Le Dialogue de Trianon à l’épreuve du réel

Un an après les premières annonces présidentielles des deux pays, le Dialogue de Trianon, plateforme d’échange entre les sociétés civiles de Russie et de France, démarre sa programmation et tente de présenter des résultats concrets. Sputnik France a interrogé à ce sujet des personnes clés du Conseil de coordination du Dialogue.
Sputnik

Un nom chargé d'histoire et de promesses, une histoire qui peine encore à se concrétiser. Le «Dialogue de Trianon» évoque aussi bien l'un des hauts lieux de l'histoire franco-russe que la dimension bilatérale de cette «plateforme de discussion entre les sociétés civiles».

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Mais bien que lancée sous le haut patronage des Présidents des deux pays il y a presque un an, le Dialogue de Trianon commence tout juste à produire des résultats et l'enveloppe cachetée par les sceaux de deux puissances européennes masque mal la nécessité de remplir le programme de manifestations.

Effet d'annonce et marge de manœuvre

C'est en mai 2017 qu'Emmanuel Macron, quelques jours après son élection, recevait Vladimir Poutine à Versailles et annonçait «le souhait de créer un échange plus intense (…) entre nos sociétés civiles». Une initiative qui s'inspire largement du Dialogue de Saint-Pétersbourg entre la Russie et l'Allemagne.

Bien que cet outil ait été mis en place par les plus hautes autorités, celles-ci n'ont pas vocation à le piloter. L'objectif est de mettre en relation les citoyens et de faciliter des projets bilatéraux, notamment culturels et d'éducation. Pourtant, il existe déjà les associations du même type —«de discussion, de réflexion», tels que le Dialogue Franco-Russe ou le Cercle Pouchkine. N'y a-t-il pas alors un risque de se retrouver avec une simple structure-parapluie, qui viendrait chapeauter des projets existants?

Structure légère et financement garanti

Par ailleurs, les jeunes, principale cible de la nouvelle plateforme, en ont-ils vraiment besoin, eux qui ont pris l'habitude de communiquer directement via les réseaux sociaux et alors que les échanges informels sont de plus en plus accessibles…

Anatoly Torkunov, coprésident du Dialogue de Trianon, a affirmé à Sputnik que

«le Dialogue de Trianon n'a aucun risque de devenir formaliste. Certes, il y a des réseaux sociaux [pour communiquer, ndlr], mais tous ne parlent pas français, tous ne parlent pas russe. Notre site va aider à échanger, il y aura des modérateurs qui vont aider ces échanges. C'est pourquoi je crois que ça ne fera qu'aider.»

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Une différence de taille par rapport au fonctionnement des autres entités de coopération bilatérale, qui vivent des fonds récoltés auprès de leurs adhérents: le budget de fonctionnement de 2 millions d'euros est alloué par chaque gouvernement. Et en tant que coprésident, le Recteur de l'Institut d'État des relations internationales de Moscou (MGIMO), l'école de diplomatie russe, se porte garant de la facilité des contacts directs entre les deux pays:

«Nous avons essayé de faire en sorte que le conseil de coordination ne comprenne pratiquement pas de fonctionnaires. En fait, parmi ces membres, on trouve soit des représentants des milieux économiques qui sont là pour apporter leur soutien financier aux idées proposées par les participants du dialogue, soit des personnalités du monde de la culture, des journalistes, un certain nombre de personnalités publiques.»

De chaque côté, le conseil de coordination compte 15 personnes. Si on ne prend pas en compte les deux postes «d'apparat», de président et de secrétaire général, il reste 13 membres, qui «représentent des secteurs les plus différents» comme l'affirment les dirigeants… Pourtant, pour l'instant, ils préfèrent rester dans l'ombre.

«La Ville du Futur», thème de l'année 2018

Les premières rencontres autour du thème de l'année ont étés lancées dans le cadre du Forum Gaïdar en janvier dernier, à Moscou. Un forum réussi, pour Anatoly Torkunov:

«Il y a eu une salle de 300 personnes qui était bondée, il y avait des Russes et des Français. Beaucoup d'architectes français formidables, de fonctionnaires municipaux. Ceux-ci ont activement participé à cette session et ils venaient non seulement de Moscou, mais aussi d'autres villes lointaines.»

En mars 2018, plusieurs évènements ont marqué le début de l'action du projet en France: une conférence sur le thème de l'année, à Cannes, un lancement du «Dialogue» lors du Salon du Livre à Paris et une table ronde sur les relations franco-russes au Centre Spirituel russe, quai Branly.
Alexandre Orlov, Secrétaire général exécutif du Dialogue de Trianon, a donné plusieurs exemples concrets dans le domaine de la coopération effective autour du thème de l'année:

«La société Arep a gagné le concours pour Skolkovo, un "cluster" technologique à la périphérie de Moscou. Ce bureau participe à la rénovation du quartier Koulmiki, construit dans les années 60. Jean-Michel Wilmotte travaille beaucoup à Moscou. L'ancien ministre de la Ville Maurice Leroy est conseiller du maire de Moscou pour la construction du grand Moscou.»

