Athlètes transgenres: l’inclusion face au défi de l’équité sportive

© AFP 2024 JOSEPH PREZIOSOLia Thomas, une athlète transgenre
Lia Thomas, une athlète transgenre - Sputnik Afrique, 1920, 26.01.2022
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Les sportifs transgenres menacent-ils le sport féminin? Pour certains médecins, la testostérone confère un avantage biologique considérable à ces athlètes. Pour la socio-historienne Anaïs Bohuon, ces controverses ralentissent leur inclusion. Analyse.
Autour des athlètes transgenres, les débats font rage outre-Atlantique. En témoignent les remous qui entourent la nageuse américaine Lia Thomas. Cette sportive de 22 ans a entamé sa transition il y a deux ans. Elle enchaîne les victoires dans les compétitions féminines universitaires cette saison. Parfois avec la manière.
En décembre dernier, elle a battu le record NCAA (universitaire) de l’année sur la distance 1.650 yards (environ 1.500 m) nage libre, avec le temps canon de 15:59,71. Quand sa dauphine et coéquipière Anna Kalandadze finissait à plus de 38 secondes derrière. Certes, ces résultats font le bonheur de l’université de Pennsylvanie. Mais ils cristallisent les tensions en dehors des bassins.
"Il y a actuellement une injustice envers les femmes qui participent à des sports, en particulier et clairement à la natation", a déploré auprès du Washington Times Jeri Shanteau, une ancienne championne universitaire. Des critiques qui se font régulièrement entendre dès lors que des femmes transgenres concourent dans les catégories féminines. On les accuse de tirer parti d’un "avantage biologique".

L’inégalité physique en question

Contacté par Sputnik, un médecin du sport, qui souhaite garder l’anonymat, souligne d’emblée que la principale différence entre un homme et une femme repose sur la sécrétion de testostérone. Chez l’homme, entre 20 et 45 ans, la valeur normale de testostéronémie est comprise entre 10 et 30 nanomoles par litre de sang. Chez la femme, ce taux varie entre 0,5 et 3,5 nmol/l. Cette différence de concentration va permettre aux hommes "de grandir plus que les femmes", d’avoir une "masse musculaire et une densité osseuse plus importantes" et même de "développer un mental plus adapté à la confrontation ou à la compétition", énumère-t-il.
Les athlètes transgenres bénéficieraient ainsi de leur développement physique avant d’avoir entamé leur processus de transition: "Elles ont été imprégnées pendant X années à la testostérone, elles ont un avantage qu’elles vont conserver toute leur vie", avance le médecin du sport.
Ainsi, selon la chercheuse Joanna Harper, athlète et transgenre, les traitements hormonaux et la suppression de la testostérone permettent de réduire drastiquement les capacités aérobies (endurance, transport d’oxygène), mais ne peuvent pas réduire la masse musculaire pour la ramener au niveau des femmes dites "cisgenres". En outre, ce régime n’a aucun effet sur la taille du sportif.

"Cela confère un avantage considérable dans les sports comme l’athlétisme, le cyclisme, l’haltérophilie, la boxe… Dans ces disciplines, la différence se fait avec les qualités physiques", indique le médecin.

Un constat que l’essayiste et socio-historienne Anaïs Bohuon veut quant à elle nuancer. Professeur des universités à la Faculté des sciences du sport de l'université Paris-Saclay. "La différence [du taux de testostérone, ndlr.] est parfois plus importante entre deux hommes qu’entre un homme et une femme", indique-t-elle. Mais notre interlocutrice, professeur des universités à la faculté des sciences du sport de l'université Paris-Saclay, élargit le problème:

"Les composantes sociales, culturelles, économiques, environnementales, politiques et génétiques forment un ensemble complexe, indissociable pour expliquer la suprématie d’un individu au sein d’une catégorie", souligne Anaïs Bohuon, qui plaide pour une plus grande inclusion des athlètes trans.

