Visite de Steinmeier au Sénégal: en Afrique, "l’Allemagne a des atouts stratégiques indéniables"

© AFP 2024 OLYMPIA DE MAISMONTAngela Merkel en visite en Afrique
Angela Merkel en visite en Afrique - Sputnik Afrique, 1920, 22.02.2022
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"Dans le contexte des retombées de la crise ukrainienne, l’Allemagne […] n’aura pas d’autres alternatives viables pour assurer sa sécurité énergétique que celle de se tourner vers l’Afrique", affirme auprès de Sputnik le politologue Farid Benyahia. Selon lui, Berlin a "des atouts stratégiques" décisifs.
Alors que la France et ses partenaires dans les opérations Barkhane et la force opérationnelle Takuba, dont l’Allemagne, ont annoncé le retrait de leurs forces du Mali, le Président sénégalais Macky Sall a exhorté le 21 février Berlin à maintenir ses troupes dans ce pays en proie à une grave crise sécuritaire.
Président en exercice de l’Union africaine, Macky Sall s’est exprimé lors d’un point presse conjoint avec son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier, en visite au Sénégal depuis le 20 février. "Il faudra envisager, lorsque les conditions vont s’améliorer, un retour en force de toutes ces forces européennes à côté de la Minusma (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali, ndlr) et d’autres forces africaines pour pouvoir accompagner le Mali et tout le Sahel dans ce combat sérieux pour l’Afrique", a-t-il affirmé.
De son côté, le chef de l’État allemand a fait savoir que "les attentes de l’Union africaine et de la CEDEAO [la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest, ndlr] existent envers l’Allemagne pour stabiliser le Sahel". Et d’insister: "Demain nous aurons des échanges avec les experts de sécurité, nous devons prendre les décisions en Allemagne. C’est un débat qu’il faudra mener au sein du gouvernement, mais la décision finale incombe au Parlement".
L’Allemagne a-t-elle intérêt à se retirer du Mali et du Sahel? Berlin est-il dans la même posture géostratégique que Paris? Que peuvent faire le Mali et les autres pays du Sahel pour convaincre les Allemands de rester dans la région? L’économie, notamment les hydrocarbures, peut-elle asseoir une forte coopération entre les pays du Sahel et l’Allemagne?
Pour répondre à ces questions, Sputnik a sollicité le Dr Farid Benyahia, politologue et chercheur dans les questions géopolitiques et économiques. Pour lui, "dans le contexte des retombées de la crise ukrainienne, l’Allemagne, qui vient d’annoncer la suspension de l’autorisation du gazoduc Nord Stream 2, appelé à doubler les livraisons de gaz vers l’Europe, n’aura pas d’autres alternatives viables pour assurer sa sécurité énergétique que celle de se tourner vers l’Afrique, et ce pour plusieurs raisons liées à des enjeux géostratégiques".

"Le jeu trouble des Anglo-Saxons à l’égard de l’Allemagne"?

"Comme il fallait bien s’y attendre, le jeu trouble des Anglo-Saxons à l’égard de l’Allemagne, dans le sillage de la crise ukrainienne, a bien fini par porter un coup dur à ses relations diplomatiques et politiques avec la Russie, et à travers cette dernière avec toute la région eurasiatique", avance le Dr Benyahia.
Et d’expliquer que "les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Otan ont visé au moins trois objectifs derrière cette stratégie d’escalade en Ukraine. Le premier est d’empêcher à tout prix, comme lors du Grand jeu géopolitique qui a précédé la Première Guerre mondiale, la constitution de l’axe eurasiatique Berlin-Moscou-Téhéran-Pékin, ce qui aurait permis à toute cette région d’échapper à la domination impériale maritime dans Anglo-Saxons. Le deuxième vise le sabotage du gazoduc Nord Stream 2. Ceci va certainement affaiblir l’Allemagne en termes de sécurité énergétique, ce qui pourrait causer des dommages importants à toute son économie. Enfin, dans le contexte où l’armée allemande demeure toujours d’une importance mineure, le troisième objectif consiste à garder l’Allemagne sous le parapluie de l’Otan, à la déclasser au profit du Royaume-Uni qui ambitionne depuis son Brexit de devenir l’interlocuteur des États-Unis, de la Russie et de la Chine pour le continent européen. Les Américains, quant à eux, veulent rafler le marché du gaz européen en substituant le GNL, notamment de schiste, au gaz russe qui devient tout à fait exploitable vu l’augmentation du prix du pétrole au-dessus des 80 dollars [actuellement 98 dollars le baril, ndlr], la barre de sa rentabilité".
Dans ce contexte, selon lui, "l’Afrique s’avère être une importante porte de sortie, aussi bien sur le plan politique qu’économique et énergétique. L’Afrique est un continent qui regorge de ressources en hydrocarbures, notamment en gaz, en métaux précieux comme les terres rares nécessaires aux hautes technologies et de main-d’œuvre jeune. Le continent africain, qui connaît également dans plusieurs de ses régions une forte croissance, va constituer dans le futur un grand marché de près de plus deux milliards de consommateurs à l’horizon 2050".

