L'ambassadeur de Russie en France et en Principauté de Monaco, Alexeï Mechkov, vient tout juste de remettre ses lettres de créance au Prince de Monaco Albert II. À cette occasion, Sputnik s’est entretenu avec l’ancien vice-ministre des affaires étrangères russe.
Sputnik:Comment se poursuivra la coopération culturelle entre la Russie et Monaco? Après l'Année de la Russie à Monaco, la partie russe a plus d'une fois fait part de ses intentions en la matière. Quels projets seront prochainement réalisés?
Alexeï Mechkov: Nos relations avec Monaco se développent à tous les niveaux: au niveau politique et, bien entendu, après l'Année de la Culture russe à Monaco, la coopération dans le domaine culturel n'a pas été interrompue. Nous sommes heureux que ce magnifique projet d'organisation de stages et de prestations de jeunes musiciens russes à l'Opéra de Monte-Carlo conçu par le Fonds des Initiatives sociales et culturelles présidé par Svetlana Medvedeva soit désormais fermement ancré dans nos relations avec Monaco. Les artistes des Ballets de Monte-Carlo se sont produits il y a encore quelques mois au Bolchoï de Moscou et leur spectacle prévu cette année sur la scène du théâtre Alexandra de Saint-Pétersbourg promet, à notre avis, d'être l'un des événements les plus marquants de la saison. Les 6 et 7 avril, ils présenteront le ballet « Cendrillon » mis en scène par Jean-Christophe Maillot. Les troupes de musiciens et d'artistes de cirque maintiennent également leurs contacts. Certes, il y aura moins de manifestations que durant l'Année de la Russie, qui était un événement ponctuel, mais nous allons continuer de développer nos contacts avec Monaco.
Alexeï Mechkov: Les relations franco-russes sont indubitablement entrées dans une phase de Renaissance. La rencontre de Vladimir Vladimirovitch Poutine et du Président Emmanuel Macron qui a eu le 29 mai à Versailles a été un signal politique important. Comme vous le savez, leur entretien s'est très bien passé, ce qui a permis à nos deux pays de renforcer leurs contacts politiques. La coopération interparlementaire se développe à un rythme soutenu, en particulier entre les deux Sénats. L'Assemblée nationale prend également des initiatives. Le groupe d'amitié France-Russie et, sa présidente Mme Caroline Janvier en particulier, travaillent activement au développement des contacts interparlementaires et organise des rencontres avec la participation, notamment, de collaborateurs de l'ambassade. Il est évidemment très important pour les milieux d'affaires de constater que tant Moscou que Paris ont la volonté de promouvoir les relations bilatérales. Les milieux d'affaires l'ont bien constaté et la séance de décembre 2017 du Cefic, notre petite commission intergouvernementale dirigée par les ministres de l'Economie, a été fructueuse. Les milieux d'affaires se préparent activement à la visite prochaine d'Emmanuel Macron en Russie. Il y a seulement quelques jours, je me suis entretenu avec le noyau des entrepreneurs français qui déploient leurs activités en direction de la Russie sous l'égide du Medef International. Ils élaborent actuellement un programme pour les milieux d'affaires français en Russie. Vous n'êtes pas sans savoir que cette année a été lancé le Dialogue de Trianon, forum franco-russe des sociétés civiles. Il existe donc des perspectives. L'essentiel est de les rendre réelles dans les meilleures conditions.
Sputnik: Vous avez évoqué le Dialogue de Trianon. Beaucoup d'annonces ont été faites sur la question, mais elles n'ont pas pour l'heure été réellement concrétisées. Jusqu'à aujourd'hui, d'aucuns pensent que le Dialogue de Trianon est une sorte de terme philosophique signifiant le réchauffement des relations entre la Russie et la France. Que propose cette plateforme? Qu'est-ce qui la distingue des formats précédents de dialogue?
Sputnik: Quelle est sa particularité?
Alexeï Mechkov: Le Dialogue de Trianon est plus orienté vers la société civile et, en premier lieu, vers les jeunes: c'est ce qui le distingue de nos autres formats. Je tiens à réaffirmer que nous sommes prêts à soutenir toutes les plateformes de dialogue qui fonctionnent déjà ou sont en train d'être créées. De mon point de vue, plus il y aura de Russes et de Français impliqués dans les différentes formes des relations franco-russes, mieux ce sera. Le Dialogue de Trianon occupe évidemment une place particulière parce qu'il est une initiative soutenue par les Présidents de nos pays.
Sputnik: Autant que je l'ai compris, cette plateforme de dialogue n'a pas d'appareil administratif propre, elle fonctionne avant tout grâce aux services diplomatiques?