Elle rappelle ainsi que les personnes transgenres subissent tout au long de leur vie "de trop nombreuses discriminations en termes de socialisation, dans leurs accès à la pratique sportive notamment, qui sont autant de dimensions requises pour exceller et arriver au plus haut niveau". Et pour cause, les instances sportives françaises n’ont pas toutes un règlement fédéral qui tranche la question des athlètes transgenres. Si ce n’est à quelques exceptions près comme les fédérations de roller et de skateboard, de basketball, ou encore de rugby. Ainsi, des évolutions réglementaires ont permis à la joueuse de rugby transgenre Alexia Cérénys d’évoluer en Élite 1 (première division).
Le député LREM Raphaël Gérard s’est d’ailleurs emparé du sujet en faisant adopter un amendement, en mars dernier, visant à promouvoir l’inclusion des personnes transgenres dans les structures sportives.
Anaïs Bohuon observe que "toutes les femmes transgenres qui essaient de participer au sein des catégories féminines n’excellent pas, loin de là".

La volonté de préserver l’"incertitude du résultat"

À titre d’exemple, lors des Jeux olympiques de Tokyo de 2020, l'haltérophile néo-zélandaise Laurel Hubbard, 43 ans, s’était fait rapidement éliminer, n’arrivant pas à soulever la moindre barre lors de la compétition des plus 87 kg. Elle avait échoué sur une barre à 120 kg, puis une deuxième et une troisième à 125 kg. Quand sa rivale chinoise Li Wenwen, 21 ans, soulevait 140 kg à l’arraché et 180 kg à l’épaulé-jeté.
© AFP 2024 MOHD RASFANl'haltérophile néo-zélandaise Laurel Hubbard, première femme transgenre à avoir pris part à une épreuve olympique
l'haltérophile néo-zélandaise Laurel Hubbard, première femme transgenre à avoir pris part à une épreuve olympique - Sputnik Afrique, 1920, 26.01.2022
l'haltérophile néo-zélandaise Laurel Hubbard, première femme transgenre à avoir pris part à une épreuve olympique
Selon notre interlocutrice, ces polémiques liées à la compétition de haut niveau dévoileraient"au grand jour, certains fantasmes et légendes", selon lesquels "des hommes voudraient concourir au sein de la catégorie des femmes". Plusieurs sportives pourraient en témoigner, à l’image de la footballeuse iranienne Zohreh Koudaei, accusée à tort d’être un homme!
Des craintes ou des fantasmes, corollaires de l’esprit de compétition ou, selon Anaïs Bohuon, "de l’incertitude du résultat [...] qui fait vibrer le spectateur et donne de l’intensité aux compétitions".
Et Anaïs Bohuon de rappeler que, malgré les catégories d’âge, de poids ou de handicap, gages d’équité, "personne n’est égal dans les starting-blocks". "Il n’y a pas d’égalité, c’est un vœu illusoire porté par les instances sportives. […] L’égalité génétique n’existe pas, pas même au sein de la catégorie “dames”", poursuit l’universitaire.

"Par ailleurs, les instances sont également parties du principe que les femmes étaient "naturellement" moins rapides, moins puissantes, moins robustes", constate-t-elle.

À partir de ce postulat, "les instances sportives pensent ainsi que les femmes trans peuvent, à terme, mettre en danger, voire faire disparaître les compétitions féminines".
"Or cela touche à la question de l’identité puisque, in fine, cela signifie que l’on ne considère pas une femme trans comme une femme, mais plus encore que la catégorie “dames” doit impérativement encore et toujours, en termes de performances, être considérée et appréhendée comme indéniablement inférieure à la catégorie “hommes”", prévient la socio-historienne.
Marie Cau - Sputnik Afrique, 1920, 21.12.2021
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De son côté, le médecin estime que leur participation pourrait "pousser les athlètes femmes “normales” à prendre des dopants pour rivaliser dans les compétitions". Il souhaite donc que, pour certains sports, les femmes transgenres concourent dans une nouvelle catégorie qui regrouperait également les personnes hyperandrogènes (qui possèdent un taux d’androgènes, les hormones dites masculines, supérieur à la normale). Pour l’heure, les fédérations internationales prennent une autre voie.

