Qu'apprendrons-nous sur le fonctionnement du monde physique qui nous entoure quand ces lasers seront mis au service des expériences scientifiques?
Depuis la création des premières sources de rayonnement cohérent au milieu des années 1950 par Nikolaï Bassov et Alexandre Prokhorov (en URSS) et par Charles Townes (aux USA), la communauté scientifique a immédiatement compris leur importance pour la physique fondamentale et les technologies.
Dans les années 1960-1970 déjà ont été proposés de multiples projets d'utilisation des systèmes laser dans la physique fondamentale. Parmi les plus connus, on peut citer la fusion nucléaire laser et la création d'antimatière à partir du vide à l'aide d'un puissant champ laser. Cependant, l'un et l'autre nécessitaient un faisceau laser ultrapuissant, qui semblait inatteignable à l'époque.
Ils sont exploités dans la chirurgie laser et le diagnostic, la soudure laser et la découpe des matériaux, la métrologie, la chimie laser, et même dans certaines applications militaires — le spectre de leur usage est immense.
Ils sont même devenus l'un des éléments de base de pratiquement tout laboratoire physique.
Dans les entrailles de la Terre et du cosmos
Aujourd'hui, les lasers sont utilisés pour réaliser des mesures ultraprécises des distances microscopiques et des intervalles temporaires. En 2015, cela a permis aux collaborations LIGO et VIRGO de résoudre l'un des problèmes les plus complexes de la physique fondamentale depuis 100 ans: "attraper" les ondes gravitationnelles. Deux ans plus tard, les auteurs de cette découverte ont reçu le prix Nobel de physique.
"Le développement de la science des lasers permettra, à terme, de créer une horloge dotée d'une précision à la microseconde près durant toute la vie de l'univers et réagissant au changement gravitationnel", explique Andreï Kouznetsov, directeur par intérim de l'Institut des technologies laser et plasma du MEPhI.
"Qu'est-ce que cela apporte? Il s'avère qu'en apprenant à mesurer le temps avec une telle précision nous pourrons mesurer les changements locaux du champ gravitationnel de la Terre, ce qui permettra, par exemple, de trouver des gisements de matières premières. Le champ gravitationnel dépend de la densité et par conséquent, si la densité de la roche change, c'est qu'à cet endroit se trouvent un minerai lourd ou des couches pétrolières, ce qui se reflète sur le champ gravitationnel. De cette manière, une telle horloge permettra de découvrir des réserves d'hydrocarbures — de pétrole, de gaz, de métaux lourds, d'éléments des terres rares — mais aussi de créer des cartes gravitationnelles pour la navigation des sous-marins", explique l'expert.
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"Les chercheurs du MEPhI ont obtenu cette année un résultat qui permet d'espérer la réalisation de telles expériences fondamentales. C'est un travail de très grande classe que nous avons réalisé en collaboration avec l'Institut de physique Lebedev affilié à l'Académie des sciences de Russie", déclare Andreï Kouznetsov.
"Ce sont des valeurs immenses, quand on sait que la puissance du plus grand barrage du monde avoisine 0,05 TW. Grâce à ces faisceaux, il est possible d'obtenir et d'examiner en laboratoire une substance sous des pressions et des températures aussi élevées que dans le sous-sol des étoiles. C'est paradoxal, mais les lasers, en plus du télescope, deviennent l'un des principaux outils d'étude de l'espace lointain", explique Sergueï Poproujenko.
Réchauffer et retenir
Une compression encore plus dense de la substance par un faisceau laser permettra de le réchauffer jusqu'à des températures de centaines de millions de degrés, sous lesquelles est possible l'apparition d'une réaction contrôlée de fusion nucléaire.
"La maîtrise de l'énergie thermonucléaire est une tâche sur laquelle l'humanité planche depuis plus de 60 ans. L'humanité a appris à utiliser dans l'histoire récente l'énergie thermonucléaire dans une bombe, mais jusqu'à présent on ne parvient pas à l'utiliser à des fins pacifiques faute d'avoir réglé le problème de la rétention et du recyclage de l'énergie colossale libérée lors d'une réaction thermonucléaire", déclare Andreï Kouznetsov.
Le premier passe par le réchauffement et la rétention magnétique du plasma chaud dans un tokamak. Le second suppose que le dispositif laser, avec une énergie d'impulsion supérieure à 1 mégajoule, devrait, en quelques nanosecondes, placer l'énergie dans un carburant à base d'isotopes d'hydrogène (deutérium et tritium) d'un volume d'environ quelques millimètres cubes. Le carburant doit être comprimé tout en se réchauffant jusqu'à la température nécessaire pour une fusion nucléaire, puis se consumer entièrement et émettre l'énergie sous la forme de quanta gamma et de particules alpha.
"Quels sont les avantages des réacteurs thermonucléaires par rapport à leurs analogues nucléaires? Contrairement à l'uranium, les réserves de deutérium suffiront à l'humanité pour des millions d'années, en d'autres termes nous obtenons une réserve infinie d'énergie. D'un autre côté, l'énergie thermonucléaire permettra de créer de nouveaux moteurs et de réaliser le rêve de l'humanité: transporter les hommes non seulement sur Mars, mais également dans d'autres recoins du système solaire et au-delà", précise Andreï Kouznetsov.
Où les lois de la physique cessent de s'appliquer
Les lasers peuvent accélérer les particules chargées tout comme les accélérateurs linéaires, les synchrotrons et les cyclotrons. Pour cela, ils doivent atteindre non seulement une énergie élevée dans l'impulsion, mais également une forte intensité — l'impulsion doit être la plus brève possible et très focalisée.
"Il faut surtout noter que la multiplication par 3 ou 4 de l'intensité maximale du rayonnement laser permettrait de créer des conditions tout à fait uniques. A l'intérieur sera possible la formation d'un plasma électron-photon-positron très dense — objet qui aurait pu exister lors de la naissance de l'Univers. Dans un tel plasma, le rayonnement électromagnétique est si fortement lié à la substance que les lois traditionnelles de l'électrodynamique, notamment quantique, ne s'appliquent plus. Les propriétés d'un tel objet sont complètement inconnues pour l'instant — c'est un rare exemple de physique réellement fondamentale!", souligne Sergueï Poproujenko.
La construction de dispositifs laser assurant une si forte intensité de rayonnement est l'affaire d'un avenir assez proche. Les intensités nécessaires pour fabriquer le plasma électron-positron-photon à partir du vide pourraient faire leur apparition d'ici 10-20 ans. Cependant, les travaux de recherche sur le comportement de la substance et du vide à de très hautes intensités sont menés dès à présent.
Le MEPhI coopère activement avec de nombreux laboratoires laser, y compris le centre de recherche ELI Beamlines à Prague où l'assemblage de l'un des plus puissants lasers est en cours. Plusieurs diplômés et collaborateurs de l'Institut des technologies laser et plasma travaillent au ELI Beamlines et se rendent au MEPhI pour organiser des expériences.