GNL qatari en Europe? "Ce n’est pas une solution, les Américains le savent et les Russes aussi"

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Gaz, image d'illustration - Sputnik Afrique, 1920, 26.01.2022
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Dans l’éventualité d’une guerre avec la Russie, les Américains négocieraient avec les Qataris afin qu’ils approvisionnent l’Europe en gaz. Hypothèse crédible ou simple surenchère verbale états-unienne? Analyse.
Du gaz qatari à la place du gaz russe?
Telle serait l’idée en vogue à Washington. Selon Bloomberg, les responsables américains démarcheraient activement l’émirat afin qu’il fournisse en gaz naturel liquéfié (GNL) les Européens en cas d’invasion de l’Ukraine par la Russie. Plus précisément, au cas où les Russes couperaient le robinet en riposte à de nouvelles sanctions occidentales déclenchées par une telle opération. L’émir cheikh Tamim ben Hamad Al Thani est ainsi attendu à la Maison-Blanche le 31 janvier.
Rien de surprenant pour Alexandre del Valle, pour qui les Américains restent fidèles à leur ligne vis-à-vis de Moscou. Leur plan est «limpide», estime auprès de Sputnik le co-auteur de La mondialisation dangereuse (Éd, l’Artilleur 2021): provoquer le plus possible les Russes pour les pousser à la faute et justifier ainsi de nouveaux trains de sanctions qui les isoleraient davantage.
«La prise du Donbass –indirectement– et la prise de la Crimée –directement– est ce que souhaitaient les Américains, de la même manière que Zbigniew Brzezinski ou encore l’ancien officier de la CIA Robert Bauer dans ses mémoires ont reconnu que l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques avait été provoquée par les Américains», avance le géopolitologue, qui met en garde contre ce «piège américain».
Il n’est un secret pour personne que les Américains lorgnent sur le marché gazier européen. Un coup de main de leurs alliés du Golfe permettrait de pallier une diminution forcée des fournitures russes à l’Europe.

Sanctions antirusses, les gaziers US applaudissent

Cette volonté de couper les Européens des Russes en s’attaquant aux fournitures d’or bleu se retrouve d’ailleurs dans les futures sanctions concoctées à Washington et Bruxelles. Annoncées comme étant «d’une sévérité inédite», celles-ci mettraient sur la table l’interdiction des banques russes de recourir au dollar ainsi que la réduction des achats européens d’hydrocarbures russes. À l’heure actuelle, le gaz et le pétrole russe représentent respectivement 43 % et 20 % de l’approvisionnement de l’UE.
Des volumes considérables auxquels les Européens ne pourront renoncer d’un trait de plume, souligne Alexandre del Valle. Constat que dresse également l’économiste Jacques Sapir. Il ne pourrait s’agir que de «diminutions très progressives» des approvisionnements auprès de la Russie, s’étalant sur une décennie.
L’économiste rappelle qu’il serait par ailleurs particulièrement coûteux de remanier le système énergétique du Vieux continent, sans oublier qu’il apparait peu probable que Doha tourne le dos à ses clients asiatiques pour approvisionner l’UE. Pourtant, Le Qatar, deuxième exportateur mondial de GNL derrière les États-Unis, prévoit grâce à l’expansion du projet North Field une hausse de 64 % de sa production de gaz liquéfié à l’horizon 2027. De quoi nourrir, à long terme, certaines ambitions.
«Le système énergétique européen est structuré de telle manière qu’il ne peut pas basculer vers plus de GNL, qu’il soit en provenance des États-Unis, du Qatar ou d’ailleurs, sans réaliser d’immenses investissements», insiste-t-il.
Plus de GNL en Europe implique notamment plus de terminaux de regazéification, dans la mesure où ceux existant déjà tournent déjà à plein régime. En plus d’obtenir l’accord des Qataris, les Américains devraient également obtenir celui des Européens d’investir dans le «reformatage» de leur réseau énergétique.

«Personne n’a envie d’en venir aux mains»

N’apportant qu’une réponse «marginale» et à «court terme», cette initiative américaine tiendrait donc de la pure agitation aux yeux de Jacques Sapir. «Ce n’est pas réellement une solution, les Américains le savent parfaitement et les Russes aussi», abonde-t-il encore.
Pour ce dernier, plus qu’une volonté effrénée de Washington d’humilier Moscou, il s’agirait avant tout de ne pas perdre à nouveau la face après la débâcle afghane. «Les États-Unis comprennent bien que s’ils abandonnent l’Ukraine en rase campagne, leur crédibilité en sortirait très sérieusement érodée», insiste le chroniqueur de Sputnik France.
«Les Russes n’ont pas non plus intérêt à ce que les USA perdent complètement la face. Une Amérique qui aurait subi deux gros échecs de politique étrangère serait une Amérique qui ferait monter les enchères n’importe où pour se réaffirmer comme une puissance menaçante», développe l’économiste, avant de conclure: «les uns et les autres ont donc intérêt à trouver une solution acceptable.»
En somme, cet appel au Qatar de l’Administration Biden ne s’inscrirait que dans une logique de démonstration de force, où chacun bande les muscles. «On va rester dans une phase où tout le monde va menacer tout le monde, mais sans conséquence», espère Jacques Sapir.

La crédibilité US en jeu

«Personne n’a envie d’en venir aux mains sur la question de l’Ukraine, ni les Russes, ni les Américains», assure-t-il. Pour lui, si les États-Unis mettent particulièrement la pression en Europe, c’est que pour eux le temps presse.

«Le seul problème pour les Américains, c’est qu’ils ont intérêt à trouver une voie de sortie avant la fin des Jeux olympiques d’hiver en Chine. Car à partir du moment où ils seront terminés, on ne peut pas exclure que les Chinois fassent monter la tension à leur tour sur Taïwan et dans la mer de Chine méridionale.»

Bref, les États-Unis ne peuvent assurer simultanément deux fronts et avec la clôture des JO disparaîtra le levier de pression que constituent les menaces de boycott. Mais même si la situation serait ainsi «écrite», selon Jacques Sapir, un risque de dérapage persiste: celui d’une offensive ukrainienne sur les républiques autoproclamées de Lougansk et Donetsk.
Pour autant, celui-ci souligne certaines nuances dans le discours de Joe Biden face à une potentielle incursion des forces russes en Ukraine. S’il menaçait le 19 janvier la Russie d’un «désastre» en cas d’invasion de l’Ukraine, le locataire de la Maison-Blanche a également fait une distinction entre une invasion russe d’envergure et une «incursion mineure».
En somme, Washington ne se résignerait à taper du poing sur la table que si les forces russes enfonçaient les lignes ukrainiennes au-delà de la ligne de démarcation fixée par les accords de Minsk, «ce qui n’est évidemment pas l’intention des Russes», insiste Jacques Sapir. Reste à savoir si tout ceci ne ferait pas partie du fameux «piège américain» décrié par Alexandre Del Valle… un piège dont les Russes seraient déjà en train de sortir en multipliant les projets avec l’Asie (Chine, Japon et bientôt Inde), les rendant à terme bien moins dépendants de leurs clients européens pour s’approvisionner en devises.
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