Visite de la ministre des Outre-mer à Mayotte, un «foutage de gueule»

Après quatre semaines de mobilisation, la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, est arrivée lundi à Mayotte pour tenter de calmer les esprits et de trouver une issue à un ras-le-bol de longue date. Mais sa venue est loin d’être satisfaisante, selon Halima, porte-parole du collectif «Mayotte en Mouvement». Entretien.
Sputnik

«Franchement, on n'attend rien du tout», tranche Halima du collectif «Mayotte en Mouvement», qui appelle au micro de Sputnik France, à continuer les manifestations.

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Résignée, cette jeune porte-parole, qui travaille dans un collège surpeuplé, témoigne de l'insécurité grandissante sur l'archipel, où «avant, on faisait des bivouacs sur la plage. Aujourd'hui, on vous donne des coups de machettes pour un rien». Pour elle, la visite de la ministre des Outre-mer, Annick Girardin, vise avant tout à «calmer les nerfs», sans vraiment répondre aux inquiétudes.

«Elle vient calmer les gens, mais comment peuvent-ils se calmer quand tant de choses se passent tous les jours?», s'interroge-t-elle. «Il n'y a pas loin de 8.000 personnes place de la République, elle est allée se fondre pour écouter les gens, mais ça ne suffit pas. Il faut des réponses concrètes.»

Car l'insécurité, c'est le motif majeur des manifestations qui secouent ce 101e département français, situé dans l'océan l'indien, à quelque 70 km des Comores. «Dans chaque village de Mayotte, il y a des villages informels, en périphéries, ce sont des bidonvilles. Et qui sont les responsables? Ce sont les élus, car ils sont responsables de l'urbanisme dans leurs communes», détaille Halima. Une situation qui crée un climat de «guerre sociale», car «les gens survivent sur place donc le vol et le racket sont systématiques».

«Beaucoup de personnes sont d'avis qu'ils vont se créer des milices. Ça sera de la responsabilité de l'État […] Un jour la détente va sauter, tellement les gens en ont ras-le-bol d'être agressés.»

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Un sentiment d'abandon prévaut de plus en plus malgré les promesses d'aides. «Le collectif a tenté de mettre en lumière le mépris de l'Etat vis-à-vis de notre territoire. Un territoire français depuis 1841, mais où les écoles n'ont été développées que dans les années 1980», explique Halima. La ministre des Outre-mer, qui a reconnu que l'État n'avait pas accompagné les collectivités, a ajouté que celles-ci «manquaient encore "d'ingénierie" pour mettre à bien des projets». «C'est faux!» s'insurge Halima, qui voit dans cette déclaration du «foutage de gueule»:

«Pourquoi fait-on déplacer des hauts fonctionnaires ici, des gens qui ne sont pas capables de mettre en route des projets, alors que ce n'est pas la manière grise qui manque sur le territoire national? […] On ne peut pas nous dire qu'après 50 ans de département, il n'y a pas d'ingénierie.»

La question de l'immigration et de la maternité sont également au cœur des débats. Le gouvernement a indiqué qu'il réfléchissait à «un statut extra-territorial» pour cette maternité, afin que les naissances très nombreuses n'y «permettent pas obligatoirement d'obtenir la nationalité française». Depuis 1995, les Comoriens doivent détenir un visa d'entrée pour se rendre dans le département français de Mayotte. Beaucoup tentent alors la traversée, de façon illégale: celles-ci auraient causé entre 7.000 et 10.000 décès depuis 1995", selon un rapport du Sénat français de 2012.

«Aujourd'hui, le problème est là: on ne peut plus faire miroiter à nos voisins qu'ils peuvent venir pour avoir une nationalité ou stationner pour avoir une régulation administrative, alors même qu'à Mayotte le système social est foutu.»

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Le mouvement a pris jusqu'ici de multiples formes: manifestations dans les rues du chef-lieu Mamoudzou, opération escargot, opération «île morte», barrages sur les principaux axes routiers, fermetures des écoles, etc. Dimanche, le principal port de l'île était toujours bloqué, tandis qu'une manifestation est prévue à Marseille le 24 mars prochain.

Selon ses services, Mme Girardin entend proposer «à l'ensemble de ses interlocuteurs une méthode, un calendrier et les principaux axes d'un travail de fond indispensable pour l'avenir de Mayotte». Benjamin Griveaux, porte-parole du gouvernement, a estimé qu'il fallait «mettre autour de la table les élus locaux, les socioprofessionnels, le monde économique, l'administration» et «repartir de zéro» pour tenter de répondre aux difficultés de l'île.

«Les Mahorais ne demandent plus de discussion! Il y a eu plein de projets concernant Mayotte… il y a eu les États généraux, François Hollande… Et on veut encore discuter? Mais pour quoi faire?», estime, désabusée, Halima.

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