Nouvelles turbulences pour Air France! La compagnie a connu une chute de 9% du nombre de passagers transportés en avril, annonce ce 11 mai la direction de la compagnie aérienne. Conséquence directe des grèves à répétition qui frappent le transporteur? Il a en effet subi 11 jours de grève entre février et avril dernier et les syndicats représentés au sein de la compagnie aérienne française ont appelé à la mobilisation le 4 mai dernier pour quatre jours supplémentaires durant le mois des ponts.
Le soir même, Bruno Le Maire s'exprimait sur BFMTV pour dresser un portrait très sombre de la situation économique d'Air France. Estimant que «la situation économique de l'entreprise est mauvaise» et que sa «survie est en jeu», le ministre de l'Économie pointait du doigt les réformes nécessaires pour que la compagnie aérienne française redevienne compétitive:
«Si Air France ne fait pas les efforts de compétitivité nécessaires qui permettront à ce fleuron national d'être au même niveau que Lufthansa ou d'autres grandes compagnies mondiales, Air France disparaîtra. […] Ceux qui pensent que, quoi qu'il arrive, l'État viendra à la rescousse d'Air France se trompent.»
Selon M. Le Maire, Air France serait face à deux problèmes: d'une part, le manque de dialogue social et d'autre part, le manque de compétitivité de l'entreprise et le ministre a appelé le prochain président du groupe à s'atteler à ces problèmes:
«La feuille de route du prochain président d'Air France est claire: le rétablissement du dialogue social comme priorité absolue et en deuxième lieu, le rétablissement de la compétitivité.»
Mais Air France va-t-elle si mal? De l'avis de Philippe Evain, représentant du Syndicat National des Pilotes de Ligne (SNPL), l'analyse du ministre de l'Économie est biaisée. Il assurait au micro d'Yves Calvi que «non, la survie d'Air France n'est pas en jeu» avant de se déclarer «vraiment choqué par les propos de M. Le Maire.»
Le représentant syndical, répondant au ministre de l'Économie, soulignait le «climat d'incompréhension» régnant au sein de l'entreprise, fustigeait la «parodie de négociation conduite par le DRH» d'Air France et rappelait que, contrairement à ce qu'avait laissé entendre Bruno Le Maire, Air France ne bénéficiait pas du soutien direct de l'État.
«Air France ne demande pas que l'on éponge ses dettes, elle n'en a quasiment plus et n'a rien touché de l'État depuis plus de 25 ans. […] Non, la survie d'Air France n'est pas en jeu, en tout cas, pas à court terme.»
Tout comme les constructeurs automobiles, les compagnies aériennes sont des symboles pour les grandes nations industrialisées. Mais leur rôle n'est pas que symbolique. Les transports sont stratégiques dans un monde où les distances s'effacent et la maîtrise des transports induit la maîtrise des flux.
En 2015, Bruno Le Roux, chef des socialistes à l'Assemblée nationale, s'était dressé contre Manuel Valls pour se faire temporairement l'avocat d'Air France. Il déclarait ainsi à l'époque:
«La question qui se pose, si la compagnie à des difficultés n'est pas tant de savoir s'il y aura des avions Air France, mais pour qui ils voleront et pour quels intérêts. Je pense qu'il est de l'intérêt de la France que des compagnies volent pour relier la France au reste du monde. C'est l'un de nos outils de souveraineté».
Il est certes indéniable qu'Air France pâtit d'un manque de compétitivité, de même qu'il est vrai que la compagnie aérienne française est l'une de celles qui rémunèrent le mieux ses employés. Pour autant, il n'est pas tout à fait juste de faire peser tout le fardeau de la compétitivité sur les salaires. Philippe Evain le reconnaissait d'ailleurs bien volontiers. C'est sur les causes de ce problème de rentabilité que son analyse diffère de celle de M. Le Maire et se rapproche de l'avis de Bruno Le Roux. M. Evain proposait en effet d'agir sur les charges auxquelles Air France est soumise pour améliorer la compétitivité de la compagnie.
«Il y a un problème de rentabilité dû aux charges et aux taxes que l'État impose à [Air France ] chaque année. L'État fait peser près d'un milliard par an de charges sur Air France. C'est cela qui empêche notre développement. […] Ce milliard, à la fin de l'année, on ne l'a pas pour investir, pour essayer de capter des marchés.»
En 2013, les compagnies aériennes françaises, en difficulté à cause de la crise, avaient lancé un appel pour ne pas augmenter les taxes sur le secteur dont «le poids croissant [mettait] en péril leur survie» alors qu'une hausse de près de 13% était envisagée.
Deux ans plus tard, l'État décidait d'augmenter les redevances aéroportuaires à la demande d'Aéroports de Paris, dont il est actionnaire, malgré les vives protestations de l'ensemble des compagnies aériennes. Basée à Paris, la flotte d'Air France a été la première touchée par ces augmentations: elle devra ainsi verser 15 millions d'euros à ADP sur la période 2016-2020 et comme le souligne un confrère de Challenges, «en interne, on estime qu'il est impossible de répercuter sur le prix des billets au vu de la concurrence».
La privatisation prévue d'Aéroports de Paris serait-elle la cause de ce boulet supplémentaire attaché aux pieds d'Air France?