"Ils se moquaient de moi": un survivant de Nagasaki accuse les États-Unis
© Photo Public domain / Hiromichi Matsuda / Nagasaki Atomic Bomb MuseumNuage atomique près de Nagasaki
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Les États-Unis avaient forcé les autorités japonaises à cacher la vérité sur les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki en août 1945. C’est ce qu’a déclaré Yasuaki Yamashita, survivant de cette tragédie âgé de 84 ans, lors de la présentation à Mexico d’un livre consacré aux victimes des bombes atomiques au Japon.
L’interdiction américaine de diffuser des informations sur les bombardements nucléaires d’Hiroshima et Nagasaki a été cause de souffrances des survivants à ces attaques pendant des années, a déclaré Yasuaki Yamashita. Âgé de 84 ans, venant de Nagasaki, il a partagé son expérience douloureuse à Mexico lors de la présentation d’un livre consacré aux victimes des bombes atomiques par le spécialiste du Japon Sergio Hernández.
"Cela [la discrimination, ndlr] s’est produit parce qu'il n’y avait absolument aucune information car les États-Unis ont interdit de parler de la bombe atomique", a-t-il indiqué.
Les Japonais ne savaient pas exactement ce qu’il s’était passé à Hiroshima et Nagasaki, parce que Washington obligeait les médecins et les autorités du Japon à cacher la vérité, affirme M.Yamashita.
Victimes d’une discrimination
M.Yamashita avait six ans quand l’armée américaine a largué sur Nagasaki la bombe Fat Man ("homme obèse") contenant 6,4 kg de Plutonium 239. Il dit avoir été victime de discrimination depuis cet événement tragique. Selon lui, les gens au Japon qui ne savaient pas la vérité, croyaient que "les survivants avaient sûrement une maladie contagieuse" et qu’ils devaient être mis en quarantaine, se souvient M.Yamashita.
"Les médecins japonais ont commencé à faire des recherches, mais quand les Américains sont arrivés, ils ont confisqué toutes les recherches [...]. Pour cette raison, les gens qui ne comprenaient pas ont commencé à nous discriminer", a-t-il expliqué.
M.Yamashita a souligné que ceux qui avaient survécus, étaient par la suite rejetés sur le plan professionnel et personnel. Ils n’avaient pas la possibilité de créer une famille ou de poursuivre leurs aspirations.
"Ils se moquaient de moi, mais je n’étais pas seul. Beaucoup de femmes quittaient Hiroshima et Nagasaki pour se marier et avoir des enfants, mais une fois qu'on apprenait d'où elles venaient, il y avait un divorce [...]. Beaucoup d'hommes et de femmes ont mis fin à leurs jours [pour cette raison, ndlr] ", a déploré M.Yamashita.
Les jours de la tragédie
Le 9 août 1945, Yasuaki Yamashita voulait aller jouer dans les montagnes avec ses amis, mais il a finalement décidé de rester chez lui. Cela lui a sauvé la vie. Ses copains sont morts de leurs blessures causées par l’explosion de la bombe qui avait une puissance de 21 à 23 kilotonnes.
"Ma mère m'a appelé [...]. Lorsque nous sommes entrés [dans la maison], il y a eu un éclair puissant, comme s'il y avait eu 1.000 éclairs à la fois […]. Ma mère m'a jeté au sol, elle m’a protégé de son propre corps. Il y a eu une très forte explosion. Nous avons eu l'impression que des milliers de choses volaient au-dessus de nous et tout à coup il y a eu un silence total. Quand nous nous sommes levés, les fenêtres, les portes et les toits avaient disparu", se rappelle-t-il.
Sa sœur a été blessée. Les deux enfants et leur mère ont couru vers l’abri le plus proche situé sur une montagne. Ils y ont trouvé des centaines de personnes. En raison du manque de nourriture, Yamashita, sa mère et sa sœur ont quitté le refuge et sont allées dans les champs pour chercher leurs proches, qui étaient paysans. Pour atteindre cette région, ils ont dû passer par l'endroit où la bombe avait explosé.
"Il y avait des cadavres partout. Il n'y avait rien [aucun bâtiment, ndlr], tout avait été brûlé et détruit. C'était un endroit complètement noir. Nous avons dû marcher à travers tous ces décombres. Ils [les proches de Yamashita, ndlr] n'avaient pas de nourriture non plus et nous sommes rentrés chez nous", se rappelle-t-il, ajoutant qu’il ne trouve pas de mots pour décrire à quel point la dévastation à Nagasaki était grotesque et horrible.
Au cours des semaines suivantes, la population a commencé à mourir des radiations excessives. Au total, 74.000 personnes sont mortes dans cette ville japonaise.
Départ au Mexique
En 1968, M.Yamashita est arrivé à Mexico pour collaborer avec un journal japonais au cours des Jeux olympiques. Il espérait y commencer une nouvelle vie, pouvoir travailler.
"J'étais fasciné d'être au Mexique, mais au bout de deux ans, j'ai commencé à vomir et à perdre du sang. Je m’évanouissais n’importe où", s’est-t-il souvenu.
Cependant, même chez les médecins, il n'osait pas dire qu'il était un survivant du bombardement atomique de Nagasaki. Ce n'était qu'en 1995 que, suite à un appel du fils d'un de ses amis, qu’il a décidé de révéler la vérité lors d'une conférence devant des étudiants.
"L’image est revenue dans ma mémoire. J'ai beaucoup souffert en parlant, mais j'ai pu terminer mon discours. En même temps, j'ai commencé à sentir que cette douleur que j'avais gardée pendant près de 50 ans, diminuait. Je me sentais un peu soulagé. Je me suis dit: ‘C'est ma thérapie, je dois parler’. Nous devons faire de sorte que le monde entier comprenne ce qu’il s'est passé à Hiroshima et à Nagasaki. Quand il y a une opportunité, quand que je suis invité, je raconte mon expérience", a expliqué M.Yamashita.