Le gaz et l’hydrogène liquide africains, des alternatives viables?

En 2004, lors de son discours d’investiture, le Président allemand Hörst Köhler avait fait une prophétie qui s’est réalisée quelques années après, suite à l’arrivée de la chancelière Angela Merkel au pouvoir, qui a recentré la politique de son pays sur le continent africain. "Pour moi, l’humanité de notre monde se mesurera à l’aune du destin de l’Afrique", avait alors déclarait le chef de l’État allemand.
À ce titre, le Dr Benyahia rappelle qu’en "2017, le gouvernement allemand a lancé l’idée d’un +Plan Marshall avec l’Afrique+, à l’image de celui des États-Unis pour la reconstruction de l’Europe au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Sous le parrainage d’Angela Merkel, ce projet avait pour but l’accroissement des investissements privés et le renforcement de l’entrepreneuriat, en y associant l’UE et l’Union africaine (UA). Le cap a notamment été mis sur énergies renouvelables. Il y a également l’initiative +Compact with Africa+ qui a été mise en place par le ministère allemand des Finances, dédiée à l’accompagnement financier des investissements allemands en Afrique".
Dans ce sens, l’expert estime que "l’actuel gouvernement allemand peut accélérer le retour de son pays en Afrique, en s’appuyant sur ces deux initiatives qui ont déjà trouvé un important écho auprès des pays africains. Bien que l’Allemagne soit également une ancienne puissance coloniale [Namibie, Cameroun, Togo, Rwanda, Burundi et une partie de la Tanzanie, ndlr], son passé colonial pèse peu dans ses relations avec les peuples africains, contrairement à la France. Ainsi, dans le cadre d’une coopération étroite gagnant-gagnant, l’Allemagne pourrait déjà fédérer des pays comme l’Algérie, le Mali, le Niger et le Nigéria pour exploiter leurs gisements communs de gaz et de pétrole en vue de les exporter vers l’Europe, via l’Italie et l’Espagne. À partir de l’Italie, un gazoduc pourrait être construit pour acheminer le gaz africain vers l’Allemagne. Par ailleurs, le gouvernement allemand a également annoncé récemment sa volonté de transférer la technologie de production d’hydrogène liquide aux pays africains afin de remplacer le charbon et l’énergie nucléaire. L’Allemagne ambitionne d’importer entre 40 et 60% de l’hydrogène dont elle a besoin pour sa politique de transition énergétique".

Quid de la concurrence avec les autres puissances?

Enfin, le spécialiste estime que "bien que les investissements allemands ont fortement augmenté depuis les années 2000 pour s’établir à 14 milliards de dollars en 2018, ils restent tout de même très inférieurs par rapport à ces autres concurrents: la Chine, les Pays-Bas, la France, le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Italie. Cependant, en 2017, le volume des exportations allemandes vers l’Afrique a atteint près de 28 milliards de dollars, devançant la France. Ainsi, l’appel du Président Macky Sall a tout son poids dans la conjoncture actuelle".
En effet, "l’Allemagne a un très grand potentiel industriel, scientifique et technologique qu’elle peut mettre au profit des pays africains, notamment ceux du Sahel où elle a près de 1.500 soldats engagés dans la lutte antiterroriste. Si les pays africains préfèrent actuellement se tourner vers la Chine, la Russie, l’Inde, l’Iran et la Turquie c’est parce qu’ils ont trouvé dans ces pays une oreille attentive à leurs besoins fondamentaux de développement, mais dans la dignité et le respect. L’Allemagne a plus que n’importe quel autre pays européen des atouts stratégiques indéniables, comme dans le domaine de la mécanique, de l’électronique, de l’optoélectronique, de la machine-outil et de l’énergie, à même de faire d’elle un pays leader en Afrique pour peu qu’il ait du courage et de la détermination politiques d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée. Dans ce cadre, la France, l’Espagne, l’Italie seront certainement partantes pour un partenariat plus élargi", conclut-il.
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