En effet, les deux chefs de file, Luigi di Maio du M5S et Matteo Salvini de la Lega ne semblent plus vraiment sur la même longueur d'onde. Alors que le premier a appelé ce 29 et 30 mai à travailler sur la formation d'un nouveau gouvernement, probablement moins «eurosceptique», le second est reparti en campagne: «J'ai passé des semaines à Rome à essayer de faire un gouvernement. Cela a été un effort inutile, maintenant je retourne au milieu des Italiens.»
En effet, Salvini ne cesse de communiquer, notamment sur les réseaux sociaux, sur ces derniers meetings:
Sa stratégie est simple. Devant le «coup d'État» du Président italien et les pressions, voire les menaces extérieures, qui ont vivement fait réagir les citoyens italiens, le leader de la Lega veut capitaliser et remporter une nouvelle victoire, encore plus importante, lors des prochaines élections, qui pourraient avoir lieu à la fin de l'été, comme le souligne Jacques Sapir:
«Nous allons vers de nouvelles élections en Italie, sans doute en octobre, mais peut-être même fin août. Les responsables des marchés financiers savent très bien que les sondages, actuellement, donnent la Lega en forte croissance (elle serait passée de 18% à 26%) et le M5S reste stable au-dessus de 30%. C'est logique; l'exaspération des électeurs est à son comble.»
Mais comment en est-on arrivé là? Comment se fait-il que l'Italie n'ait toujours pas de gouvernement à sa tête alors que les élections législatives datent de près de trois mois?
La cause? Le refus du Président Mattarella de valider le choix du ministre de l'Économie. En effet, le candidat pressenti, Paolo Savona, ancien homme politique et économiste italien reconnu, a été retoquée par Sergio Mattarella qui a justifié sa décision:
«L'incertitude en ce qui concerne notre position a alarmé les investisseurs et les épargnants, tant en Italie qu'à l'étranger. L'adhésion à l'euro est un choix fondamental. Si nous voulons en discuter, alors, nous devons le faire de façon sérieuse.»
À demi-mot, le Président italien explique qu'il ne peut valider la candidature de Savona pour des raisons politiques. Ce dernier, ancien ministre, est connu pour sa critique de la monnaie européenne et n'a jamais caché son aversion pour la puissance allemande. Si la décision de Mattarella trouve donc une justification, elle pourrait ne pas être conforme aux prérogatives accordées au Président, comme le dénonçait Mario Borghesio, élu de la Lega, le lundi 28 mai:
«Le refus du Président d'accepter la nomination d'un ministre est très grave, parce que la Constitution italienne ne donne pas au Président de pouvoir empêcher la nomination d'un ministre pour des raisons politiques.»
Cette critique de Mario Borghesio a aussi été reprise par la formation M5S, qui demande explicitement, par l'intermédiaire de Luigi di Maio, la destitution du Président Mattarella. De plus, le député européen du Groupe Europe des Nations et des Libertés dénonce la «souveraineté limitée» de son pays causée par une «ingérence insupportable»:
«Je pense que la seule explication de cette décision tout à fait contraire à l'esprit de la Constitution italienne provient des pressions énormes que le Président de la République a subies de la part de lobbys étrangers, financiers et politiques: des pressions de la part des chancelleries françaises et allemandes, de plusieurs commissaires européens.»
L'Italie et son Président auraient-ils subi des pressions extérieures?
Pierre Moscovici déclarait ce 28 mai: «il faut arrêter de penser qu'à Bruxelles on est en train d'imposer tel ou tel choix démocratique ou antidémocratique au peuple italien.» Cependant, la réalité semble contredire les propos du commissaire européen chargé des Affaires économiques et financières.
En effet, certaines autorités politiques en Union européenne, comme Bruno le Maire, n'ont pas hésité à mettre en garde l'Italie: «Si le nouveau gouvernement prenait le risque de ne pas respecter ses engagements sur la dette, le déficit, mais aussi l'assainissement des banques, c'est toute la stabilité financière de la zone euro qui serait menacée.» Et d'ajouter en toute sérénité:
«Chacun doit comprendre en Italie que l'avenir de l'Italie est en Europe et nulle part ailleurs, et pour que cet avenir soit en Europe il y a des règles à respecter.»
