La situation économique de la Russie à un mois de l’élection présidentielle

Alors que nous sommes à un mois des élections présidentielles en Russie, il convient de se pencher sur l’état de l’économie russe aujourd’hui. On a beaucoup dit que les sanctions imposées à partir de 2014 par les Etats-Unis et reprises par l’Union européenne allaient détruire l’économie russe. Cela s’est avéré faux.
Sputnik

L'économie russe a résisté à ces sanctions, tout comme elle a résisté à l'effondrement des prix du pétrole. On a aussi affirmé que la politique économique russe, conçue pour résister à ces sanctions, allait conduire à une forte croissance. Cela n'a pas été le cas non plus. De fait, l'économie russe est dans une situation de faible croissance aujourd'hui. Il faut comprendre pourquoi.

Où en est l'économie russe?

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La croissance mondiale s'est accélérée ces dernières années, même si cette croissance recouvre d'amples différences entre les pays émergents et les pays développés. Au sein des pays développés, ce sont les Etats-Unis qui ont les meilleurs résultats. La croissance de la Russie, tout en étant comparable à celle des pays de l'Europe occidentale, reste aujourd'hui inférieure à celle des autres pays émergents (Chine, Inde). En fait, il convient de regarder la croissance de ces dernières années. La croissance a été très forte de 1999, à 2007. Mais, depuis 2008, soit sur les 10 dernières années, la croissance a été plus faible. Il semble bien que l'on soit revenu, en 2017 et pour le début 2018 à cette tendance.

De la fin 2014 au milieu de 2016 on a connu une baisse des revenus réels en Russie. Cette baisse est largement liée aux mouvements des prix des hydrocarbures. Elle a engendré à son tour une baisse de l'investissement, qui elle-même s'est traduite en une baisse de la production. Cette dernière a conduit à une nouvelle baisse des revenus réels. Ce mouvement descendant a néanmoins été brisé dans le cours de 2016. Les chiffres du revenu réel, puis ceux de l'investissement, puis ceux de la production se sont remis à progresser. Par ailleurs, le niveau de la dette publique est faible (17% du PIB), le chômage est resté modéré (il est redescendu à 5,2% de la population active), les réserves de change élevées (avec 449 milliards de dollars), et le taux de l'inflation a baissé à un niveau inconnu, 2,2%, depuis le début des années 1990. Par ailleurs, le prix des hydrocarbures s'est redressé, et il devrait se stabiliser entre 60USD et 68USD pour un baril. On peut donc considérer que les chiffres macroéconomiques sont bons, ce que ne manque pas de souligner le gouvernement.

Les raisons immédiates de la faible croissance

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Pourtant, dans le même temps, la croissance reste faible. Elle pourrait atteindre 0,9% cette année, et accélérer à 1,9% en 2019 et 2020. La raison de cette faiblesse est à rechercher dans le cocktail de politique monétaire et de politique budgétaire en Russie. La politique monétaire est en effet très restrictive. Si les taux d'intérêts nominaux ont baissé régulièrement depuis 2016, l'inflation a baissé bien plus rapidement. Il en résulte que les taux réels, soit le taux nominal diminué du taux d'inflation, s'est en réalité accru dans la période récente. Il atteint entre 8% et 10% pour les agents « non financiers », c'est à dire pour les ménages et les entreprises. L'ampleur du prélèvement effectué par le système bancaire sur les revenus « non financiers » est ainsi énorme. Il contribue à déprimer l'activité économique.

La politique budgétaire, elle, est modérément restrictive. La Russie a connu un déficit budgétaire de 2,2% en 2017. Cela reste faible, et ce d'autant plus que la dette publique est d'un niveau très inférieur aux niveaux de l'Europe et des Etats-Unis. En fait, la Russie a contenu le niveau de ses dépenses publiques, que ce soit en 2016 et en 2017.

De fait, on a le sentiment que les autorités freinent sur les deux leviers qui ont une influence sur la croissance. Dans ce contexte restrictif, un taux de croissance de 0,9% apparaît comme un bon résultat. Mais, bien évidemment, il est insatisfaisant si on le compare à l'objectif fixé par le gouvernement d'un taux de croissance de 4% qui serait nécessaire pour que la Russie puisse réellement achever le processus de modernisation dans lequel elle s'est engagé il y a de cela plusieurs années.

Le conflit entre deux politiques économiques

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En fait, on est en présence d'une politique économique latente ou sous-jacente qui est le résultat de centaines de décisions prises à tous les niveaux, qu'il s'agisse de décisions publiques ou de décisions privées. Or, cette politique économique est en fait bien plus importante que les décisions explicites prises par le gouvernement. Cette mosaïque de décisions, des grandes aux petites, est composée de décisions qui sont toutes individuellement cohérentes, mais qui peuvent se révéler contradictoires dans leur agrégation. Ainsi, on peut comprendre que les responsables de la Banque Centrale de Russie, encore traumatisés par la forte poussée d'inflation de fin 2014 et du début de 2015, veuillent maintenir une politique très restrictive. Mais il est clair qu'ils ont, en l'état, largement dépassé les objectifs qu'ils s'étaient fixés, ce que l'on appelle en jargon économique faire de l'overshooting. De même, on peut comprendre que les dirigeants des banques, préoccupés par le poids des mauvaises dettes dans leur bilan, veuillent reconstituer le plus rapidement possible la solvabilité de leurs investissements. Mais, dans un cas comme dans l'autre, ces décisions ont des effets pervers sur le cadre macroéconomique. Les taux d'intérêts freinent la croissance et empêchent le développement d'activités susceptible de se substituer aux importations, et l'attitude des banques, contraignant elle aussi l'activité générale, fait en réalité monter le nombre de crédits qui ne seront pas remboursés. Cette politique économique sous-jacente est donc contradictoire à la politique affichée par les autorités politiques.
Or, l'économie de marché exige une cohérence dans les décisions. La demande, tant publique que privée, joue un rôle décisif dans les décisions économiques des agents (ménages et entreprises). Il y a donc aujourd'hui une incohérence qui freine ces décisions. De fait, l'amélioration des conditions de gestion au niveau microéconomique rend le problème de cette incohérence encore plus patent pour les décideurs économiques.


Le désajustement entre cette politique économique que l'on a appelée « sous-jacente » et la politique affichée par le gouvernement est aujourd'hui l'une des principales raisons de l'investissement relativement faible (par rapport aux besoins) en Russie. Elle inquiète les entrepreneurs privés qui, logiquement, ont tendance à adopter une attitude assez attentiste.
La réunification de la politique économique, la mise en cohérence des mesures monétaires et budgétaires avec les objectifs fixés par le gouvernement sera, à n'en pas douter, l'un des grands chantiers du futur gouvernement qui sera nommé après l'élection présidentielle.

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