Promesses de baisses d’impôts de Macron: le réveil brutal

Suppression de la taxe d’habitation, bascule des cotisations salariales sur la CSG, réforme de l’ISF… si Emmanuel Macron a promis aux Français un gain de pouvoir d’achat sous son quinquennat, l’année commence plutôt mal pour le commun des contribuables, qui voient leur pression fiscale s’alourdir, à la différence des plus fortunés.
Sputnik

«On est toujours à mille milliards de prélèvements fiscaux, avant déduction des crédits d'impôt.»

Virginie Pradel, avocate fiscaliste, fondatrice de l'Institut fiscal Vauban dresse au micro de Sputnik un constat sans appel en ce début 2018. Tablant sur une baisse moyenne de 300 € du pouvoir d'achat des Français, la fiscaliste dépeint une «hausse globale» des prélèvements fiscaux et nous renvoie aux statistiques de l'INSEE, qui prévoyaient fin décembre sur une augmentation de l'imposition des ménages de 4,5 milliards d'euros au premier semestre 2018.

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Une hausse qui n'a pas fait broncher Bruno le Maire. Le 12 janvier, au micro de Jean-Jacques Bourdin, le ministre de l'Économie et des Finances a rappelé «l'objectif du gouvernement» en matière de réduction des prélèvements obligatoires, tant pour les entreprises que pour les ménages, à savoir 1% sur le quinquennat, assurant par la même occasion qu'«il n'y aura pas de nouvel impôt, en France, dans le quinquennat.» Des déclarations qui surviennent 24 heures après celles d'un autre membre du gouvernement, Jacqueline Gourault, ministre déléguée à l'Intérieur, qui pour sa part avait laissé entendre que la taxe d'habitation- qui doit être supprimée d'ici 2020- pourrait être remplacée par un «impôt plus juste».

Une annonce qui fait tache au regard du poids qu'a représenté cette promesse dans la victoire d'Emmanuel Macron. En effet, à en croire une étude de l'IFOP parue en novembre 2017 et dont Le Monde s'était fait l'écho, cette «mesure totémique» de la campagne du candidat d'«En Marche!» a eu un impact électoral significatif.

En effet, les intentions de vote au premier tour pour le candidat Macron ont bondi en quelques jours de 19% à 24,5% après l'annonce de la mesure, lui assurant la pole position lors de cette étape décisive vers le pouvoir. L'institut de sondages a également identifié un «survote» Emmanuel Macron au premier tour de la présidentielle dans les villes où la taxe d'habitation est la plus élevée, semblant confirmer ses pronostics.

Ce possible nouvel impôt local ferait d'autant plus tache que si la réduction des prélèvements obligatoires fait figure d'engagement «vital» aux yeux du patron de Bercy, celle-ci semble pour l'heure particulièrement mal engagée. Il faut dire que si le 1er janvier fut accompagné de ses habituelles hausses de taxes (+3,9 centimes pour le litre d'essence, +7,6 centimes pour le diesel ou encore +6,9% pour le gaz), la hausse de la CSG a été instaurée avant la baisse des cotisations salariales qu'elle est supposée compenser.

Comme tient à le souligner Virginie Pradel, la hausse du prix des énergies est la conséquence directe des choix en matière de transition énergétiques effectués sous François Hollande et validés par Emmanuel Macron, à savoir la hausse progressive de la taxe carbone, instaurée par la loi de transition énergétique. Initialement fixée à 7 € par tonne de CO2 en 2014, celle-ci doit atteindre les 100 € en 2030. Un attachement à l'écologie qu'Emmanuel Macron n'hésite pas à mettre en avant, notamment lors de ses échanges avec les dirigeants étrangers.

«Il faut comprendre que c'est lié au choix de privilégier les énergies renouvelables en France. […] En fait, cette taxe conditionne le taux de diverses autres taxes, qui sont directement responsables de la hausse du prix de l'essence, du gazole et du gaz», précise la fiscaliste.

Elle regrette de plus le manque d'information des Français sur la question de l'Impôt, déplorant que seuls les hommes politiques aient la parole sur un sujet aussi central dans la vie quotidienne des contribuables: «c'est de la politique, donc en fait ils disent ce qui les arrange, ils vendent des mesures fiscales.» Un paradoxe dans un pays faisant figure de vice-championne du monde en matière de prélèvements obligatoires.

«En France, la réglementation est tellement pléthorique que très peu de personnes y ont accès et donc comme personne n'a accès à cette information, les hommes politiques disent tout et n'importe quoi et personne n'est en mesure de contrer ce qu'ils disent.»

Une absence d'information, un terrain laissé libre aux politiques, qui s'illustrent particulièrement en période électorale, où les candidats redoublent d'inventivité en matière de mesures difficilement chiffrables, voire vérifiables:

«En France, il y a beaucoup de fantaisies fiscales. Quand on regarde la dernière élection présidentielle, Monsieur Mélenchon nous proposait des taux d'imposition à 100%, on était dans le délire absolu!»

