Les hashtags anti-harcèlement se multiplient à une vitesse impressionnante, se transforment de mouvements purement médiatiques en mobilisations, comme celle d'aujourd'hui dans les rues de Stockholm. Revenons sur l'histoire de la naissance de ces campagnes pour comprendre qui se cache derrière et quels buts elles permettent d'atteindre.
Les origines de #balancetonporc et de #metoo
Ces deux hashtags ont été créés presque simultanément. Le 13 octobre 2017, la journaliste Sandra Muller a lancé sur son compte Twitter un appel aux victimes de harcèlement à raconter leurs expériences sous le hashtag #balancetonporc (existant sous la forme de #moiaussi au Canada francophone).
Deux jours plus tard, l'actrice américaine Alyssa Milano a encouragé les femmes à se joindre au mouvement #metoo parce que «Si toutes les femmes qui ont vécu un harcèlement ou agression sexuelle écrivent "moi aussi" comme statut, nous pourrons faire comprendre au monde l'ampleur du problème».
Les hommes, eux aussi, ont utilisé ces hashtags pour soutenir les femmes ou décrire l'état de choc profond dans lequel les avaient plongés les témoignages publiés.
La campagne Me Too est née en vérité il y a une dizaine d'années grâce à la militante américaine Tarana Burke qui s'est chargée de dénoncer les abus sexuels dont sont notamment victimes les représentants des minorités.
Pour quoi ces deux campagnes se battent-elles?
Si, grâce au mouvement d'Alyssa Milano/Tarana Burke, les femmes forment une sorte d'armée de solidarité pour soutenir l'une l'autre et sensibiliser le monde, les participantes de la campagne française donnent les noms de leurs agresseurs et les détails des abus sexuels qu'elles ont subis. Il est d'ailleurs possible de le faire tout en gardant l'anonymat sur le site.
C'est pourquoi on peut lire des messages de ce type sous le hashtag #balancetonporc:
Dans une interview au Figaro Live, la créatrice de #balancetonporc, Sandra Muller, estime que son hashtag, primo, a permis aux victimes de s'exprimer, secundo, de prendre connaissance des réactions aux témoignages publiés et de réfléchir et, tertio, de faire probablement le pas suivant, à savoir porter plainte.
Mouvement ukraino-russo-biélorusse face à l'indifférence de la société
Ce sujet délicat a été également relayé sur le Net russo- et ukrainophone. L'action #jenaipaspeurdedire, lancée en 2016 sur Facebook par la journaliste et militante ukrainienne Anastassia Melnichenko, est rapidement devenu populaire en Russie et en Biélorussie.
Sous ce hashtag, des femmes publient des expériences dures à surmonter et à raconter. Elles dénoncent également l'indifférence de leurs proches, de leurs amis, ainsi que des autorités et de la société envers le harcèlement sexuel et le viol. Des femmes parlent de tentatives de viol commises sur elles par des amis et des inconnus, dont les arguments étonnent: «Je le veux et toi tu le veux aussi», «Arrête de crier» et parfois, si l'homme cède aux implorations, «Désolé de t'avoir fait peur, je n'ai pas pu me retenir».
L'idée de cette action est venue à l'esprit de la journaliste pour dénoncer la réaction tristement répandue lorsqu'au lieu de soutenir la victime, on commence à se demander si ce n'est pas elle qui est responsable de son agression:
«Je veux que nous [les femmes] ne nous excusions pas», avait-elle martelé. «Parce que nous ne devons pas nous excuser. Nous ne sommes pas coupables, c'est le violeur qui est TOUJOURS coupable.»
Mouvements parallèles, quels buts?
Les autres campagnes-sœurs: #notguilty («je ne suis pas coupable»), #yesallwomen («oui, toutes les femmes»), #womenwhoroar («femmes qui hurlent») servent principalement à encourager les victimes à parler des abus sexuels subis sans crainte de n'être pas comprises, mal comprises ou même condamnées elles-mêmes pour avoir provoqué leurs agresseurs.
L'une des actions les plus récentes s'appelle #timeisup («c'est fini»), qui, à la différence des autres, n'est pas une initiative médiatique, mais un mouvement réel organisé par quelque 300 actrices hollywoodiennes, dont Natalie Portman, Meryl Streep et Cate Blanchett. Indignées par le fait que «les harceleurs ne payent jamais le prix des conséquences», elles ont mis en place un fonds d'aide aux victimes d'abus sexuels au travail dont l'argent devrait financer leur défense.
Questions non clarifiées
L'affaire Harvey Weinstein a fait en octobre l'effet d'une bombe et a remonté à la surface une pléthore de problèmes, dont la promotion canapé, le harcèlement sexuel et le viol impunis. Les organisateurs des campagnes lancées dans la foulée et vite débordées ont ouvert la boîte de Pandore d'où se sont échappées des expressions de soutien et de propres histoires des militantes qui luttent pour la justice et la vérité.
Le problème est que dans le flot de réactions, déclarations incendiaires et témoignages déchirants pourraient également se perdre les vraies victimes. Pas les femmes qui ont accepté d'avoir des relations sexuelles en échange d'un rôle ou d'une promotion et qui l'ont ensuite regretté, mais les victimes silencieuses, perturbées par l'expérience vécue au point de vouloir effacer ces instants de leur mémoire. Et si l'on imagine à quel point il doit leur être dur d'en parler, surtout en public, se pose la question de savoir si toutes celles qui ont partagé leurs témoignages en ligne sont vraiment victimes, en si grandes quantités, et est-ce que ces campagnes aident vraiment à résoudre leur problème?
Quel le véritable but de ce combat?
Ayant vécu une expérience douloureuse, la vraie victime n'est probablement ni pour ni contre une mobilisation, ne veut ni établir la justice, ni sensibiliser personne à ce sujet. Chose simple mais peu réalisable: elle veut de nouveau se sentir bien, sans que la tragédie qui lui a été imposée par son ou ses agresseurs l'empêche de vivre, et que cela n'arrive plus jamais — ni à elle, ni à d'autres femmes.
L'objectif primordial est alors de lui assurer la sérénité.