Anatoly Torkunov, le Recteur du MGIMO, voit la jeunesse de deux pays comme le fer-de-lance du «Dialogue»:

«Tout cela est lié […] à l'environnement social, aux conditions de vie, à la culture urbaine, à l'économie numérique, qui est l'un des thèmes les plus importants et pertinents aujourd'hui, un thème où les jeunes sont très impliqués.»

Pour 2019, les échanges universitaires à l'honneur

«Nous pensons que pour l'année 2019, le grand sujet sera l'université de demain, les échanges universitaires, a confirmé à Sputnik Alexandre Orlov, Nous sommes en train de créer un réseau d'universités franco-russes, les liens entre universités avec des doubles diplômes, des échanges de professeurs.»

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Il est évident que pour remplir les rayons de la coopération universitaire, on enrôle des collaborations plus anciennes pour les faire passer sous le label du «Dialogue de Trianon». Mais il suffit de consulter le site spécial consacré aux bourses d'état français pour voir la profondeur des échanges potentiels.
Pour Anatoly Torkounov, un «échange» ce n'est pas juste une «visite», mais plutôt une relation fusionnelle:

«Ce sont des universités de Nijni Novgorod, d'Oulianovsk, d'Ekaterinbourg, de Tomsk. Pour les étudiants, il ne s'agit pas uniquement de se déplacer ailleurs. Il s'agit de réaliser des programmes en commun. Je pense qu'à un moment donné, nous pourrons parler de la création d'universités en réseau avec des universités françaises et européennes.»

On attend dorénavant le premier rapport d'activité dans cette branche, puis le public va entendre les propositions des présidents. Mais surtout, le Conseil de coordination du Dialogue de Trianon souhaite avoir un retour «de la base», effectuer des enquêtes d'opinion pour avoir la perception des Français sur la Russie et de la France par les Russes.

Objectif —rajeunir les contacts entre les deux pays

«Je voudrais surtout développer les échanges scolaires, confie à Sputnik le Secrétaire général exécutif du Dialogue de Trianon, c'est à l'école que l'enfant se révèle au monde, c'est là qu'il doit avoir le premier intérêt pour tel ou tel pays, pour une langue étrangère.»

Visiblement, la plateforme commence à séduire, plusieurs lycées se sont déjà inscrits sur le site. Les collaborations sont organisées sous toutes les formes possibles, aussi bien des cours communs que des échanges ludiques:

«À l'occasion du Salon de Livre et de la Coupe du monde, il a un concours organisé pour les lycéens, raconte à Sputnik Sylvie Bermann, Ambassadeur de France en Russie. Ceux qui gagnent ce concours, qui connaissent le mieux la littérature, l'histoire et la culture russe, sont invités en Russie pour voir les matchs de foot.»

Des répercussions du Dialogue sur l'économie et la politique

«Tous ces échanges, y compris dans le domaine de l'économie, ont pour objectif de relier les fils et retisser les liens de dialogue, d'amitié et de compréhension entre les pays, affirme à Sputnik Jean-Pierre Thomas, Fondateur de Vendôme Investments. Malgré le fait que l'actualité internationale ne va pas dans ce sens, le Dialogue de Trianon doit infléchir cette mauvaise tendance dans le débat.»

La «fenêtre d’opportunités» franco-russes restera-t-elle ouverte en 2018?
Pour l'homme d'affaires, la France est en train de reprendre en main sa propre diplomatie au sein de l'Europe et Emmanuel Macron a toutes les chances de confirmer le rôle de la France en Europe, pour éviter que cette dernière ne devienne «la remorque des États-Unis» et pour renouer les liens «avec nos amis les Russes»

Dans son interview à Sputnik, l'actuel ambassadeur de la Russie en France Alexeï Mechkov a mentionné le vif intérêt d'entrepreneurs du Medef pour le thème de la «Ville de futur», avant de souligner la principale particularité de cette nouvelle plateforme de dialogue:

«De mon point de vue, plus il y aura de Russes et de Français impliqués dans les différentes formes des relations franco-russes, mieux ce sera. Le Dialogue de Trianon occupe évidemment une place particulière, parce qu'il est une initiative soutenue par les Présidents de nos pays.»

Dorénavant, le Dialogue de Trianon doit faire ses preuves sur le terrain et devenir un vrai outil d'échanges entre la Russie et la France, afin de ne pas se réduire à un dialogue franco-russe entre intellectuels et décideurs. Un dialogue pourtant lancé lui aussi sous l'égide d'un Président en 2004… 

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