Alexeï Mechkov: Si, elle a deux conseils de coordination. Le conseil russe est présidé par Anatoli Vassilievitch Torkunov, recteur de l'Institut d'Etat des relations internationales de Moscou, membre de l'Académie des Sciences et ambassadeur. Le conseil français est placé sous la direction de l'ambassadeur Pierre Morel. Ils s'appuieront sur des structures appropriées qui prendront, tant du côté russe que français, la forme de secrétariats exécutifs. Je tiens une nouvelle fois à souligner que c'est un dialogue entre les sociétés civiles. Nous sommes bien évidemment disposés à apporter tout le soutien nécessaire, par exemple par la délivrance de visas ou la mise à disposition de locaux de nos représentations étrangères, mais nous n'avons qu'un rôle auxiliaire. Ce n'est pas une structure bureaucratique.
Sputnik: Pour ce qui est de société civile, les associations qui sont attentives au respect des droits jouent un rôle certain dans les relations franco-russes. Parfois, les associations françaises se montrent critiques à l'égard de la Russie et inversement. Le Dialogue coopérera-t-il avec ces associations ou met-il en œuvre une stratégie consistant à s'abstenir de politiser cette question?
Sputnik: Les universités russes et françaises coopèrent activement sur les programmes d'échange bilatéraux. Mais comment aider les autres, c'est-à-dire ceux qui souhaitent préparer des diplômes russes sanctionnant quatre (baccalauréat) ou six d'études (master) (par exemple, faire des études de physique ou de mathématiques)? Est-il est prévu d'organiser des salons d'universités russes? Existe-il des plateformes électroniques?
Alexeï Mechkov: Passer par sa propre université constitue certainement le moyen le plus sûr d'entrer en contact avec une université russe. Les établissements d'enseignement supérieur qui sont liés entre eux par des accords de partenariat ou par des programmes de doubles cursus, mettent forcément en place un modèle commun de séjour d'études à l'étranger pour leurs étudiants et règlent toutes les questions importantes à leur place: choix du programme, vie quotidienne pendant le séjour. Pour nous aussi, c'est le format le plus pratique parce que les étudiants français qui s'adressent à leurs universités, leur signale clairement l'intérêt qu'ils ont pour faire des études dans les universités russes, participent à l'amélioration de la coopération avec les établissements russes d'enseignement supérieur en trouvant des partenaires appropriés et des programmes d'études leur permettant de mieux développer leurs compétences et leurs connaissances. Cela ne veut pour autant pas dire qu'il n'y ait pas d'autres voies pour intégrer un établissement russe d'enseignement supérieur. Nous participons activement à des salons de l'éducation organisés en France tels que ceux de l'Étudiant ou d'Expolangues. Avec le Centre de Russie pour la science et la culture et le Centre spirituel et culturel orthodoxe russe du quai Branly à Paris, nous organisons régulièrement des présentations des meilleurs établissements russes d'enseignement supérieur qui sont intéressés à accueillir des étudiants français. Quant aux étudiants qui souhaiteraient trouver sans intermédiaire un établissement russe pour y faire leurs études, le site internet StudyinRussia a été créé avec le soutien du ministère russe de l'Éducation et de la Recherche. Sur ce site, les étudiants peuvent choisir les programmes d'études, dans toutes les spécialités et de tous les niveaux qui les intéressent parmi ceux proposés par les établissements russes d'enseignement supérieur de toute la Russie. La version française du site est en ligne depuis l'année dernière. Aujourd'hui, il y a un mécanisme de sélection d'étudiants français et russes de l'étranger pour des stages linguistiques gratuits financés par le budget fédéral russe (logement et études).
Sputnik: Comment la Russie promeut-elle en France d'autres programmes pour les jeunes: de l'Institut Pouchkine à Artek?
Alexeï Mechkov: Les programmes de l'Institut Pouchkine ne sont pas destinés qu'aux jeunes. L'Institut Pouchkine, qui est une filiale de l'Institut d'État de la langue russe A.S. Pouchkine, réalise un important et intéressant travail. Il est situé dans les locaux du Centre spirituel et culturel orthodoxe russe du quai Branly qui a ouvert ses portes en octobre 2016. L'Institut a commencé à fonctionner dès cette date. On y enseigne la langue russe aux enfants et aux adultes, on y propose des programmes d'étude complémentaire de littérature et de civilisation, on y organise des manifestations contribuant à susciter l'intérêt pour la langue et littérature russes. Les formats proposés sont divers: salon littéraire, matinées, représentations théâtrales. Par ailleurs, en 2017-2018, l'Institut Pouchkine propose un programme d'enseignement de la langue et de la littérature russes à la section russe du lycée et collège international Marcel Roby de Saint-Germain-en-Laye, en région parisienne.
