Le multilatéralisme a de nouveaux défenseurs: le binôme Macron-Trudeau. À la veille du G7 qui se tient cette année au Québec, Justin Trudeau, Premier ministre canadien, reçoit Emmanuel Macron. Les deux hommes, qui ont abordé de nombreux dossiers de la relation bilatérale France-Canada, ont beaucoup de points communs, et s'accordent ce jeudi 7 juin autour d'un message au monde: les relations internationales doivent être régies par un «multilatéralisme fort». Remarquons, en aparté, la présence du mot «fort».
Si l'intervention américaine en Irak en 2003 a été analysée comme la fin du multilatéralisme, cela n'est pas tout à fait exact. Si l'on en croit la définition d'Emmanuel Macron, le multilatéralisme est une coopération de plusieurs États- au minimum trois- dans le but d'instaurer des règles communes ou une action commune. Et en cela, le bombardement en Syrie décidé par les États-Unis, le Royaume-Uni et la France est plus que comparable à l'intervention en Irak de 2003 recommandée par les États-Unis, le Royaume-Uni et l'Espagne. Il s'oppose pourtant à la vision classique de ce mot, illustrée par la première guerre du Golfe, celle de 1991, qui avait vu l'ONU et des dizaines de pays approuver l'intervention destinée à libérer le Koweït des armées de Saddam Hussein.
Jupiter ne cesse donc de prôner ce mode d'organisation internationale, notamment depuis son discours du 19 septembre dernier à la tribune des Nations unies. En cette vieille du G7, qui selon ses propres mots «intervient à un moment critique», Emmanuel Macron vise donc directement les États-Unis de Donald Trump en prêchant, en binôme avec Justin Trudeau, un «multilatéralisme fort».
En effet, le Président américain, qui avait pour slogan «America First», n'a cessé de critiquer les instances internationales. Il a pris des décisions, depuis le début de mandat, aussi bien en politique qu'en commerce international, dans l'intérêt exclusif des États-Unis, parfois pour son complexe militaro-industriel, parfois pour le peuple américain. La présence de soldats américains en Syrie et en Irak et sa décision annoncée sur l'accord nucléaire iranien sont des exemples de son unilatéralisme militaire. Les lourdes taxes sur l'importation d'aluminium et d'acier, imposées par les États-Unis et qui visent directement l'UE (Allemagne, France, Italie et Royaume-Uni) et le Canada, mais aussi le Japon illustrent son unilatéralisme économique. Durant ce G7, donc, les États-Unis seront face aux six autres pays-membres de ce groupe touchés par cette politique.
Mais prôner un retour au multilatéralisme qui est malmené par les actions unilatérales de Washington, est-ce bien cohérent? En analysant brièvement la politique internationale (commerce et militaire) des États-Unis, on s'aperçoit que ces derniers n'ont cessé de mener leur politique propre, et lorsqu'ils avançaient le multilatéralisme, c'étaient très souvent pour servir leurs intérêts. Mais fondamentalement, et contrairement à l'Union européenne à sa création, les États-Unis sont plus que réfractaires à l'application du multilatéralisme pour régir les relations internationales, surtout s'il est «fort».
Tout d'abord parce que les grands enjeux du XXIe siècle, la question du terrorisme et du climat notamment, ne peuvent être résolus que par une coopération interétatique. De plus, la France se sert de ce multilatéralisme comme d'un moyen de puissance. En effet, la France est très bien représentée dans les instances internationales et notamment au CS, dont elle est l'un des cinq membres permanents. Sa capacité de dissuasion nucléaire, qu'elle préserve jalousement, de concert avec les autres nations dotées de l'arme nucléaire, en est une autre illustration.
Cependant, Emmanuel Macron semble aller à contresens de la conjoncture actuelle. En effet, outre les États-Unis de Donald Trump, la Chine, même si elle évoque la nécessité du multilatéralisme, ne s'implique guère dans les instances internationales et dans les processus internationaux de paix. Elle aussi est une nation qui agit avant tout par unilatéralisme et développe ses relations bilatérales. La Russie, l'Iran ou encore l'Inde n'oublient pas de défendre leurs intérêts nationaux avant de prôner la coopération internationale. Et enfin, en Union européenne, le constat est encore plus tragique pour Emmanuel Macron. En effet, après l'épisode du Brexit, les idées nationalistes et populistes ne cessent de s'affirmer sur l'ensemble du continent européen: après la Hongrie, la Pologne, l'Autriche, la Slovaquie, la République tchèque, l'Italie a voté elle aussi contre une Union européenne qui glorifie le multilatéralisme et critique le choix souverain d'une nation.
La France, par l'intermédiaire de son Président, risque donc s'enfermer dans une vision utopiste, une vision passéiste, d'autant plus qu'il ne peut y avoir de réel multilatéralisme, de réelle coopération interétatique sans États-nation, et donc sans monde multipolaire. Or, sur la plupart des dossiers internationaux, Paris a tenté une politique de l'entre-deux ou du «en même temps» qui n'a finalement favorisé ni ses intérêts immédiats ni l'affirmation d'autres pôles de puissance susceptibles d'équilibrer quelque peu la surpuissance américaine. Ainsi, sur le dossier iranien, sa position ambiguë, si elle est tout de même assez proche de celle de ses alliés de l'UE, semble être plus proche de celle de Washington que celle de Moscou. Parlant de la Russie, sa main tendue à Vladimir Poutine ne l'a-t-elle été qu'à moitié et la France n'a pas saisi l'occasion de tenter de réintégrer la Russie dans le jeu multilatéral. Moscou, qui faisait partie du G8 jusqu'en 2014, en a été suspendue à la suite de l'affaire de la Crimée, et c'est donc un «G sept et demi» qu'Emmanuel Macron aborde avec une fois de plus une position mi-figue mi-raisin.