«Je ne vois pas comment on va pouvoir reconstruire politiquement cet État… C'est ça la grande question, avant de parler finances», estime Pierre Piccinin da Prata, Rédacteur en chef du Courrier du Maghreb et de l'Orient.
«On a un problème dans toute cette partie nord-ouest de l'Irak, qu'on appelle le "Sunnistan", qui doit être réglé. Il n'y a pas de gouvernement d'unité nationale qui intégrerait réellement les leaders sunnites, ça, c'est clair», poursuit Pierre Piccinin da Prata.
À ce titre, il soutient que la France «a raison» de faire pression pour intégrer la minorité sunnite dans le nouveau gouvernement, sous peine de voir un nouveau terreau favorable à Daesh se reformer, ou de voir une «guerre civile» éclater:
«Je pense qu'il y a clairement des milices sunnites qui se sont constituées et qui ont peut-être l'intention de défendre leur territoire à terme. Pour le moment, ça n'a pas l'air de trop bouger, mais on parle d'une possible guerre civile à terme.»
À l'approche des élections législatives et quelques mois à peine après la «fin de la guerre» contre l'EI, l'Irak se prépare à sa reconstruction. Trois jours de conférences s'ouvrent aujourd'hui au Koweït, durant lesquels seront présentés 157 projets, pour lesquels les responsables irakiens sollicitent un financement. «Nous estimons que les besoins totaux de reconstruction en Irak s'élèvent à 88,2 milliards de dollars (71,9 milliards d'euros)», a déclaré le ministre irakien de la Planification, Salmane al-Joumeili, à l'ouverture de la conférence.
Mais en attendant l'argent de la reconstruction, la population vit toujours sous les décombres, notamment celle de Mossoul Ouest, particulièrement bombardé, et où la population est majoritairement sunnite:
«La petite moitié Est de Mossoul était essentiellement chiite et kurde a été libéré et il y a eu peu de dégât. L'armée irakienne a fait attention de ne pas détruire cette partie de la ville. La partie ouest, à 90% sunnite, a été rasée. Il n'y avait plus rien debout. [… ] L'EI a tellement résisté, et l'armée irakienne, que j'ai accompagnée plusieurs fois au front, ne combattait plus au corps à corps avec l'EI, mais laissait la coalition, menée par Washington, bombarder la ville, dans ces proportions inimaginables.»
«Sur les véhicules blindés, les drapeaux qu'arboraient l'armée irakienne, lors de la reconquête de Mossoul, ce n'étaient majoritairement pas le drapeau irakien… c'était les drapeaux religieux chiites à l'effigie d'Hussein. Je crois que le message était clair».
Que feront également les Kurdes, dont la déclaration unilatérale d'indépendance a été avortée, et qui sont «ramené à une situation antérieure à l'EI en Irak»?
«Eux aussi rongent leur frein… quelle va-t-être leur réaction? On ne sait pas très bien. Pour l'instant, ils sont dans le désarroi».
Même si son «potentiel de nuisance» a «fortement diminué», l'État islamique n'est pas mort:
«Pendant un certain temps en tout cas, ce mouvement islamiste sera obligé de faire profil bas et d'essayer de se reconstruire. Je crois qu'il l'est actuellement, et va, c'est inévitable, réémerger»,
estime Pierre Piccinin da Prata, constatant qu'«Al-Qaeda elle-même a pris un certain temps, après l'intervention américaine, pour se reconstruire.»