Alexeï Mechkov: Je ne le pense pas. La coopération n'a jamais cessé. Mais, les sanctions et le changement de conjoncture internationale ont eu sur elle des répercussions négatives. Jusqu'à l'année dernière, les échanges commerciaux étaient considérablement réduits. L'année dernière, la situation s'est améliorée par rapport à 2016: le montant des échanges a augmenté de 16,5%, d'après les données disponibles au début de l'année 2018 et s'est établi à 15,5 milliards de dollars. Ces chiffres du commerce entre la Russie et la France ne sont bien sûr pas ce qu'il devrait être. Je suis convaincu que le potentiel des deux pays est beaucoup plus important. Dans le même temps, les investissements français directs dans l'économie russe augmentent. Ils ont atteint près de 14 milliards de dollars. Les investissements russes directs dans l'économie française s'élèvent à 3,2 milliards de dollars. Les activités de plus de 500 sociétés avec une participation française au capital ainsi que de près d'une quarantaine d'entreprises russes en France contribuent pour une large part à cette réalité. Aucune d'elles n'a quitté le marché pendant la période de crise, même si elles ont été contraintes de suspendre des projets prometteurs, elles n'ont pas quitté le marché et continuent de travailler activement. Les Français sont, comme vous l'avez remarqué à juste titre, extrêmement bien représentés dans le secteur énergétique et dans l'aérospatial. A part les projets dans ces deux domaines, les sociétés Auchan, Danone, Leroy-Merlin, Lactalis, sans parler des entreprises pharmaceutiques et automobiles, sont activement présentes sur le marché russe. Nous entretenons des relations solides et stables. Cette année, une attention particulière sera accordée aux liens entre les PME. Ce sera commun aux activités des 12 groupes de travail du Cefic qui seront coordonnés par un sous-groupe dans le cadre du Groupe de travail pour les investissements et la modernisation de l'économie. Le Plan d'action bilatéral de coopération sur ce volet est en cours d'élaboration. En d'autres termes, la rencontre des Présidents Vladimir Poutine et Emmanuel Macron a été un signal fort pour les milieux d'affaires parce qu'elle les a assurés qu'ils bénéficiaient d'un soutien politique.
Alexeï Mechkov: Le format Normandie est une configuration quadripartite. Bien sûr, nous coopérons activement avec les Français sur ce volet. Nous entretenons les contacts au niveau des adjoints des Présidents, sous l'égide des ministères des Affaires étrangères. Nous avons déjà évoqué aujourd'hui l'ambassadeur Pierre Morel, il préside un des groupes du processus de Minsk. Ainsi, le dialogue se poursuit, c'est une évidence. Comme nos partenaires français, nous considérons que les accords de Minsk mis en place par le Format Normandie et approuvés par une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU sont la seule possibilité de parvenir à un règlement du conflit.
Mais, comme vous, nous constatons que Kiev ne fait pratiquement rien pour appliquer les mesures prévues dans les accords de Minsk ce qui est loin de faciliter le travail au sein du Format Normandie. Il est dommage que les capitales occidentales, dont Paris, ferment les yeux sur cette situation et laissent faire les autorités ukrainiennes tout en essayant de faire porter la responsabilité de l'absence de progrès dans le processus de paix sur les « séparatistes » et la Russie.
Sputnik: Un seul nouveau chef d'Etat, Emmanuel Macron, a été élu depuis la création du Format Normandie. Près d'un an s'est écoulé depuis son entrée en fonction. La France a-t-elle changé d'attitude, joue-t-elle un autre rôle au sein du Format Normandie?
Alexeï Mechkov: Il est difficile de donner la moindre appréciation. De fait, les présidentielles ont eu lieu en France, les élections se sont tenues en Allemagne. Cela a influé, dans une certaine mesure, sur le degré d'activité de la France et de l'Allemagne. Espérons que nos partenaires français demanderont avec plus d'insistance à Kiev de respecter les engagements qu'il a pris. En ce qui concerne la Russie, nous respectons les nôtres. Excepté la Fédération de Russie, aucun pays aujourd'hui, semble-t-il, n'applique avant tant de persévérance les mesures prévues dans les accords de Minsk, excepté la Fédération de Russie.
