Pensez-vous que les négociations sur l'avenir du transit de gaz via l'Ukraine influent ou pourraient influer sur la délivrance des autorisations nécessaires pour le Nord Stream 2?
«Non, je ne le pense pas. Il existe en Europe des règles claires de délivrance des autorisations de ce type, et ce processus doit être indépendant des négociations avec l'Ukraine. Par contre, le climat politique pourrait s'améliorer dans ce pays en cas d'entente éventuelle. Personnellement, je n'ai rien constaté de nouveau dans les sujets évoqués par Angela Merkel et Vladimir Poutine (dans le cadre des négociations sur le transit ukrainien, ndlr). Il y a un an, j'avais déjà remarqué les propos du président Poutine soulignant que les capacités ukrainiennes de transit seraient demandées dans le futur. Alexeï Miller (président de Gazprom, ndlr) et Alexandre Medvedev (vice-président de Gazprom, ndlr) ont dit la même chose. Ils ont également déclaré qu'il serait possible de maintenir le transit via l'Ukraine si ses conditions étaient raisonnables. Car en fin de compte, ce sont les consommateurs européens qui paient pour cela».
Le Conseil de l'UE examine des amendements à la directive gazière qui devraient introduire une nouvelle réglementation pour les gazoducs maritimes. Que pensez-vous de ce projet de loi?
«A mon avis, c'est une catastrophe du point de vue de la protection des investissements en Europe. Je veux dire que l'existence d'une lacune juridique concernant le Nord Stream 2 est un mythe. Nous avons une réglementation parfaitement claire concernant les gazoducs terrestres, ainsi que ceux qui lient l'UE aux pays hors de l'union. Ces règles ont servi de base à beaucoup de projets.
Je considère sincèrement tout cela comme une catastrophe car l'Europe n'est pas une république bananière qui adopte des lois avec pour seul objectif d'empêcher les investissements privés, bien que ces derniers visent à renforcer la sécurité énergétique de l'UE. C'est une honte».
Que pensent les milieux d'affaires européens des dernières actions des États-Unis? Il ne s'agit pas seulement de l'opposition au Nord Stream 2, mais aussi des tentatives de placer le GNL américain sur le marché européen.
«Je ne peux présenter que ma propre opinion. Les États-Unis ont lancé une guerre commerciale très agressive dans différents domaines. Je pense que les guerres commerciales ne favorisent jamais l'économie globale. Je suis absolument contre le point de vue selon lequel les guerres commerciales sont bénéfiques et qu'il est facile de les gagner. Si un pays tente d'imposer son produit à un marché à l'aide des sanctions, c'est encore pire. Les États-Unis veulent évidemment vendre leur GNL sur le marché européen, mais comprennent leur incapacité à faire concurrence au gaz de pipeline. C'est pourquoi il leur faut trouver un moyen d'empêcher l'Europe de recevoir ce dernier. Dans ce contexte, nous devons, à mon avis, protéger les liens énergétiques russo-européens, qui garantiront le maintien de la compétitivité de l'industrie européenne.
Regardez le marché du GNL. Il a fait très froid en février-mars 2018 mais l'Europe n'a reçu aucun GNL américain. Ce dernier est resté aux États-Unis où il faisait également très froid, ou est parti vers l'Asie qui offrait des prix plus élevés que l'Europe.
En ce qui concerne la sécurité énergétique de l'Europe, faut-il baser cette dernière sur le partenariat avec un pays qui estime que les guerres commerciales sont une bonne chose et qu'il est facile de les gagner?
Qu'est-ce qui arrivera demain, quand ils diront: «Mettons donc l'aluminium de côté et parlons du gaz»?
Il est nécessaire de protéger sérieusement nos intérêts, les intérêts de l'Europe. Cela signifie que nous avons besoin d'un accès le plus large possible aux sources de matières premières, et de l'infrastructure la plus fiable possible de livraison de ces ressources. Si le GNL américain était un jour capable de concurrencer le gaz de pipeline en matière de prix, j'en serais ravi car pour nous, c'est comme ça que fonctionne le business. Nous n'avons pas peur de la concurrence, mais ce jeu doit être honnête, sans aucun recours aux taxes ni aucune sanction visant à promouvoir un produit sur le marché».
«Je voudrais souligner que l'Europe n'a rien contre les achats de GNL américain, mais que si vous voulez vendre un produit, il faut trouver un client qui veut l'acquérir. Le prix est donc la question principale. Si vous voulez vendre un produit que personne ne veut vraiment acheter, quelqu'un sera obligé de surpayer».
Suivez-vous les nouveaux projets en Russie?
«Constamment. Comme je l'ai déjà dit, la Russie occupe une place importante dans notre portefeuille — pratiquement la moitié de notre production. C'est pourquoi il est nécessaire d'équilibrer notre portefeuille. D'autre part, nous élargissons considérablement l'extraction en Norvège et envisageons de travailler activement au Brésil, ce qui pourrait ouvrir de nouvelles opportunités. Surtout en cas de fusion avec DEA. Comme DEA ne possède aucun actif russe, la part des projets russes dans notre portefeuille baissera et je tenterai de l'élargir de nouveau, car je suis très satisfait de la part actuelle des projets russes dans notre portefeuille».
Wintershall Holding GmbH est fondé en 1894, son siège se trouve à Kassel. Wintershall est la plus grande entreprise pétrogazière d'Allemagne, appartenant à 100% au holding pétrochimique BASF. Elle s'occupe de la production d'hydrocarbures et du transport de gaz naturel, participe aux grands projets de transport de gaz Nord Stream (15,5%) et futur Nord Stream 2 (10%). Elle possède un réseau de gazoducs de plus de 2 000 km en Allemagne. Sa production a atteint 165 millions de barils équivalent pétrole en 2017, et ses réserves prouvées de pétrole et de gaz se chiffrent à 1,677 milliards de barils équivalent pétrole. Son bénéfice net s'est chiffré en 2018 à 719 millions d'euros, alors que son BAII a atteint 1,043 milliard.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.