Parlementaire en voyage? Pas sans la permission du fils du Président! Devinez où…

Un parlementaire ne peut voyager sans l’autorisation du fils du Président: la mesure n’est pas la première du genre en Guinée équatoriale, puisque les fonctionnaires ont subi de telles restrictions en juin dernier. La motivation principale serait une certaine tradition de tentatives de putschs appuyés par des éléments étrangers.
Sputnik

En Guinée équatoriale, l'Autorisation de Sortie du Territoire, ce n'est pas que pour les enfants. Les députés et sénateurs équatoguinéens doivent dorénavant remplir une mouture inédite d'AST, ce formulaire dûment rempli par le représentant légal d'un mineur désirant voyager seul à l'étranger. Sauf que dans ce petit État pétrolier d'Afrique centrale, ce ne sont pas les parents, mais Téordoro «Junior», fils aîné du Président et «accessoirement» vice-Président du pays, qui doit donner son accord préalable.

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Derrière ce nouveau coup de Trafalgar du Président Teodoro Obiang Neguema Mbasogo, indiquant aux parlementaires tout le bien qu'il pense de leur loyauté, se cachent des considérations d'«intérêt national», toujours selon la même note, dévoilée par l'AFP.

«C'est un nouveau tour de vis destiné à mettre la pression sur les parlementaires et autres hommes politiques. Certes, cette mesure pourrait être liée à une crainte quelconque de voir ces parlementaires partir en Europe, avec une partie d'un magot éventuel. Mais il s'agit surtout pour le Président de vouloir absolument contrôler les allées et venues des uns et des autres, à l'heure où le pays vit au rythme de rumeurs récurrentes sur des coups d'État en préparation», décrypte pour Sputnik Jean-Claude Félix Tchicaya, chercheur du groupe Afrique au sein de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE).

De fait, les menaces de coup d'État ne sont pas de pures élucubrations du maître de Malabo. En janvier dernier, les autorités ont annoncé avoir déjoué une tentative de putsch, commandité par un trio, un Français, un Centrafricain et un Tchadien et «organisé sur le territoire français». En juin dernier, une première restriction de voyage avait alors touché les fonctionnaires, dont certains auraient été impliqués dans la conjuration, raison pour laquelle les parlementaires n'avaient pas à se sentir particulièrement stigmatisés. Cette restriction n'aura, d'ailleurs, provoqué que quelques «remous de coulisses», aussi bien dans le Sénat que dans «la Cámara de los Diputados».

«Certains ont même eu l'habileté de dire qu'ils n'avaient pas de problème avec cette mesure, vu qu'ils n'avaient rien à se reprocher», rappelle ce connaisseur de la Guinée équatoriale, qui exclut que cette restriction puisse perdurer.

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À défaut de s'inscrire dans la durée, l'ASR équatoguinéenne indique que le régime de Malabo a été ébranlé par la dernière tentative de putsch, sans vaciller pour autant. À ce titre, la longévité d'Obiang, l'une des plus importantes d'Afrique, a été souvent mise à rude épreuve. En 2004, les autorités déjouaient une autre tentative de coup d'État, connue par la suite sous le nom d' « Opération Wonga », qui aurait été commanditée par des services occidentaux, avec l'implication présumée de Mark Thatcher, le fils de l'ancienne Première ministre britannique.

Aujourd'hui, la Guinée équatoriale reste relativement à l'abri des anathèmes traditionnels des chancelleries occidentales. Quelques titillements médiatiques récurrents, toutefois… et des épisodes judiciaires. Téodorin, le Golden boy, est même le «chouchou» de la presse occidentale, notamment depuis qu'il est poursuivi par la justice française dans une affaire de biens mal acquis. Il écopera d'une peine de prison avec sursis en première instance, avant d'interjeter appel.

​«La Guinée équatoriale est un haut lieu géostratégique et géoéconomique, que l'on ne veut pas trop fustiger pour l'instant. Personne ne voudrait être le premier à faire beaucoup de bruit pour stigmatiser son régime, alors que, si cette mesure de restriction de voyage avait été prise par un autre pays africain, on aurait entendu beaucoup à vous opposer toute la panoplie des droits fondamentaux auxquels il ne convient pas de porter atteinte», poursuit Tchicaya.

Il souligne de plus que cette logique est subtile, et ne constitue pas pour autant une carte blanche au régime équatoguinéen. Si celui-ci est plus ou moins épargné publiquement,

«les mêmes chancelleries restent très attentives à une opposition et une société civile prises à la gorge, mais qui ne vont pas se laisser éternellement étrangler par le pouvoir en place», conclut Tchicaya.

La découverte d'importants gisements pétroliers, au début des années 2000, a marqué un tournant dans la (jeune) vie de la Guinée équatoriale, ancienne colonie espagnole indépendante depuis 1968. Désormais troisième producteur de brut en Afrique subsaharienne, ce pays affiche le PIB par habitant le plus élevé d'Afrique (34.865 $) et se démarque de ses voisins par ses infrastructures relativement développées. L'indicateur de développement humain équatoguinéen se situe, quant à lui, parmi les meilleurs en Afrique (13e place sur 55), alors que la pauvreté s'est réduite de moitié en l'espace de dix ans, d'après un rapport de la Commission économique pour l'Afrique, datant de 2016. Il n'en reste pas moins que près de 43% de la population continue de vivre, aujourd'hui, en dessous du seuil de pauvreté, estimé à deux dollars par jour.

«La baisse de la pauvreté a […] été favorisée par les efforts des pouvoirs publics qui ont utilisé les recettes pétrolières pour améliorer l'accès des populations aux infrastructures sociales de base», explique le rapport de cette institution onusienne.

L'objectif émergence 2020 fixé par les autorités reste, toutefois, confronté à plusieurs défis. Au premier rang de ceux-ci, la diversification de l'exportation, monopolisée par les exportations pétrolières (90%). L'indice de corruption est, en outre, parmi les plus alarmants au monde. Dans le classement 2017 de l'ONG Transparency International, la Guinée équatoriale remporte la 171e place sur 180.

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