Cela pose de nouveau la question du droit au débat public sur un certain nombre de sujets. Le terme « islamophobie » est désormais utilisé de manière systématique pour chercher à faire taire ses contradicteurs. Ainsi, des attaques particulièrement violentes et perverses ont frappé Mme Fatiha Boudjahlat, auteure d'un livre remarquable. Je m'étais déjà exprimé dans un autre livre (2) sur cela. Le fait que des personnes, qui croient exprimer ainsi une solidarité envers des opprimés, rejoignent cette attitude anti-démocratique pose un vrai problème. Et cette prétendue solidarité ne peut qu'alimenter d'autres qui ne font que semblant de s'indigner et qui en fait jouent de ces problèmes à des fins bassement politiciennes. Le sinistre tandem formé par MM Plenel et Valls en est la parfaite illustration. Il convient donc de repréciser un certain nombre de notions et de faits.
1. L'islamophobie n'est pas un délit et ne peut l'être.
2. Les attaques contre les musulmans considérés en tant que groupe sont par contre un délit.
Il faut aussi affirmer clairement que les attaques contre les musulmans (tout comme contre tout autre groupe) sont absolument odieuses et intolérables. Le racisme et la ségrégation constituent des délits pour le droit français, et c'est tant mieux. Intellectuellement, il y a quelque chose de malsain, et même de pathologique, dans l'idée que l'on puisse faire porter à tout un groupe la responsabilité des actes de certains ou même que l'on puisse unifier une population en une soi-disant « communauté » sur la base d'une croyance religieuse. Car, cette croyance, au sein de la même religion, peut être très diverse.
3. Le discours de « victimisation » systématique tenu par certains veut imposer une logique communautariste au sein de la république.
Un fois que l'on a bien précisé la différence entre « islamophobie » et comportements antimusulmans, il convient aussi d'ajouter que la revendication en l'existence d'une « communauté », distincte et séparée de la communauté nationale, revendication qui est portée par des franges extrémistes, vise à faire éclater la communauté nationale et à imposer un retour aux communautés religieuses et ethniques. Et ceci est condamnable. De ce point de vue, les discours « communautaristes », et le discours sur le « multiculturalisme », constituent des points de vue régressifs, dont les dangers sont évidents, pour la paix civile et pour le fonctionnement de la démocratie. Car, la démocratie signifie que tous ont, dans le cadre d'un espace de souveraineté clairement déterminé, le même droit de concourir à la formation des institutions et au bien commun. Ces discours doivent donc être combattus avec la plus grande fermeté.
4. La pratique d'une religion ne saurait être interdite, mais les formes d'affirmation de la croyance en une religion peuvent être réglementée.
Il convient de rappeler qu'en France la pratique des religions est libre, sauf dans le cas où cette pratique violerait le cadre de la loi. Ainsi, le fait de s'opposer à la construction de mosquées est condamnable. Mais, le fait de prétendre, au nom de la religion, pouvoir avoir certaines pratiques (comme le mariage de jeunes enfants, ou la discrimination institutionnalisée entre les sexes) tombe aussi sous le coup des lois.
Il faut donc donner la parole à l'une des grandes figures du libéralisme, John Locke, qui écrivait au XVIIe siècle justement à propos des tenues vestimentaires associées à certaines religions (les sectes protestantes):
«Il est dangereux qu'un grand nombre d'hommes manifestent ainsi leur singularité quelle que soit par ailleurs leur opinion. Il en irait de même pour toute mode vestimentaire par laquelle on tenterait de se distinguer du magistrat [comprendre l'autorité civile] et de ceux qui le soutiennent; lorsqu'elle se répand et devient un signe de ralliement pour un grand nombre de gens…le magistrat ne pourrait-il pas en prendre ombrage, et ne pourrait-il pas user de punitions pour interdire cette mode, non parce qu'elle serait illégitime, mais à raison des dangers dont elle pourrait être la cause?»(3).
Il est profondément regrettable que certains joignent leurs voix à ce qu'il y a de plus régressif, de moins émancipateur, au nom justement de l'émancipation et de la solidarité.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.
(2) Sapir J., Souveraineté, Démocratie, Laïcité, éditions Michalon, Paris, 2016.
(3) Locke, J., Essai sur la Tolérance, Paris, Éditions ressources, 1980 (1667).