«C'est un changement de posture qui est très significatif. […] Le seul État stable dans la région reste Israël. Donc pour l'Arabie saoudite […] le meilleur allié, c'est Israël. En plus, Tel-Aviv et Riyad sont d'accord sur le fait que l'Iran est, pour eux, considéré comme l'ennemi principal, donc il y a un rapprochement d'intérêt qui est effectivement assez intéressant.»
Pierre Conesa, spécialiste des questions stratégiques et fin connaisseur de l'Arabie saoudite, démontre que Mohammed ben Salmane (MBS), par ses déclarations du 2 avril 2018, applique le dicton bien connu «les ennemis de mes ennemis sont mes amis». En effet, le prince héritier du Royaume saoudien a livré son sentiment sur son voisin israélien: Israël a «droit» à son État-nation.
Ainsi, cette simple déclaration semble être grandement significative de l'évolution du jeu des alliances au Moyen et au Proche-Orient. Même si MBS ne révolutionne pas la politique internationale, il permet de clarifier la situation conflictuelle dans la région. Mais alors que révèle sa communication? MBS, pion de la stratégie des États-Unis, meilleur allié d'Israël? Pour Pierre Conesa, la réalité est toute autre:
«Je crois que c'est plutôt un alignement de la politique américaine par rapport à ses alliés dans la région. […] Je considère que c'est Trump, qui est un personnage versatile et qui en même temps est difficilement prévisible en cas de déclenchement d'un conflit.»
pour appuyer ses propos, Pierre Conesa prend l'exemple de Donald Trump qui a accusé l'Iran d'être la principale source de terrorisme mondial, alors que durant sa campagne électorale, le candidat Républicain avait pointé du doigt l'Arabie saoudite, et ajoute:
«Avoir l'appui des États-Unis dans cette région, cela peut être considéré comme une espèce de feu vert pour une guerre régionale. […] C'est cela qui fait cette alchimie inquiétante, où on voit bien que MBS cherche des alliés solides, Israël en fait partie, mais qu'en fait, les Américains sont dans une politique de suivisme qui est totalement imprévisible.»
D'ailleurs, pour conforter ses positions dans l'opinion internationale, MBS n'hésite pas, dans une communication très rodée, à reprendre les codes de la doxa politique et médiatique occidentale. Il joue d'une part le pragmatisme en affirmant qu'«Israël est une grande économie», en «pleine croissance», ajoutant que «bien sûr, il y a beaucoup d'intérêts que nous partageons avec Israël». D'autre part, Mohammed ben Salmane se lance dans une reductio ad hitlerium en réitérant ses attaques contre le numéro un iranien, le guide suprême Ali Khamenei, dont il compare les ambitions territoriales à celles d'Adolf Hitler au temps du nazisme.
«C'est une manière effectivement de reconnaître qu'il y a eu une diplomatie et même une posture guerrière qui finalement est une forme d'échec. J'ai l'impression que MBS est rentré dans une politique de réalisme, qui est beaucoup moins théologique qu'elle ne l'était avec ses prédécesseurs.»
Si MBS devient pragmatique, il a aussi appelé son allié américain à maintenir ses forces en Syrie alors que Trump envisage un retrait: «Nous pensons que les troupes américaines devraient rester au moins à mi-parcours, sinon à long terme.» Rappelant que l'Arabie saoudite a été l'un des principaux déstabilisateurs du conflit syrien, le rendant, d'après Pierre Conesa plus meurtrier et plus complexe. L'ancien haut fonctionnaire au ministère de la Défense réagit sur la nouvelle stratégie de MBS:
«Comment peut-on accepter d'une part qu'Assad reste au pouvoir et qu'en même temps, il y ait des troupes américaines sur le territoire syrien? Les deux postulats sont totalement incompatibles. […] En fait, ce que souhaite MBS est qu'on puisse imaginer une espèce de partition de la Syrie, dans laquelle il y aurait des forces américaines qui garantiraient une certaine stabilité.»
Si cette stratégie n'est pas nouvelle, rappelons qu'elle fut envisagée dans les années 90 dans la Greater Middle East Initiative, MBS, une nouvelle fois, a le mérite d'énoncer le positionnement de l'Arabie saoudite et de ses alliés. Pour autant, aussi performante soit sa communication, elle ne suffit pas à faire de MBS un fin stratège, comme le rappelle Pierre Conesa, qui évoque la situation au Bahreïn, où l'Arabie saoudite a rétabli une monarchie sunnite dictatoriale gouvernant une population majoritairement chiite. Mais outre cette «drôle de guerre» qui sévit depuis 2012 au Bahreïn, l'actualité du Yémen et ses plus de 10.000 morts ternit largement la réputation de MBS:
«Il faut bien reconnaître qu'en termes de politique extérieure, le bilan de MBS est dramatique. […] Il a engagé son pays dans la guerre au Yémen et c'est une guerre qui n'aboutit pas, mais il a au moins obtenu que les médias ne parlent pas, ce qui est quand même une forme d'une grande capacité d'influence.»
«Personne ne fera jamais un reproche à MBS sur les droits de l'homme en Arabie saoudite. On appelle cela Realpolitik quand on veut être poli, on appelle cela hypocrisie quand on veut être honnête.»