«C'est un jour majeur, voire historique, pour la Grèce.» Le 20 août dernier, Pierre Moscovici, Commissaire européen à l'Économie, ne cachait pas sa satisfaction.
Depuis cette date, Athènes est officiellement sortie de la tutelle de la troïka, l'alliance formée par la Banque centrale européenne (BCE), la Commission européenne et le Fonds monétaire international (FMI). Sur le papier, le but était d'éviter à la Grèce la faillite après la crise qui a frappé de plein fouet le pays en 2008. Après trois monumentaux plans d'aide depuis 2010 et une exclusion des marchés financiers, les Hellènes ont à nouveau la possibilité d'émettre des obligations sur ces derniers et ont récupéré un peu de leur souveraineté financière.
«Pour la première fois depuis début 2010 la Grèce se tient debout sur ses deux pieds», s'est pour sa part félicité Mario Centeno, président de l'Eurogroupe, qui a piloté le dernier programme d'aide. Sur les ondes de la radio athénienne RealFm, le porte-parole du gouvernement grec Dimitris Tzanakopoulos a assuré que «l'économie, la société et tout le pays» entrait «dans une nouvelle phase».
Augmentation des impôts, baisse des salaires
«C'est une vaste blague! On nous fait croire que la Grèce est sur le chemin de la guérison alors que la vérité, c'est que les créanciers ont tué le pays avec la complicité d'Alexis Tsipras, qui est un traître. La pauvreté et le chômage ont explosé, la démographie est catastrophique et la croissance est artificielle. La Grèce a un commerce extérieur faible, la baisse des revenus a entraîné une baisse de la consommation des ménages. Restent le tourisme et les investissements. Mais encore une fois, ces investissements sont générés avec de la dette. Tout ceci est intenable. D'ailleurs la dette du pays est toujours équivalente à 180% du PIB», a confié à Sputnik France Olivier Delamarche, dirigeant de Triskelion Wealth Management et membre du think tank des Econoclastes.
La situation en Grèce n'a rien d'idyllique. Si le pays a renoué avec la croissance avec une hausse du PIB de 1,4% en 2017 et dégage un excédent budgétaire hors service de la dette, le tableau économique reste très sombre. Depuis 2009, le PIB a chuté de 25%. Après un pic autour de 28% en 2013, le chômage concerne toujours environ 20% de la population active. D'après une étude de la fondation Hans Böckler, la moitié la plus pauvre de la population a vu ses impôts augmenter de 337%, contre 9% pour la moitié la plus aisée. Les 10% les plus démunis ont perdu jusqu'à 86% de leurs revenus.
«Dans tous les domaines, nous faisons des économies pour pouvoir payer nos impôts. Nous consommons moins de viande et de poisson, nous n'achetons plus de nouveaux vêtements, nous circulons moins en voiture, nous ne partons plus en vacances…», racontait Kostas, 73 ans et gérant d'une papeterie à Athènes, à nos confrères du Monde en mai dernier.
En 2016, une étude de la London School of Economics estimait entre 280.000 et 350.000 le nombre de Grecs ayant quitté le pays durant la période 2010-2015. Des cas de prostitution concernant des étudiantes ont été rapportés… parfois pour des sommes dérisoires. Car les jeunes filles ont faim. Le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans approchent toujours des 50%.
«Le pays a perdu sa souveraineté. Des privatisations de services publics ont eu lieu en masse via un fonds qui s'est fait un peu sur le modèle de ce qu'on avait pu voir en Allemagne de l'Est après la chute du Mur de Berlin», a expliqué à Sputnik France Coralie Delaume, essayiste et spécialiste de l'Union européenne.
Beaucoup d'observateurs ont pointé la responsabilité du gouvernement dans le terrible bilan des incendies qui ont frappé le pays en juillet et qui ont coûté la vie à plus de 90 personnes. Les statistiques de l'Association internationale des services de secours et d'incendie sont sans appel: le nombre de pompiers grecs est passé de 18.559 en 2008 à 15.660 en 2015. Leur budget a subi une saignée d'envergure, passant de 452 millions d'euros en 2009 à 354 millions d'euros en 2017.
Et la Grèce doit toujours composer avec une dette qui représente 180% de son PIB. Un chiffre que même le FMI juge intenable à terme. C'est également l'avis de Coralie Delaume:
«La Grèce est toujours surendettée, sa dette est insoutenable, le FMI l'a d'ailleurs affirmé dans plusieurs rapports. C'est pour cela qu'il se désengage de l'aide à la Grèce. Ses dirigeants sont pertinemment au courant qu'Athènes ne remboursera jamais. L'excédent budgétaire hors intérêt de la dette que le pays va dégager va principalement partir dans le service de la dette. Leurs perspectives afin de relancer l'économie sont quasi nulles. Ils n'ont qu'une infime marge de manœuvre.»
De plus, jusqu'ici, les banques grecques bénéficiaient d'un passe-droit pour leur refinancement auprès de la Banque centrale européenne (BCE). Depuis juin 2016, elles pouvaient apporter en garantie auprès de la BCE des titres de l'État grec, malgré une qualité trop basse pour les standards habituels de la BCE. Une faveur qui prendra fin le 21 août.
«Tout d'abord, il y a un attachement un peu maladif à l'euro. Deuxièmement, les dirigeants des pays qui ont prêté à la Grèce ne veulent pas assumer devant leurs opinions publiques qu'ils vont finalement en être de leur poche. Quand on prête à un pays, on gagne de l'argent avec les intérêts. Mais s'il cesse de rembourser, on perd tout. L'Allemagne, qui est un énorme prêteur en Europe, ne veut pas en entendre parler. Les Allemands sont très jaloux par rapport à leur épargne. Pour l'instant, Berlin n'a fait que prêter à Athènes. Si demain, l'Allemagne devait vraiment payer pour la Grèce, cela provoquerait un tollé politiquement intenable. Et la montée du souverainisme s'en trouverait renforcée», analyse Coralie Delaume.
Olivier Delamarche prône une solution radicale qui, à coup sûr, ferait hérisser des poils à Bruxelles:
«La seule solution pour la Grèce est de sortir de l'euro et de faire défaut sur sa dette qui est détenue ultra majoritairement par des agents économiques étrangers.»
Dans le cas contraire, il ne voit pas la Grèce sortir la tête de l'eau:
«Vous pouvez être sûrs que vous entendrez à nouveau parler de la crise grecque dans peu de temps. Tant que le pays restera dans l'euro, il ne s'en sortira jamais. Cette monnaie n'est absolument pas adaptée à l'économie de la Grèce. On mélange des choux et des carottes. Vous aurez d'autres plans d'aide, d'autres allongements des durées de remboursement, tout ceci est une histoire sans fin.»
Quand on lui rétorque qu'en cas de défaut, les investisseurs ne feraient plus confiance à Athènes, le gérant de fonds d'investissement est catégorique et assure qu'il n'en sera rien:
«Après le défaut de l'Argentine en 2001, les investisseurs faisaient la queue pour mettre leur argent dans le pays. Si la Grèce fait défaut, je serai le premier à investir. Elle n'aura plus de dettes et une monnaie à elle, dévaluée, qui lui donnera des marges de manœuvre. Le pays repartira et les gens qui miseront dessus bénéficieront d'un bon retour sur investissement. Quand votre dette est détenue par des agents intérieurs, c'est compliqué. Dans le cas de la Grèce, c'est tout à fait possible. Après on pourra dire que ce n'est pas correct de leur part. Mais nous avons été tout sauf corrects vis-à-vis d'eux.»