Le ministre français de l'Économie, dès le 20 mai, avait clairement fait entendre que la politique choisie par la coalition M5S-Lega- refus des «diktats» de Bruxelles et de sa politique d'austérité- était une menace pour la stabilité de la zone euro. Ces déclarations avaient mis le feu aux poudres et avaient fait grandement réagir les principaux accusés:
À l'instar de Bruno le Maire, les déclarations de nombreux hauts fonctionnaires de l'UE et de l'Allemagne ont, elles aussi, participé à la pression mise sur le Président Matterella.
Ainsi, Valdis Dombrovskis, le vice-président de la Commission européenne chargé de l'euro, rappelant que l'Italie a l'endettement public le plus important de la zone euro après la Grèce, avait exhorté son voisin à «maintenir le cap en matière de politique économique et financière, à promouvoir la croissance via des réformes et à maintenir le déficit budgétaire sous contrôle.»
Si d'autres hauts fonctionnaires européens ont participé à cette politique de menaces et de pressions, l'Allemagne a, elle aussi, joué son rôle pour nuire aux nouvelles orientations politiques, pourtant décidées par les citoyens italiens. Ainsi, le ministre allemand de l'Europe, Michael Roth, espère que «l'Italie formerait bientôt un gouvernement stable et pro-européen». Quant au député de la CDU, Eckhardt Rehberg, il considère que «l'Italie joue avec le feu et met en danger la zone euro».
«Ma préoccupation est, et mon attente est, que les prochaines semaines montreront que les marchés, que les emprunts d'État, que le développement économique de l'Italie pourraient être si radicaux qu'ils constitueraient un signal possible pour les électeurs, de ne pas choisir les populistes de gauche et de droite.»
Si les propos d'Oettinger, dans un premier temps synthétisés en un lapidaire «les marchés vont apprendre aux Italiens à bien voter», ont entraîné une très vive polémique en Italie, il n'en reste pas moins qu'ils expriment clairement que les marchés financiers désapprouvent la décision démocratique italienne et l'ont fait savoir. En effet, un vent de panique a soufflé ces derniers jours en bourse et notamment ce mardi 29 mai. Et même si la situation s'est quelque peu améliorée depuis, elle reste explosive.
Finalement, il convient de constater que le choix présidentiel de charger un ancien du FMI, Carlo Cottarelli, en faveur de l'austérité, n'entraîne pas une réelle accalmie sur les marchés. En effet, la crise politique risque de perdurer, parce que cette nouvelle orientation politique et la gestion de ce nouveau Président du Conseil n'obtiendront jamais la confiance du Parlement.
Donc retour aux urnes? En ce 31 mai, même si de nouvelles tractations, à l'initiative du leader Luigi di Maio, s'organisent pour proposer un nouveau gouvernement, la position actuelle de Salvini ne penche pas dans cette direction. Ce dernier demanderait en effet que l'équipe ministérielle proposée au Président Mattarella, il y a maintenant près d'une semaine, soit totalement acceptée. Et on imagine mal que le Président italien accepte finalement le choix de Paolo Savona.
On se dirige donc très probablement vers de nouvelles élections législatives, qui risquent bien d'être encore plus à l'avantage des forces hostiles à la stratégie politique et financière européenne, comme le résume Jacques Sapir:
«Ces nouvelles élections vont renforcer la coalition M5S-Lega, et lui donner, en raison de la loi électorale, la majorité des deux tiers pour "démissionner" le Président et modifier la Constitution. Les dirigeants des "marchés" comprennent que le Président Mattarella a joué avec le feu.»
Seul cas de figure favorable aux tenants de l'orthodoxie bruxelloise: un retournement de situation inédit, ou qui pourrait ressembler à celle de la Grèce et de Tsipras en 2015: