp que le GNA et tirer dans le même sens. Sauf, qu'aujourd'hui, elles se tirent dessus. Small Arms Survey (SAS), une ONG spécialisée dans l'analyse des conflits armés et basée en Suisse, a récemment publié un rapport au titre évocateur: «Capitale des milices». Les experts de l'organisation n'hésitent pas à parler de véritables «cartels», agissant en plein cœur de la capitale et évoquent une situation explosive:

«Elle risque de provoquer un nouveau conflit majeur déclenché par les forces politico-militaires qui se sentent exclues par ce cartel dans l'accès aux leviers de l'administration.»

Les violences ont fait au moins 47 morts et 129 blessés en une semaine selon le ministère de la Santé. L'état d'urgence décrété le 2 septembre par Fayez Al-Sarraj risque d'avoir un effet bien limité. D'après SAS, «les grandes milices tripolitaines se sont transformées en réseaux criminels à cheval sur la politique, les affaires et l'administration»:

«Elles ont infiltré la bureaucratie et sont de plus en plus en mesure de coordonner leurs actions à l'intérieur des différentes institutions publiques. Le gouvernement est impuissant.»

Les milices «ont pris le pouvoir en Libye sans être dérangées par aucune institution officielle. Au contraire, elles ont été légitimées» par les gouvernements successifs, s'insurge pour sa part Federica Saini Fasanotti, de la Brookings Institution, basée à Washington et citée par l'AFP.

«Ces groupes armés sont tellement puissants qu'ils menacent ceux qui sont censés les gouverner», s'alarme-t-elle.

Fayez Al-Sarraj aurait-il fait un pacte avec le diable? L'avenir le dira, mais plusieurs spécialistes sont très inquiets de la tournure que prennent les événements. D'après le correspondant du Monde à Tunis, plusieurs milices, qui avaient été éloignées de Tripoli, seraient en mesure de profiter de l'occasion pour tenter leur retour dans la capitale. Pire, ce sont les extrémistes religieux qui pourraient tirer bénéfice du chaos ambiant. Toujours selon Le Monde, le chef du Front al-Samoud Salah Badi, connu pour ses positions islamistes, a récemment apporté son aide à la 7e brigade.

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Le contexte à Tripoli n'est pas propice à la tenue d'un scrutin, c'est le moins que l'on puisse dire. Pourtant, le 29 mai dernier, Emmanuel Macron parvenait à réunir les deux frères ennemis Fayez al-Sarraj et Khalifa Haftar. Encore mieux, il avait obtenu un accord sur la tenue d'élections présidentielles et législatives avant le 10 décembre. Un objectif qui paraît désormais plus que chimérique. L'adoption d'une «base constitutionnelle pour les élections» et de «lois électorales» sont toujours dans les cartons. Elles devaient être en place au 16 septembre.

Mais avant le problème électoral, c'est bien celui, bien plus urgent, de la situation à Tripoli qu'il faut régler. Et l'accord qu'a arraché Emmanuel Macron aux deux principaux chefs de guerre en mai dernier ne prévoit pas grand-chose sur le contrôle des milices qui mettent le pays et sa capitale en coupe réglée, sinon le vœu pieux qu'elles soient unifiées sous l'égide des Nations unies.

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