The Wall Street Journal, fleuron de la presse d'affaires américaine, a annoncé il y a deux semaines que selon ses sources à la Maison-Blanche le Président américain avait lancé un ultimatum à Angela Merkel: l'Allemagne devait renoncer au Nord Stream 2 en échange de l'accord de Trump pour entamer des négociations en vue de prévenir une guerre commerciale entre les États-Unis et l'Union européenne.
Comme le gouvernement américain a finalement introduit les taxes annoncées en arguant que les importations d'acier et d'aluminium européens menaçaient la sécurité nationale des États-Unis, on peut conclure que pour le moment, Angela Merkel a fait preuve d'une détermination inhabituelle pour la classe politique européenne en ce qui concerne la protection des intérêts nationaux de l'Allemagne, en refusant de remplir les conditions posées par le Président américain.
On peut dire que l'UE a passé une étape importante de l'épreuve pour devenir l'un des pôles du futur monde multipolaire, mais le «happy end» n'est pas encore proche, du moins parce que Washington prépare une nouvelle série de sanctions contre l'UE.
Comme les autorités américaines ont tendance à exécuter leurs menaces et que la guerre commerciale a déjà commencé de fait, il serait utile d'examiner les scénarios éventuels d'évolution des événements après la future adoption de sanctions américaines contre les partenaires européens de Gazprom.
Il ne faut surtout pas penser que les sanctions mettront un point final à l'histoire difficile de la construction du gazoduc russe: au contraire, elles ne feront qu'ouvrir un nouveau chapitre. L'UE a déjà répondu de manière symétrique aux sanctions contre les métallurgistes européens (les taxes prohibitives sont justement des sanctions, même si elles ont été présentées comme des «mesures destinées à protéger la sécurité nationale») en imposant des taxes exorbitantes contre plusieurs dizaines de sociétés américaines, la liste complète des articles soumis aux droits de douane occupant plus de 10 pages.
Les autres actionnaires — Uniper, OMV, Engie, Wintershall — travaillent principalement en dehors des États-Unis et leurs activités sont concentrées en Europe, sans parler du fait que certains d'entre eux ont des actifs substantiels en Russie, ce qui servira de motivation supplémentaire pour résister aux sanctions américaines. Sur le plan strictement financier, même en cas de départ d'un ou plusieurs actionnaires, Gazprom peut très bien achever le projet seul (avec un soutien approprié de l'État russe), et l'unique problème pourrait résider dans le fait que certaines personnalités politiques européennes détesteraient la nouvelle situation si les sanctions américaines conduisaient bien à un renforcement supplémentaire du rôle de Gazprom, qui serait le seul acteur économique à posséder le gazoduc
À la question du quotidien autrichien Osterreich de savoir comment l'UE devrait réagir aux sanctions américaines, le vice-chancelier autrichien Heinz-Christian Strache a déclaré: «Il serait souhaitable que l'UE revoie sa position [à l'égard de la Russie, ndlr]. Car les sanctions ont surtout porté préjudice à l'économie autrichienne. J'ai toujours averti qu'il ne fallait pas laisser la Russie entre les mains de la Chine. Il est grand temps de mettre fin aux sanctions malheureuses et de normaliser les relations politiques et économiques avec la Russie».
Il ne faut pas sous-estimer l'inertie colossale des relations politiques et économiques entre les États-Unis et l'UE, mais il ne faut pas non plus surestimer leur influence. Il suffit d'observer les relations russo-ukrainiennes pour comprendre que même les rapports économiques très solides, une Histoire commune et de grandes victoires ensemble ne signifient rien si la politique d'au moins une des parties opte pour une rupture. À la différence de l'Ukraine qui n'est pas viable sur le plan économique sans la Russie, l'UE l'est absolument sans les États-Unis, et la seule chose qui lui manque est une protection militaire sûre et pas trop coûteuse — que la Russie pourrait lui fournir.