Covid: un ancien grand patron du CAC 40 "estomaqué" face à la gestion sanitaire
© AFP 2024 BERTRAND GUAYJean Castex et Olivier Véran à l'Assemblée nationale (archive photo)
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Le recours aux prestataires privés de conseil dans la gestion de la crise sanitaire témoignerait d’une faiblesse de l’État. Loïk Le Floch-Prigent, ancien grand patron français, se livre au micro de Rachel Marsden.
La crise sanitaire a mis en lumière un phénomène méconnu: le recours massif des États aux cabinets de conseil privés. Ce n’est donc plus un secret que le gouvernement a versé des millions d’euros à de telles entreprises pour l’aider dans sa "stratégie" de lutte contre le Covid-19.
Véronique Louwagie, rapporteuse spéciale des crédits de la mission Santé de l’Assemblée nationale, s’est penchée sur la question avec un rapport. Celui-ci indique que l’année dernière, "28 commandes entre mars 2020 et février 2021", pour un "coût prévisionnel de 11,35 millions d’euros", ont été passées à "sept cabinets: Accenture, CGI, Citwell, Deloitte, JLL, McKinsey et Roland Berger".
Lors d’une audition au Sénat le mois dernier, Thomas London, responsable du pôle Santé publique de la filiale française de McKinsey s’est défendu: "Nous n’avons pas eu de rôle dans la définition de la stratégie vaccinale", mais plutôt un rôle dans le benchmarking, la logistique et la coordination. Est-ce vraiment tout?
Dans d’autres pays, comme le Canada ou le Portugal, des experts militaires en logistique coordonnent l’intendance des vaccins sans coût supplémentaire pour le contribuable. Pour autant, le gouvernement canadien fait travailler McKinsey.
Le mois dernier, les trois principaux partis d’opposition canadiens ont demandé à la vérificatrice générale d’ouvrir une enquête sur la sous-traitance qu’effectue le cabinet pour le gouvernement. La demande est intervenue après une publication du journal Globe and Mail. Elle a notamment dévoilé que "les dépenses fédérales en contrats d’impartition dans la catégorie des contrats professionnels et services spéciaux ont augmenté de plus de 40% depuis que les Libéraux ont formé le gouvernement en 2015, atteignant 11,8 milliards de dollars au cours de l’année fiscale précédente".
Ce recours massif aux cabinets de conseil ne sert même pas à réduire les coûts de la fonction publique puisqu’il s’est accompagné d’une croissance des effectifs de fonctionnaires.
Loïk Le Floch-Prigent, ancien patron du CAC 40, estime que le recours à ces cabinets souligne un défaut :
"Souvent, quand les services ne sont pas efficaces, c’est parce que les personnels ne sont pas assez nombreux. Or ici, il est évident qu’on avait beau rajouter du personnel, c’était de plus en plus inefficace. Par conséquent on a bien un problème d’inefficacité de l’État face à cette pandémie. Était-ce spécifique à la pandémie ou à la santé? Hélas, non. Dans tous les secteurs qui ont suivi et qui travaillaient sur les problèmes d’industrialisation, le même phénomène s’est déroulé. L’administration n’était pas en mesure de comprendre les problèmes."
Celui qui est aussi l’ex-président de Gaz de France et de la SNCF se souvient du temps où il était grand patron. À l’époque, le recours à ces cabinets de conseil dans l’industrie était "marginal" et n’avait qu’un but:
"Un certain nombre de patrons essayaient de trouver la bonne solution pour faire passer des réformes. Ils estimaient que si on prenait un bureau d’études extérieur, cela conduirait le personnel à mieux les accepter. C’était plus pour avoir la caution de gens supposément très intelligents."
En voyant comment le gouvernement faisait appel aux bureaux d’études rien que pour organiser l’administration des vaccins, il a trouvé cela "aberrant".
"Nous, industriels, avons vu la logistique mise en place au moment du Covid et nous avons été estomaqués. Nous n’avons pas compris comment les administrations n’arrivaient pas à comprendre ce qu’est la logistique", s’étonne-t-il.
Loïk Le Floch-Prigent souligne que les industriels français, en matière de logistique, "sont bons et gratuits". Alors pourquoi s’adresser à des cabinets privés? Au-delà de l’industrie, une enquête du Sénat a révélé qu’un contrat de 500.000 euros avait été signé avec McKinsey pour préparer un séminaire sur les grandes tendances de l’évolution du secteur de l’enseignement. Pour l’ancien grand patron, c’est une remise en cause profonde de l’État. Il espère que le Parlement français se posera une question qu’il juge essentielle:
"À quoi sert l’administration si elle n’est pas capable d’administrer? Ce recours massif aux sous-traitants illustre le fait que l’administration a disjoncté."