Face à la crise du lait, ce Normand transfère ses vaches en Russie pour repartir à zéro

Éleveur laitier depuis 40 ans, Philippe Camus a trouvé une réponse peu banale à la crise agricole que traverse la France et a décidé de transférer sa ferme… en Russie. Alors que le fromage français est soumis à un embargo, ce Normand compte réaliser son rêve de jeunesse et peut-être même rencontrer son âme sœur. Sputnik a fait sa connaissance.
Sputnik

Encore recouverts d'une épaisse couche de neige, les prés du village russe de Lotochino s'apprêtent à accueillir des invités d'honneur. Philippe Camus a mis la clé sous la porte de sa ferme normande pour transférer son élevage dans la région de Moscou, et compte s'y installer avec ses vaches à partir du mois d'avril.

Cela fait près de quarante ans que ce Français s'est lancé dans l'exploitation agricole. Avec plus d'une centaine de bêtes, il vendait du lait aux fabricants de camembert et avoue, dans une interview à Sputnik, avoir «produit par le passé des fromages frais à titre expérimental» avant d'abandonner cette pratique. Au pays de Pouchkine, l'éleveur espère aussi trouver son âme sœur, celle qui partagera avec lui sa passion des vaches et (pourquoi pas) son amour des fromages. «J'aimerais faire maintenant ce que j'aurais aimé faire jeune, une façon de remonter le temps», dit-il.

Philippe Camus en Russie

L'idée de troquer sa Normandie contre l'étendue des champs russes est venue à Philippe en 2014, année marquée par le rattachement de la Crimée, mais aussi par le duel de sanctions entre l'Union européenne et la Russie, dont le lait et le fromage sont devenus victimes.

Philippe Camus (à gauche) en Russie

Peu banale, l'aventure russe de M.Camus semble ainsi promettre aujourd'hui un résultat gagnant-gagnant. «La Russie éprouve un énorme besoin en professionnels dans le domaine de la fabrication fromagère» et se montre «très intéressée à y attirer des étrangers», nous raconte Alexandre Nikitine, président de la Guilde russe des producteurs de fromage et partenaire russe de Philippe Camus. Il explique que l'embargo alimentaire imposé par Moscou en riposte aux sanctions de l'UE a débouché sur un manque de lait sur le marché que le pays n'est pas encore parvenu à combler.

Un agriculteur français sur trois gagne moins de 354 euros par mois
Côté français, les problèmes sont d'un ordre radicalement différent, mais une chose est sûre: tout n'est pas exempt de nuages non plus. Affectés par la chute des cours et la surproduction, les éleveurs laitiers subissent depuis plus de deux ans une crise sans précédent avec pour conséquence des exploitations contraintes de fermer et un revenu moyen de 300 euros par mois.

Autre fait alarmant, le taux de suicides chez les agriculteurs. Les statistiques publiées en 2016 par Santé publique France révèlent qu'entre 2007 et 2011, 674 exploitants agricoles se sont donnés la mort, soit un chiffre supérieur de 20 % à la moyenne nationale. Un agriculteur s'est donc suicidé tous les deux jours en France…

«Les processus globaux font en sorte que le mode de vie change. Ceux qui sont plus calés du point de vue technologique écrasent de tout leur poids la forme traditionnelle d'exploitation», explique M.Nikitine avant d'ajouter: «Philippe ne veut pas mourir, il veut vivre, et voit la Russie comme une porte qu'il a envie d'ouvrir».

Pour repartir à zéro sur le sol russe, Philippe a opté pour Lotochino, un village situé à 160 km de Moscou. Ce choix géographique ne doit rien au hasard. «L'administration locale a été la plus entreprenante», tient à préciser l'éleveur. Or, au-delà de ce pur pragmatisme se cachent 200 ans de production fromagère et une histoire riche dont ce lieu peut se vanter: en 1812, la famille princière russe Mechtcherski a invité ici le maître fromager suisse Johannes Müller pour diriger la première fromagerie fondée en Russie et faire découvrir aux Russes le goût de cette spécialité.

À seulement 14 ans, ce jeune éleveur russe a déjà 25 moutons
«Nous espérons faire renaître la marque de Lotochino», déclare Alexandre en nous faisant part de ses projets. «Philippe envisage d'amener des vaches qui se sentiront bien ici, la race qu'il connaît. Ce sera un lait de qualité parfaitement adapté à la production de fromage», poursuit-t-il, enthousiaste. Le climat russe, loin de se ranger parmi les plus cléments ne fait quant à lui peur ni à l'un ni à l'autre: «Le problème de l'élevage c'est l'humidité, s'il fait froid et sec au bon moment, ça ne pose pas de problème», explique le Normand alors que son ami russe observe: «Le nord de la France n'est pas le lieu le plus chaud non plus».

«Je pense que de nombreuses familles françaises pourraient se trouver un emploi en Russie et y réussir», confie M. Nikitine. Puis il ajoute:

«Plutôt que se tirer une balle dans la tête, qu'ils viennent ici, nous les aiderons, je suis prêt à m'en occuper personnellement».

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