Alexeï Mechkov: Cela ne relève pas de la compétence de l'ambassade, il existe des fédérations de football qui s'en occupent. Le passeport de supporter offre de vastes possibilités pour se déplacer à travers la Russie et, c'est le plus important, sert de visa. C'est la tâche qui incombe en premier lieu à l'ambassade: la délivrance des visas. Nous sommes disposés au maximum à prêter le concours nécessaire aux supporters français. En avril, nous avons prévu d'organiser des réunions à l'ambassade pour expliquer à nos collègues français les possibilités que les supporters auront pendant la Coupe du Monde. Nous coopérons sous l'égide de nos services spéciaux. Il est capital de protéger la Coupe du Monde des hooligans. Il existe en France le Fichier national des personnes interdites de stades. Celles qui figurent dans ce Fichier sont automatiquement exclues de l'enregistrement pour la délivrance du passeport de supporter. La liste doit être en libre accès aux caisses. Si quelqu'un figure sur cette liste, il ne pourra pas acheter de billets. L'expérience réussie des Jeux Olympiques de Sotchi, où nous avons évité les débordements liés aux supporters et les problèmes de sécurité, nous est profitable. Je suis sûr que dans le cadre de la Coupe du Monde tout sera fait chez nous pour créer des conditions confortables tant pour les équipes, que pour les personnalités officielles et les supporters. Un grand travail est réalisé dans le domaine des infrastructures, de la construction d'hôtels, de l'ouverture de nouveaux restaurants.
Alexeï Mechkov: Vous posez des questions trop spécifiques. Le pays d'origine assume la responsabilité principale du comportement des supporters. Les Français connaissent leurs supporters, nous connaissons les nôtres, les Belges, les leurs. Ce sont les pays d'où arriveront les supporters et non pas la partie russe qui sont responsables du comportement de leurs supporters. C'est la FIFA qui s'en occupe.
Sputnik: Passons maintenant du sport à la littérature. 2018-2019 a été proclamée Année franco-russe des langues et des littératures. Le Salon du Livre aura bientôt lieu à Paris et la Russie y sera l'invitée d'honneur…
Alexeï Mechkov: C'est exact, le Salon du Livre aura lieu à Paris à la mi-mars et la Russie en est bien l'invitée d'honneur. Y seront présentés les premiers tomes d'une collection qui comptera une centaine de volumes de traduction d'écrivains russes en français. Cent volumes est une collection impressionnante. Sauf erreur de ma part, trois volumes sont déjà prêts et seront présentés. Deuxièmement, et cela nous concerne immédiatement en tant que service diplomatique, il est prévu de présenter le recueil de la correspondance entre Boris Nikolaevitch Eltsine avec Jacques Chirac. Ces événements auront lieu dans le cadre du Salon. Une quarantaine de nos écrivains, jeunes et confirmés, participeront au Salon et toutes sortes d'événements sont prévues tous les jours sur nos stands, par exemple, une partie d'échecs simultanée avec la participation d'Anatoli Karpov.
Alexeï Mechkov: Anatoli Karpov et moi sommes amis, mais je ne jouerai pas aux échecs avec lui pour ne pas le mettre dans l'embarras: la partie ne peut pas durer que quelques secondes.
Sputnik: Vous êtes en poste depuis peu à Paris, mais vous avez déjà sans doute réussi à apprendre quelque chose d'intéressant concernant l'immeuble où vous vivez et travaillez?
Alexeï Mechkov: La résidence: l'hôtel particulier d'Estrées rue de Grenelle a été pendant trois siècles témoin de nombreux événements intéressants et extraordinaires. Nos empereurs y sont descendus, en particulier. La Russie a acquis cet immeuble en 1863, notamment parce qu'il n'a pas été inclus dans le plan de reconstruction du centre de Paris et n'a donc pas été détruit. La Russie a réussi à l'acquérir. Ces murs ont été témoins de beaucoup d'événements oubliés en un siècle. Par exemple, Vladimir Maïakovski, qui a assisté à l'ouverture de l'ambassade soviétique en 1924, a écrit ensuite son poème Le Drapeau. Cette œuvre reflète l'époque et traduit les progrès que nous avons enregistrés à cette époque dans la cohésion de la diaspora russe. Cet immeuble est aujourd'hui la maison de tous les Russes qui vivent en France quelles que soient leurs opinions politiques. Nous sommes toujours heureux de les accueillir ici et au siège de l'ambassade boulevard Lannes. En ce qui concerne le bâtiment de l'ambassade, il reflète l'architecture très intéressante des années 1970 et les locaux de représentations permettent d'accueillir beaucoup de monde: beaucoup plus que ne peut en abriter la Résidence Grenelle.