S'emporte Virginie Pradel, qui s'inquiète par ailleurs de certaines contreparties faites aux salariés par la nouvelle majorité à savoir le basculement des cotisations salariales sur la CSG:

«Ce n'est pas un cadeau, c'est potentiellement très dangereux, parce que le régime de l'assurance chômage —qui est surendetté aujourd'hui avec une dette de 34 milliards d'euros- ne repose non plus sur les salariés via les cotisations salariales, mais sur l'ensemble des contribuables via la CSG, qui est un impôt payé par tout le monde.»

Autre tours de passe-passe fiscal pour l'exécutif afin de donner l'illusion de ne pas toucher au niveau d'imposition: délester le budget de l'État de certaines responsabilités sans pour autant transférer les recettes qui y étaient jusque-là allouées. Des responsabilités qui se retrouvent donc à la charge de collectivités, de communes, forcées de se tourner vers leurs administrés pour trouver les financements nécessaires à ces prérogatives fraîchement acquises.

Une méthodologie qu'illustre parfaitement l'apparition, dans le millefeuille de la fiscalité locale, de la «taxe inondation» ou GEMAPI (pour «Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations») qui est un transfert de compétences de l'État vers les intercommunalités, là encore un cadeau empoisonné laissé par la précédente législature.

Un nouvel impôt local, qui selon Virginie Pradel pourrait bien à terme contrebalancer le gain des ménages résultant de la suppression de la taxe d'habitation. D'autant plus que la nature de cet impôt par répartition interpelle la fiscaliste, qui nous explique que toutes différences de revenus égales par ailleurs,

«une famille de six personnes dans un petit appartement peut avoir une taxe GEMAPI de 240 €, alors qu'une personne seule dans 300 m- pourrait n'avoir à payer que 40 € maximum. Cela pose des questions… ce n'est pas un impôt très social.»

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Il faut dire que si pour l'heure, le montant de cette «taxe inondation» est limité par le gouvernement à 40 € par an et par personne, rien ne garantit que ce plafond ne sera pas revu à la hausse dans les prochaines années. On garde en tête l'évolution prise par la CSG. En 1991, cette contribution au financement de la protection sociale s'élevait à 1,1% des revenus d'un foyer, 25 ans plus tard elle frôle le seuil des 10%.

Mais les particuliers ne sont pas les seuls à goûter au «tout impôt» à la Française. Ainsi, malgré ses positions dépeintes comme «libérales», l'exécutif a décidé de surtaxer l'IS versé par les plus grandes entreprises françaises. S'il s'agit, là encore, de prendre en compte l'ardoise laissée par François Hollande, on ne peut pas dire que l'on prenne le chemin des promesses de campagne tenues, en l'occurrence celle d'aligner le taux de l'IS à 25% pour toutes les entreprises d'ici 2022.

«Un très mauvais signal envoyé aux entreprises» juge Virginie Pradel, d'autant plus que comme nous l'évoquions à l'époque, là encore, rien ne garantit que cette «contribution exceptionnelle» ne soit pas pérennisée. Un scénario que valide la fiscaliste:

«Il n'y a aucune raison de penser que compte tenu de l'endettement du pays, on n'ait pas un maintien de cette surtaxe dans les années à venir.»

Que penser également de la réforme de l'ISF? Si Virginie Pradel salue une «mesure indispensable» au regard du contexte de compétition fiscale entre États, soulignons que si beaucoup ont fustigé cette «suppression», il ne s'agit en fait que d'un recentrage de cet impôt polémique sur le seul patrimoine immobilier (d'où son nouveau nom d'impôt sur la fortune immobilière), celui qui est si important pour les classes moyennes, dont le logement est souvent le seul patrimoine.

En revanche, les classes les plus aisées bénéficient pleinement de cette mesure: leur patrimoine est bien souvent constitué en majorité de valeurs mobilières (portefeuille de titres, assurances-vie, etc.), exonérées de l'ISF nouvelle mouture, de même que les «signes extérieurs de richesse» (yachts, voitures de luxe…). En ce qui concerne cet autre marqueur de réussite que sont les œuvres d'art, elles échappent à l'impôt sur la fortune depuis sa création, grâce au fils d'antiquaire et ministre de l'Économie de François Mitterrand, Laurent Fabius.

​D'ailleurs, une étude de l'Observatoire français des conjonctures économiques confirme que Macron est bien le «Président des riches», puisqu'en 2019, «les 2% les plus riches capteraient 42% des gains» de pouvoir d'achat imputables aux réformes du Président En Marche.

Tout cela est destiné, comme l'expliquait Bruno Le Maire à un Florent Pagny désireux de s'expatrier au Portugal pour «raisons fiscales», à «inciter […] tous ceux qui créent des richesses» à rester en France. Pas dit, en revanche, que ceux qui depuis des décennies constituent le gros du bataillon des contributeurs au budget de l'état (au premier rang desquels les classes moyennes) apprécient ce énième tour de vis fiscal.

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