Sarkozy aurait chargé ses anciens ministres face aux juges dans l’affaire libyenne

Qu’a dit Nicolas Sarkozy aux policiers lors de ses interrogatoires les 20 et 21 mars? Comment s’est-il justifié devant les trois juges qui l'ont mis en examen? Le site Mediapart rend public le contenu des auditions de l’ex-Président français apparemment «en difficulté devant les policiers».
Sputnik

Le site Mediapart a révélé les propos tenus par Nicolas Sarkozy pendant ses six interrogatoires alors qu'il était en garde à vue les 20 et 21 mars, ainsi que ses déclarations face aux juges d'instruction. L'ancien locataire de l'Elysée a été mis en examen pour corruption passive, financement illégal de campagne électorale et recel de détournement de fonds publics libyens.

Ziad Takieddine raconte comment Sarkozy recevait de l’argent de Libye
Ainsi, selon le média, les juges ont évoqué l'existence de documents qui prouveraient que l'homme d'affaires franco-libanais Ziad Takieddine, témoin clé de l'affaire, «a joué un rôle dans les négociations entre la France et la Libye dans le cadre de vos visites en Libye comme ministre de l'intérieur, puis Président de la République» ainsi que des éléments matériels en mesure de prouver l'intervention de Ziad Takieddine dans le dossier libyen au profit de Claude Guéant, secrétaire général de l'Elysée sous Nicolas Sarkozy puis ministre de l'intérieur entre 2011 et 2012.

Cependant, lorsque les enquêteurs ont déclaré que Ziad Takieddine était «en contact avec Claude Guéant et Brice Hortefeux», ministre de l'intérieur entre 2009 et 2011sous Nicolas Sarkozy, celui-ci s'est mis à charger ses deux anciens ministres:

«Que Brice Hortefeux à titre personnel ait pu le fréquenter, c'est sa décision», a dit M. Sarkozy, avant d'ajouter ne pas être au courant de «quand, et combien de fois, [Ziad Takieddine] a vu M. Guéant, il s'en expliquera».

Alors que les enquêteurs répliquaient que M. Hortefeux et M. Guéant avaient agi «dans le cadre de leurs fonctions et alors qu'ils étaient sous [son] autorité hiérarchique», l'intéressé a répondu que «si jamais Brice Hortefeux ou Claude Guéant disaient "c'est Nicolas Sarkozy qui nous l'a demandé", vous pourriez considérer que cela relève de ma responsabilité, mais ce n'est pas vrai, ils ne l'ont jamais dit», poursuit l'article.

Intervention en Libye: Sarkozy a-t-il engagé l’armée française à des fins personnelles?
Mediapart évoque notamment ce que Nicolas Sarkozy a dit sur Abdallah Senoussi, l'ancien chef des services de renseignement militaire et beau-frère de Mouammar Kadhafi, qui avait reconnu avoir envoyé cinq millions d'euros afin de financer la campagne de M. Sarkozy en 2007, information confirmée par M. Takieddine.

L'ancien Président de la République a ainsi reconnu devant les juges qu'il avait abordé en 2006 avec Mouammar Kadhafi la situation judiciaire du militaire libyen, affirmant dans le même temps ne l'avoir jamais rencontré.

«Vous me l'apprenez. Moi, je ne savais pas», a déclaré M. Sarkozy en commentant la déclaration de Brice Hortefeux reconnaissant avoir vu M. Senoussi en présence de M. Takieddine, qui a en outre mentionné dans ses archives une réunion à l'Elysée en mai 2009.

Ensuite, les enquêteurs ont parlé d'un «virement de 2 millions d'euros […] adressé le 21 novembre 2006 depuis un compte de la Libyan Foreign bank. Il s'agit de la banque citée par M. Senoussi. Ce virement a été crédité sur le compte d'une société offshore, la société Rossfield Trading Limited, dont le bénéficiaire économique était Ziad Takieddine», poursuivant que «les déclarations de M. Senoussi semblent confirmer les éléments matériels recueillis et sans qu'il n'ait pu en avoir connaissance, étant détenu depuis plusieurs années».

Une fois encore, l'ancien locataire de l'Elysée a rétorqué n'avoir «aucun commentaire à faire. C'est une association de voyous et de malfaiteurs.»

M. Sarkozy a en outre répondu n'avoir «aucun élément à vous fournir sur le sujet» alors que les enquêteurs l'ont interrogé sur l'argent liquide qui avait circulé pendant sa campagne, information confirmée par Eric Woerth, ministre du Budget puis du Travail des deux premiers gouvernements François Fillon, d'après le site.

Un fils de Kadhafi évoque des «preuves solides» contre Sarkozy sur le financement libyen
Bien que les agents des forces de l'ordre aient parlé à Nicolas Sarkozy des notes déclassifiées de la DGSE dans lesquelles Bechir Saleh, ancien argentier du régime de Mouammar Kadhafi, le remerciait pour tout ce qu'il a fait pour lui, M. Sarkozy a pour une nouvelle fois lancé qu'il ne «s'en souvient plus».

Ne «rien savoir» était également sa réponse à la question portant sur les conditions dans lesquelles M. Saleh avait été exfiltré en 2011 de Libye.

«Il semble difficilement concevable que le ministre de l'intérieur [Claude Guéant] et le directeur du renseignement [Bernard Squarcini, chef des services impliqués dans l'exfiltration de Bechir Saleh] aient pu organiser entre les deux tours de l'élection présidentielle de 2012 l'exfiltration du territoire français de Bechir Saleh, ancien directeur de cabinet de Kadhafi, sans que vous l'ayez su, au moment même où vous proclamiez dans les médias qu'il serait arrêté s'il était découvert en France ? […] Nous vous rappelons qu'il serait parti avec l'aide des autorités alors que vous étiez chef de l'État», ont dit les enquêteurs à M. Sarkozy.

«Quelles autorités? Pas la mienne. […] Et quelqu'un a-t-il dit que j'avais demandé ou autorisé cette exfiltration? Bien sûr que non!», réfute M. Sarkozy, cité par Mediapart, poursuivant qu'«à la minute où [Claude Guéant] est nommé ministre de l'intérieur, il n'est plus mon collaborateur […]. Il avait dès lors sa propre existence politique, sa propre marge de manœuvre opérationnelle comme ministre.»

Nicolas Sarkozy a été placé en garde à vue le 20 mars dans les locaux de l'office anticorruption (OCLCIFF) à Nanterre (Hauts-de-Seine), dans le cadre de l'enquête sur le financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007. C'était la première fois que l'ancien chef de l'État était entendu dans le cadre de cette affaire depuis l'ouverture d'une information judiciaire en avril 2013.

Discuter