Poutine-Merkel, une lune de miel sans révérence?

Vladimir Poutine et Angela Merkel se sont à nouveau rencontrés samedi 18 août. Si la presse française n’a pas jugé bon d’analyser cette réunion au sommet, Sputnik revient sur un évènement important pour ces deux pays, mais aussi pour la France. Relation bilatérale, Ukraine, Syrie, Iran… analyse du géopolitologue André Filler.
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Est-ce le début d'une belle amitié? Après Sotchi en mai et avant une prochaine réunion en octobre, Vladimir Poutine et Angela Merkel se sont retrouvés à Berlin, le 18 août dernier. S'ils n'ont pas jugé nécessaire de tenir une conférence de presse après leur entrevue de plus de trois heures, les deux dirigeants ont abordé de nombreux sujets. Peut-on parler d'un rapprochement entre les deux pays, sur l'Ukraine, la Syrie ou encore l'Iran? Peut-on entrevoir une meilleure relation entre la Russie et l'Allemagne qui pourrait modifier les alliances russo-européennes à moyen et long terme?

André Filler, maître de conférences à Paris VIII et à l'Institut Français de Géopolitique, analyse cet évènement politique majeur boudé par la presse française.

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Sputnik France: Après Sotchi en mai dernier, Merkel et Poutine se sont rencontrés à nouveau. Cette nouvelle réunion marque-t-elle un rapprochement? Ou au moins une normalisation entre les deux pays?

André Filler: «Je pense qu'on entre dans une nouvelle phase, mais c'est difficile de parler de rapprochement. Les deux dirigeants se connaissent très bien depuis de longues années, 14 ans. N'oublions pas qu'Angela Merkel et l'Allemagne, notamment de par les compétences linguistiques du Président Poutine, ont toujours servi de sorte de caisse de résonnance des grands tournants de la politique russe, aussi bien sur le plan national qu'international. Donc, la communication vers l'extérieur menée par le Kremlin de Vladimir Poutine s'est souvent déroulée depuis ou par l'intermédiaire de l'Allemagne.

De plus, on peut constater que Vladimir Poutine, pour son nouveau mandat, veut établir des contacts personnels avec les dirigeants partenaires alors qu'avant, on passait en Russie par des contacts institutionnels, on passait beaucoup par l'entremise de Sergueï Lavrov. Si vous observez ce qu'il s'est passé avec Emmanuel Macron, avec Donald Trump, avec Angela Merkel, mais aussi Benjamin Netanyahu, Xi Jinping, etc., il y a véritablement une tentative d'établir des contacts directs, des contacts individualisés et personnalisés, qui sans doute permettent de faire avancer des dossiers compliqués par des canaux consacrés à travers les instances diplomatiques. Je précise par ailleurs que la réunion, en tête à tête, a duré plus de trois heures, c'est assez exceptionnel.»

Sputnik France: On constate qu'il n'y a pas eu de grandes annonces. C'est pour cela que la presse française ne s'y est pas attardée? Ou au contraire, c'est dommage parce qu'il y a d'autres choses derrière?

L’été d’Emmanuel Macron
André Filler: «Je trouve que c'est tout à fait dommage. L'absence d'analyse et de sujets évoqués par la presse française alors qu'il y a eu des communiqués officiels des deux côtés, est regrettable, parce que cela marque effectivement quelque chose de très important que j'appellerai une sorte de reconstruction, au moins tactique, de l'axe Paris-Berlin-Moscou, si l'on inscrit cette rencontre dans la lignée de la visite du Président Macron en Russie et de ses visites privées au cours de la Coupe du Monde.

Non pas que l'on assiste à une résurrection de ce qu'il s'est passé à l'époque de Jacques Chirac et de Gerhard Schröder, qui étaient tous deux des russophiles assumés, mais il y a un rapprochement tactique. De plus, il faut signaler que désormais la Russie ne traite plus avec l'UE, mais choisit véritablement des partenaires incarnés, cette fois-ci au niveau des États et les relations deviennent bilatérales et non pas russo-européennes comme ce fut le cas au début des années 2000. Ce qui nous fera peut-être aussi réfléchir sur l'avenir de cette Europe, qui désormais, peut-être, a perdu pas mal de son unité originelle.»

Sputnik France: L'horizon semble donc bien meilleur pour la relation bilatérale entre l'Allemagne et la Russie? Pensez-vous que cela soit un problème pour le leadership français en Europe? A-t-on une nouvelle fois raté le coche ces derniers mois, notamment sur l'Ukraine et sur les sanctions?

André Filler: «C'est difficile à dire. Mais cela ne m'étonnerait pas que la France, d'un certain point de vue, cède la main à l'Allemagne pour justement faciliter la mise en œuvre de cette amélioration des relations. De toute manière, il me semble que toute alliance interne européenne au niveau des grandes puissances est inconcevable sans un axe tripartite et que c'est aussi une volonté d'isoler la Grande-Bretagne. Les volontés politiques convergent.

