Le 13 juillet 2015 au petit matin, Alexis Tsipras acceptait le plan de sauvetage proposé par les créanciers de la Grèce. Au terme d'une nouvelle longue nuit de négociations à Bruxelles, le Premier ministre grec, élu sur un programme radical anti-austérité, finissait par céder sur tout ce que ses concitoyens venaient de refuser par référendum. Un programme d'aide consenti par la "troïka" (FMI, BCE et Commission européenne) en échange de mesures drastiques d'austérité. Trois ans plus tard, et après avoir reçu quelques 273 milliards d'euros d'aides depuis 2010, l'économie du pays semble ragaillardie et la croissance est de retour. Athènes va pouvoir quitter la tutelle de Bruxelles et emprunter seule sur les marchés. Mais les salaires et les retraites ont été divisés par deux, les impôts ont explosé, une large partie du patrimoine public a été privatisé et près d'un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté. Par ailleurs, il n'est pas à exclure que les politiques de rigueur empêchent la Grèce d'atteindre des taux de croissance suffisants pour faire baisser sa dette. Les plans de sauvetage ont-ils aidé les Grecs ou leurs créanciers?
Jacques Sapir et Clément Ollivier reçoivent Bruno Tinel, économiste, maître de conférences à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et auteur de Dette publique: sortir du catastrophisme (éd. Raisons d'agir, 2016), et Rémi Bourgeot, économiste, chercheur associé à l'IRIS et spécialiste des déséquilibres commerciaux.
Bruno Tinel détaille les origines de la crise grecque: «Ce qu'on appelle la crise grecque, c'est au fond une crise de la zone euro, et le signe de son incapacité à compenser structurellement des déséquilibres entre États membres. Habituellement, quand des économies sont différentes et qu'elles croissent à des vitesses variables, ça donne lieu à des déséquilibres qui sont compensés par une augmentation ou une diminution du taux de change entre elles. À partir du moment où vous mettez dans une même zone monétaire des pays qui sont hétérogènes, tout ce qui auparavant s'ajustait bon an mal an grâce aux fluctuations des taux de change, ne peut plus s'ajuster de la même manière, et les ajustements ont lieu sur le marché du travail, sur le marché des biens etc. Pour compenser cela, il faudrait d'autres types de mécanismes, notamment budgétaires. La Grèce s'est en fait retrouvée avec une monnaie qui n'était pas tout à fait la sienne.»
Selon Rémi Bourgeot, «la Grèce, avant la crise de 2008, avait ses problèmes, mais elle n'avait pas vraiment cette situation de bulle immobilière qui a remis en cause le secteur bancaire quand elle a éclaté. Le discours politique qu'il y a eu à l'époque était décalé par rapport à la réalité de la situation. Il y a eu cette crise incontrôlable, très soudaine, qui a amené l'envolée des taux d'intérêts, et ensuite une politique qui défiait toute logique et mettait en avant une réflexion essentiellement morale. A posteriori, on a apporté des explications aux déséquilibres en insistant sur une prétendue dérive des salaires en Grèce, qui en fait n'avait pas vraiment lieu.»
Jacques Sapir insiste sur le fait que les plans de sauvetage ont été nocifs à l'économie grecque: «Les banques étrangères, la BCE et des pays comme l'Allemagne ont profité, au sens le plus direct et immédiat, de la mise en tutelle de la Grèce. La situation de la Grèce découle des plans d'austérité, et ces plans ont été mis sur pied non pas pour aider la Grèce, mais pour aider ses créanciers. Le scandale absolu vient de là: un petit pays a engraissé les riches d'Allemagne et de France. Mais la situation en Grèce ne se réduit pas à un transfert de ressources du pays vers l'UE. Il y a aussi un transfert de ressources internes. Les Grecs les plus fortunés ont pu se saisir de cette crise pour racheter, souvent avec des capitaux étrangers, une partie du patrimoine public. Derrière l'austérité se cache un immense transfert et une spoliation massive de la population.»