Pour avoir invité des "antivax", le créateur du podcast le plus populaire au monde dans la tempête

© AFP 2023 CINDY ORDphoto d'illustration, le podcast "The Joe Rogan Experience" est visualisé sur l'application mobile de Spotify
photo d'illustration, le podcast The Joe Rogan Experience est visualisé sur l'application mobile de Spotify - Sputnik Afrique, 1920, 08.02.2022
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Inviter des virologues hétérodoxes n’est pas de bon ton. L’animateur du podcast le plus écouté au monde l’a appris à ses dépens. L’Américain Joe Rogan a vu 70 de ses épisodes retirés de la plate-forme Spotify.
"Ce que Neil Young et compagnie ont demandé, c’est de faire taire Joe Rogan. Aux États-Unis la cancel culture, c’est de faire taire un certain nombre de voix dissidentes. Si vous avez des opinions qui ne sont pas dans le moule de la pensée unique, qui ne correspond à la vision du monde de la gauche radicale et du Parti démocrate, on vous fait taire. On vous annule", résume Gérald Olivier, spécialiste des États-Unis à l’Institut prospective & sécurité en Europe (IPSE).
Pour lui, la controverse et l’hystérie médiatique qui entoure actuellement l’animateur du podcast The Joe Rogan Experience (JRE) est un cas d’école de cancel culture. L’affaire a commencé lorsque 270 médecins, scientifiques et professionnels de la santé ont signé une lettre ouverte demandant à Spotify de mettre en place une politique de traitement de la désinformation en raison des "antécédents préoccupants de Rogan en matière de diffusion de fausses informations, en particulier concernant la pandémie de Covid-19".
En cause, deux des 1.772 épisodes de l’émission à succès dans laquelle l’animateur-star a invité deux virologues sceptiques à l’égard des vaccins. En particulier, un épisode dans lequel il a reçu le docteur Robert Malone, l’un des pionniers des travaux sur l’ARN messager, écarté de la communauté médicale (et suspendu la veille de Twitter) pour désinformation. Durant l’émission, l’expert a exprimé des réserves quant aux vaccins, qu’il juge potentiellement dangereux. Il a aussi accusé les autorités sanitaires d’avoir "hypnotisé" l’opinion.

"Ils peuvent avoir (Joe) Rogan ou (Neil) Young. Pas les deux."

De prime abord, la pétition des 270 médecins n’a pas eu l’impact médiatique souhaité. Mais c’était sans compter sur le soutien de poids du mastodonte de l’industrie musicale américaine, le folkeux Neil Young. L’interprète d’Old Man juge que sa musique n’a plus sa place sur la plate-forme de streaming Spotify. Du moins tant que celle-ci continue "de diffuser de fausses informations sur le vaccin", écrit-il dans une lettre ouverte datée du 24 janvier. "Ils peuvent avoir (Joe) Rogan ou (Neil) Young. Pas les deux", menaçait-il. L’affaire a alors pris une dimension nationale, voire internationale. Le Loner n’est pas resté longtemps isolé. La chanteuse américano-canadienne Joni Mitchell et plusieurs autres stars hollywoodiennes telles que Sharon Stone ou Dwayne ‘The Rock’ Johnson se sont rangées à ses côtés.
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À son tour, la Maison-Blanche a réagi. "Notre espoir est que toutes les grandes plates-formes technologiques et toutes les grandes sources d'information, d'ailleurs, soient responsables et vigilantes pour s'assurer que le peuple américain ait accès à des informations précises sur quelque chose d'aussi important que le covid-19. Cela inclut certainement Spotify", a déclaré son porte-parole, Jen Psaki.
Face à la tempête médiatique, Joe Rogan a présenté depuis son compte Instagram sa vision des choses. Pour lui, "il y a beaucoup de gens qui ont une perception déformée" de ce qu’il fait, "peut-être sur la base d’extraits ou de titres d'articles désobligeants". Défendant son choix d’inviter le Dr Robert Malone et le Dr Peter McCullough, tous deux sceptiques à l'égard des vaccins, sur le podcast, Joe Rogan les a décrits comme "des personnes très hautement réputées, très intelligentes, très accomplies et qui ont une opinion différente du récit dominant". Un peu comme s’il avait invité le professeur Perronne ou le professeur Raoult en France.
"Je voulais entendre leur opinion, je les ai fait participer et, à cause de cela, ces épisodes en particulier ont été étiquetés comme dangereux", a plaidé l’animateur. Ce dernier a ajouté qu'il avait un problème avec le terme "désinformation", car ce qui était considéré comme tel il y a quelques mois est maintenant accepté comme un fait. Il a cité les exemples de l'inefficacité des masques en tissu et de l'infection par le Covid-19 après la vaccination. Par ailleurs, le comédien a rappelé qu’il avait reçu des invités favorables aux vaccins comme le Dr Sanjay Gupta, spécialiste médical de CNN ou encore le Dr Michael Osterholm, membre de l’équipe qui conseil Joe Biden sur la crise sanitaire.

