«C'est un sujet hyper sensible»! Les économistes qui possèdent une expertise sur l'Iran sont unanimes: les activités chiffrées des entreprises françaises qui commercent en Iran sont introuvables ou très succinctes, parce que les entreprises ne souhaitent pas communiquer sur leur business iranien. Les communiqués de presse de ces entreprises sont rares et s'ils existent, ne dévoilent que très peu d'informations.
Présent depuis 1954, l'entreprise pétrolière et gazière avait repris ses activités depuis l'allégement des sanctions, en 2016, en développant notamment les domaines de l'exploration-production et du «Trading-Shipping» et surtout en signant un gigantesque contrat pour le développement de la phase 11 du champ gazier de South Pars (SP11) avec un investissement d'environ 5 milliards de dollars. Cependant, les dirigeants de l'entreprise ont annoncé qu'ils devraient —sauf miracle- renoncer à l'exploitation du plus grand gisement de gaz naturel du monde, comme l'indique clairement le communiqué de presse datant de 16 mai 2018:
«Total ne pourra pas continuer le projet SP11 et devra mettre fin à toutes les opérations qui y sont liées avant le 4 novembre 2018, à moins qu'une dérogation propre au projet ne soit accordée par les autorités américaines, avec le soutien des autorités françaises et européennes.»
«SP11 est un projet de développement de gaz domestique, destiné à répondre aux besoins du marché intérieur iranien pour lequel Total a mis en œuvre volontairement une politique s'assurant qu'aucun des prestataires ne participant au projet ne soit affilié au corps des gardiens de la révolution, apportant ainsi une contribution aux objectifs de politique étrangère visant à restreindre la sphère d'influence de ce groupe.»
Engagé sur la scène américaine et dépendant des banques et de l'actionnariat américain, le groupe précise cependant que l'investissement réalisé jusqu'ici ne dépasse pas les 40 millions de dollars et que ce possible désengagement en Iran «n'aurait pas d'impact sur son objectif de croissance de production de 5% en moyenne par an entre 2016 et 2022».
«Nous n'avons pas d'infrastructures en Iran, en revanche nous avons des équipes d'ingénierie qui travaillent pour des clients dans ce pays. Nous avons 180 jours pour mettre fin à ces contrats, ce qui nous mène à novembre prochain. Et ce sera fait.»
Outre les fleurons français de l'énergie, Thales a également indiqué son prochain départ dans un communiqué qui mentionne que le groupe se conformerait «aux décisions internationales qui seront prises sur le sujet.» Quant au groupe Accor, présent dans près d'une centaine de pays, il va aussi devoir abandonner son activité hôtelière en Iran. Alors même qu'il était le premier opérateur étranger à s'y implanter, AccorHotels va devoir renoncer à un marché «vierge» de 80 millions d'habitants. Le Président-directeur du groupe avait alors déclaré le 15 septembre 2015:
«Nous sommes très heureux de concrétiser ce partenariat avec ARIA Ziggurat en Iran. Nous avons la certitude que Novotel et Ibis s'intègreront parfaitement à la dynamique de croissance du secteur hôtelier en Iran. Le potentiel de développement pour nos marques est énorme dans ce pays de près de 80 millions d'habitants et dont l'économie est en plein essor. Notre ambition est de développer un réseau dense dans le pays en s'appuyant sur l'ensemble de nos marques qui couvrent tous les segments haut et moyen gamme comme économique.»
Pierre-Olivier Salmon, chef du bureau d'information du Groupe PSA, joint par Sputnik ce 29 mai, résume parfaitement la communication générale des entrepreneurs en Iran, qui n'ont pas encore annoncé leurs décisions:
«Comme l'ensemble des acteurs économiques, nous suivons l'évolution de ce sujet, y compris la position officielle singulière exprimée par l'Union européenne sur ce dossier. Le Groupe PSA rappelle que ses activités automobiles sont totalement conformes à la réglementation internationale.»
Dans le domaine de l'aéronautique, Airbus, qui devait livrer 100 avions aux compagnies iraniennes pour qu'elles renouvellent leurs flottes, risque de ne pas vendre beaucoup plus que les trois appareils déjà livrés, alors que le contrat s'élève à près de 18 milliards de dollars. En effet, en plus des contraintes précédemment citées, l'avionneur européen devra rapidement renoncer à son contrat avec l'Iran parce qu'au moins 10% des pièces nécessaires à la fabrication de ses avions proviennent des États-Unis.
Ces entreprises- liste non exhaustive- pourraient donc toutes devoir quitter l'Iran et abandonner leurs activités de développement, de vente ou encore d'échange afin de ne pas risquer l'application des sanctions américaines. Si cette prévision est vraisemblable, on ne peut affirmer pour le moment de manière précise si telle ou telle entreprise lâchera son marché iranien parce que leur communication à ce sujet est quasiment inexistante. Et ce phénomène ne s'explique pas par un manque de moyens.
Alors que l'Iran a subi des sanctions des États-Unis depuis 1979 et est sous embargo international, décidé par l'ONU, depuis 2006, l'accord sur le nucléaire iranien de 2015 devait révolutionner la situation économique de Téhéran: un arrêt de la production d'enrichissement d'uranium à des fins militaires en contrepartie d'une levée progressive des sanctions contre l'économie et le commerce iranien. Cette révolution programmée a donné lieu à un optimisme, mesuré, mais réel, des entreprises européennes et notamment françaises, historiquement liées à la Perse puis à l'Iran. Mais, la décision récente de Donald Trump de sortir de l'accord nucléaire validé en 2015 par l'Iran et les 5 +1, bouleverse la belle et forte présence française en Iran.