Les masques commenceraient-ils à tomber? Après les frappes occidentales en Syrie, menées dans la nuit du13 au 14 avril, la presse anglo-saxonne commence à se poser des questions concernant les preuves qu'Emmanuel Macron clame avoir en sa possession.
«Les patients, dit-il, étaient atteints, non pas par du gaz, mais par un manque d'oxygène dans les tunnels et les caves remplis de débris dans lesquels ils vivaient, lors d'une nuit où des bombardements intensifs, associés à de forts vents, avaient soulevé une tempête de poussière et de sable.»
Le médecin en chef raconte la scène au journaliste: alors que des personnes souffrant d'hypoxie commençaient à affluer dans la clinique, un Casque blanc à la porte d'entrée s'est écrié «gaz!», provoquant un mouvement de panique et poussant les gens à s'arroser d'eau les uns les autres. Ainsi, si la vidéo est bien «authentique», celle-ci ne montre pas des victimes d'une attaque chimique, mais de personnes en manque d'oxygène.
De leur côté, les fameux Casques blancs auraient, selon une femme, pris les bus affrétés par les autorités syriennes et russes pour rejoindre la province d'Idlib en compagnie des groupes armés.
Pearson Sharp, un autre journaliste de terrain américain a visiblement vécu une expérience similaire en présence des habitants de Douma et des médecins de la clinique d'où provenait la vidéo tournée par les Casques blancs.
Des observations lors d'enquête de terrain effectuées par des journalistes expérimentés et peu suspects a priori de sympathies prorusses et pro-Bachar, qui viennent quelque peu mettre à mal le «faisceau de preuves» sur lequel reposait l'attribution aux forces gouvernementales syriennes de la responsabilité de l'attaque chimique du 7 avril à la Ghouta.
Jugé «suffisant», ce «faisceau de preuves» reposait, selon les informations obtenues par «la France et ses alliés», sur les «témoignages, photos et vidéos apparus spontanément sur les sites spécialisés, dans la presse et les réseaux sociaux dans les heures et les jours qui ont suivi l'attaque», est-il expliqué dans le document déclassifié justifiant les frappes.
Des éléments dont la crédibilité tiendrait, au-delà de la «spontanéité» de leur mise en ligne, au fait qu'«une partie des entités ayant publié ces informations est reconnue comme habituellement fiable». En somme, une analyse des réseaux sociaux: publications et autres retweets.
Un discours qui, contrairement aux opérations militaires françaises passées, n'a pas suscité d'«union sacrée», loin de là et ce malgré les menaces à peine voilées de François de Rugy. Comme le relate France 24, le Président LREM de l'Assemblée nationale déclarerait que le débat devait permettre aux Français de «voir qui est avec qui», qui parmi les parlementaires «fait preuve d'une grande mansuétude, pour ne pas dire une grande faiblesse, à l'égard de la Syrie de Bachar el-Assad, mais aussi de la Russie.» La Russie, que les États-Unis avaient menacée dimanche de nouvelles sanctions pour leur soutien aux autorités syriennes dans cette crise.
En effet, si dès le 14 avril au soir Florence Parly, ministre des Armées, soulignait lors d'une conférence de presse à Balard qu'«un centre de recherche et des sites de production et de stockage du programme chimique clandestin du régime syrien» avaient été pris pour cible, la clandestinité du centre de Barzeh est vite remise en question: celui-ci faisant l'objet de deux inspections annuelles de l'OIAC, comme le rappelle Olivier Berruyer sur son site Les Crises. En novembre 2017, les experts de l'ONU n'avaient rien décelé d'anormal.
Un doute, quant à la véracité des objectifs, qui en Syrie vire à la dérision, comme le souligne Libération, certains parlant d'une «usine de liquide vaisselle» détruite. Par ailleurs, le volet opérationnel n'est pas exempt de critiques. Douze tirs de missiles continentaux, nécessitant la mobilisation de dix-sept vecteurs aériens et cinq bâtiments de la marine nationale, pour détruire un seul objectif.
Un déploiement de force particulièrement lourd et coûteux, pour une frappe très symbolique. Dans un billet, Jacques Sapir ira jusqu'à parler de «stupidité tactique», d'autant plus que selon la défense russe, près de 70% des missiles (71 sur 103) auraient été interceptés ou déviés par la défense antiaérienne syrienne. Un bilan à mettre en parallèle avec les déclarations de Florence Parly qui assurait devant les journalistes que «tous nos missiles sont parvenus à leur objectif, il y a donc lieu d'être fier du travail accompli!»
Autre son de cloche dissonant avec le discours officiel français, à nouveau du côté britannique: les interrogations, sur la BBC, d'un ancien haut gradé de la Marine et du Renseignement de Sa Majesté quant à la véracité des preuves françaises.
«En fait, c'est le seul moyen qu'ils ont de stopper la victoire inévitable d'Assad,» déclare le baron Alan West, ancien Commandant général de la Royal Navy et ministre de la Sécurité de Gordon Brown, qui souligne les «énormes bénéfices» que les groupes rebelles pouvaient tirer de faire attribuer une attaque chimique à l'armée syrienne.
Favorable à des frappes en cas d'usage avéré d'armes chimiques, peu tendre à l'encontre des considérations russes, Lord West s'inquiète toutefois du manque d'impartialité des observateurs de terrain sur lesquels les occidentaux s'appuient en Syrie, en l'occurrence les Casques blancs et se réfère à sa propre expérience, en espérant que les preuves françaises ne se résument pas à de l'analyse de réseaux sociaux.
«Nous avons eu de mauvaises expériences concernant le Renseignement. Quand j'étais chef des renseignements de la Défense, je subissais d'énormes pressions politiques, essayant de me faire dire que notre campagne de bombardements en Bosnie accomplissait toutes sortes de choses qu'elle ne faisait pas.»
Quoi qu'il en soit, face aux critiques des parlementaires de droites et de gauche, Emmanuel Macron et son gouvernement peuvent se reposer sur l'absence de critique de la presse française ainsi que le soutien sans faille des jeunes députés de sa majorité.