Un processus sournois

Malgré ces explications, les attaques, tant dans la presse que sur les réseaux sociaux, le présentent comme un commentateur populiste et anti-vax. Pour Nicolas Conquer, porte-parole des Républicains de l’étranger, cette attaque en règle, initiée par des scientifiques, récupérée par des stars hollywoodiennes puis par la Maison-Blanche, illustre le poids de la cancel culture outre-Atlantique.
"Ces attaques sont l’expression d’une infime minorité, amplifiée par les médias, qui jalousent son succès. Les gens qui veulent le ‘cancel’ sont des gens qui se prétendent ‘pour’ la science, mais qui refusent toute discussion contradictoire qui pourrait faire émerger la vérité", explique-t-il au micro de Sputnik.
Un processus que Gérald Olivier juge particulièrement sournois. "Les procureurs de la Cancel culture agissent en vous privant de vos moyens de subsistance, d’une plate-forme, et bien évidemment, du droit vous exprimer." En témoigne une vidéo montage sortie récemment qui compile hors de leur contexte des clips de Joe Rogan utilisant le terme "nègre" à plusieurs reprises durant douze ans d’émission. Pour le chercheur de l’IPSE, c’est une forme de maccarthysme, du nom de la politique de délation et de persécution menée aux États-Unis, dans les années 1950, à l'encontre de personnalités soupçonnées de sympathies communistes.
Cette vindicte est d’autant plus hors de propos selon Nicolas Conquer, qu’elle s’attaque à la mauvaise personne. "C’est toujours quelqu’un qui a été ouvert au débat, sur tous types de sujets. Qu’il s’agisse de l’exploration spatiale, du sport, ou accessoirement du traitement de la crise sanitaire et des éventuels remèdes face à cette maladie", rappelle-t-il.

Spotify opte pour l’argent plutôt que pour le politiquement correct

Joe Rogan "n’est pas quelqu’un de partisan. Il fait partie des indépendants, il ne s’est jamais positionné en faveur d’un camp ou de l’autre. Il dénonce en brèche le mouvement Make America Great Again [des partisans de Donald Trump, ndlr]. Il refuse toute politisation", ajoute-t-il. Au contraire, certains voient même en lui un Démocrate. Le journaliste politique américain Glenn Greenwald estime pour sa part que "Joe Rogan est un libéral démocrate à tous points de vue." D’ailleurs, "il ne ménage pas les personnalités conservatrices ou contre le vaccin qu’il invite. C’est un être libre, c’est ça qu’on lui reproche dans le fond: son succès et sa liberté de ton", constate le Républicain de l’étranger.
L’animateur, qui est également commentateur sportif en MMA et comédien, doit son succès à cette ouverture d’esprit, affirment nos interlocuteurs. Dans JRE, l’on peut aussi bien tomber sur une émission où Elon Musk fume un joint en parlant de Tesla, que sur une émission avec Edward Snowden ou Bernie Sanders (à qui Joe Rogan a apporté son soutien politique lors de la présidentielle de 2020). Une diversité des opinions qui a forgé le succès du podcast… et qui pourrait bien lui sauver la vie.
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Le podcast de Joe Rogan est sans doute le plus populaire au monde. En tout, il cumule 190 millions de téléchargements mensuels, 11 millions d’auditeurs par épisodes. Conscient du succès de cette émission, la Spotify s’est procuré en mai 2021 l’exclusivité de sa diffusion pour la somme de 100 millions de dollars. Comme l’explique Greenwald, "Joe Rogan a bâti l'une des plates-formes médiatiques les plus importantes et les plus influentes de la politique américaine, si ce n'est la plus influente".
Malgré la polémique, Spotify n’a pas rompu son contrat avec l’animateur. Bien que l'action Spotify ait chuté de 20% dans les jours qui ont suivi la controverse, la compagnie a préféré garder le format en y ajoutant une bannière informative lorsque les invités sont jugés "sulfureux". "Nous travaillons à l'ajout d'un avis sur le contenu de tout épisode de podcast qui inclut une discussion sur le Covid-19", a ainsi fait savoir la multinationale du streaming. De plus, Joe Rogan a promis qu’il inviterait d’autres voix pour équilibrer son émission lorsqu’il recevrait des invités hétérodoxes.
En définitive, "sa popularité fait qu’il est presque impossible à cancel... Même s’il reste victime de la cancel culture", conclut Conquer.
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