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Après, il me semble utile de rappeler que le rôle que joue la Russie dans l'opinion publique allemande et l'opinion publique française, et également chez les décideurs politiques, est incomparable: la question ukrainienne, les problèmes intérieurs de la Russie, etc., font partie des Unes des journaux allemands quotidiennement, ce qui n'est pas le cas en France. L'Allemagne est infiniment plus impliquée dans ce qu'il se passe dans l'ex-espace soviétique et de ce fait serait peut-être plus à même d'œuvrer à la construction de cette nouvelle alliance. Ajoutons de plus que l'Allemagne est aussi bien plus dépendante sur le plan énergétique de la France de la matière première russe. L'Allemagne a besoin de la Russie, pas forcément comme d'un formidable marché d'investissement —ce qui est le cas de la France-, mais également comme fournisseur d'énergie, aujourd'hui irremplaçable et sans doute demain également, parce qu'il n'y a pas d'alternative qui se dessine de manière plausible.»

Sputnik France: Où en est-on sur le dossier ukrainien? Angela Merkel voudrait une mission de l'ONU pour faire avancer le processus de paix et notamment sur le terrain. Il est par ailleurs amusant de noter que Porochenko a vu Merkel le jeudi 16 août et Poutine, le samedi 18.

André Filler: «Je pense que ce calendrier n'a rien de fortuit. Tout cela a été savamment préparé et peut être même de manière conjointe lorsque l'on sait que Petro Porochenko et Vladimir Poutine ont un contact direct, même s'il n'est peut-être pas extrêmement cordial.

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Sur ce dossier, je constate tout d'abord que la question de la Crimée n'est pas évoquée, en tout cas officiellement, notamment dans les communiqués de presse à l'issue de la rencontre entre la chancelière allemande et le président russe. Donc l'objectif russe de la reconnaissance de la Crimée en tant que territoire de la Fédération, semble acquis ou tout au moins toujours maintenu et non menacé.

Après, le Donbass reste toujours une sorte de levier, de monnaie d'échange des deux côtés. Je rappelle également l'annonce récente du Président Poutine, qui a été réitéré d'ailleurs dans le communiqué de presse, que l'Ukraine bénéficiera des ressources gazières russes aux mêmes conditions que jusqu'à présent. Donc il y a une tentative de raccommoder les choses. Est-ce que ce sera le format des accords de Minsk? Est-ce que cela sera un nouveau format? Difficile à dire aujourd'hui, mais je pense que maintenant l'Ukraine n'est plus un conflit en soi, mais une sorte de canal d'interaction avec les grandes puissances. Tout dépendra aussi des futures élections ukrainiennes où, aussi bien la Russie que l'Allemagne sont à l'œuvre.»

Sputnik France: Sur la Syrie, Angela Merkel souhaiterait «éviter une catastrophe humanitaire» et Vladimir Poutine parle de reconstruction. Que pensez-vous du discours des deux dirigeants?

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André Filler: «Pour l'Allemagne, l'enjeu n'est évidemment pas du tout du même ordre que pour la Russie. Si pour cette dernière, il s'agit d'une affaire strictement internationale, pour Berlin il s'agit d'une affaire interne, vu le nombre important des ressortissants, qui constituent désormais un vivier électoral. Il ne faut pas oublier que la chancelière est également tenue par son opinion publique et notamment par les votes des ressortissants de ces pays du Moyen-Orient et donc de la Syrie, ce qui est à double tranchant.
Pour rappel, il y avait deux mouvements protestataires à cette rencontre: un tout petit mouvement de la diaspora russophone en Allemagne exigeant la libération d'Oleg Sentsov, mais surtout un mouvement syrien anti-Bachar. Le facteur "syrien", mais finalement de la population issue de l'immigration proche et moyen-orientale, est en Allemagne quelque chose qui me semble tout à fait majeur pour la survie politique de la chancelière, qui est quand même mis en ballottage. Évidemment, l'intérêt déclaré de l'Allemagne s'inscrit dans la politique européenne —"éviter une catastrophe humanitaire" dans un État qui n'en est plus un.»

Sputnik France: Sur l'Iran, Angela Merkel évoque «soutien et conservation de l'accord, mais préoccupation de ses activités». Elle semble, comme Macron et May, faire une nouvelle fois de la rhétorique à ce sujet. Qu'en pensez-vous?

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André Filler: «Tout à fait. […] Si les autres dirigeants ont un discours assez ferme, l'Europe de son côté a une position plus attentiste que déterminée, que cela soit dans un sens que dans l'autre.»

Sputnik France: Comment réagissez-vous à la polémique qui découle d'une «révérence» de Karin Kneissl, ministre des Affaires étrangères autrichienne devant Vladimir Poutine?

André Filler: «Je pense que c'est une non-affaire. Le mariage est une affaire privée, on invite qui on veut et on se rend à un mariage avec qui on veut. Sur les révérences, en Autriche on est très à cheval sur les formes; la révérence me semble tout à fait de mise dans ce genre de contexte, surtout par la différence d'âge entre l'invité et la mariée.
Pour être un peu plus sérieux, il me semble que Vladimir Poutine a fait à nouveau une de ses farces savamment préparées, une sorte de signal. Je ne vois absolument pas d'alliance entre la Russie Unie et le FPÖ, une communauté de destin, mais un signal aux dirigeants centristes de l'Europe et notamment en Allemagne, des sympathies multivectorielles que la Russie peut entretenir. Mais tout ce qui se rapporte aux sociabilités plurielles de Vladimir Poutine ou de Madame la Ministre semble relever totalement de la sphère privée et la révérence me semble plutôt un signe de bonnes manières que d'autre chose.»

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