Les instances sportives s’attaquent à la testostérone

Certaines organisations militent pour plus d’inclusion, mais en mettant en place des réglementations afin d’encadrer la participation des athlètes transgenres. Entre 2003 et 2015, le Comité international olympique (CIO) conditionnait l’admission en compétition des femmes transgenres au fait qu’elles aient subi une opération de réassignation sexuelle. Une pratique abandonnée car trop intrusive, le CIO a donc opté pour la détermination de seuils de testostérone. À l’instar de la fédération internationale d’athlétisme, World Athletics (ex-IAAF), qui impose un taux de testostérone maximal par litre de sang de 5 nanomoles qui ne doit pas être dépassé pendant un an. Des niveaux d’hormones supposés "préserver" l’équité sportive.
Dans un avis rendu en novembre dernier, le CIO concédait pourtant: "Il n’y a pas de consensus scientifique sur la façon dont la testostérone affecte les performances dans tous les sports." Le comité a donc invité les fédérations internationales à "fixer des critères d’admissibilité basés sur ce que signifie un avantage déloyal dans leur sport".
Certaines instances sportives souhaitent cependant prendre des mesures pour "protéger" les femmes aux prises avec des rivales transgenres. Ainsi, au Royaume-Uni, la Fédération anglaise de rugby (RFU) envisage de faire passer un examen aux femmes transgenres qui mesurent plus de 1,70 m ou pèsent plus de 90 kilos afin de déterminer si elles représentent un risque en termes de sécurité.

"La crainte que les femmes concourent contre des hommes"

Concernant les hommes transgenres, la donne diffère sensiblement: peu de débats entourent leur participation dans les catégories masculines. "C’est intéressant, car cela renverrait au fait qu’une personne issue de la catégorie considérée comme “inférieure” en termes de performance ne peut être envisagée comme assez performante pour exceller au sein de la catégorie “dominante”. […] Et cela revient du coup également à nier que les hommes trans sont des hommes", s’insurge la socio-historienne, qui fonde donc son raisonnement sur la domination des hommes sur les femmes. En témoigne, selon elle, l’histoire du sport féminin: certaines épreuves ont été supprimées, interdites, les poids ont été allégés, les haies rabaissées pour les sprinteuses ou encore des parties plus courtes lors des tournois de tennis du Grand Chelem où les femmes jouent deux sets gagnants tandis que les hommes en disputent trois.

"On part du principe qu’il n’excellera jamais et donc ne met pas en danger les catégories dominantes. Et il faut savoir nuancer et bien analyser l’évolution du sport, car le triathlète Chris Mosier démontre par exemple que l’on peut être un homme trans et considérablement exceller au sein de la catégorie “hommes”", observe-t-elle.

En 2015, ce dernier est devenu le premier athlète transgenre à intégrer l’équipe américaine masculine de duathlon. Puis il a également été un pionnier, s’invitant aux tests de sélection des 50 kilomètres marche pour les JO 2020. Sans toutefois monter sur le podium.
Les hommes transsexuels ne sont d’ailleurs soumis à aucune restriction particulière. Si ce n’est dans le monde de l’ovalie, où le World Rubgy prévoit de leur demander de fournir une confirmation de capacité. Incluant notamment une "reconnaissance écrite et une acceptation des risques" associés à la pratique du rugby de contact avec des hommes qui "sont statistiquement susceptibles d’être plus forts, lourds, rapides, etc.".
Et notre interlocutrice d’interpréter la controverse au travers du rapport dominants/dominés: au-delà des personnes transgenres, qui représentent une minorité dans l’élite du sport mondial, c’est le regard de la société sur le corps des femmes qui serait en jeu, estime Anaïs Bohuon: "Tout cela ne cesse de contribuer à réifier le préjugé d’une infériorité physique des femmes, sans cesse renvoyées à une norme de féminité selon laquelle le “naturel” féminin serait plus faible, plus fragile, et que les femmes seraient empêchées par leurs règles, leurs grossesses, ou encore leurs maternités."

"C’est-à-dire que vous pouvez mettre votre corps en mouvement pour être en bonne santé, mais attention à ne pas vous viriliser, ne mettez pas en danger votre capacité à procréer, et surtout ne dépassez pas les performances masculines", conclut Anaïs Bohuon.

Reste désormais à savoir comment les fédérations internationales réussiront à poursuivre cet objectif d’équité sportive, tout en permettant l’inclusion des athlètes trans dans les compétitions. Une entreprise qui devrait encore nourrir de nombreux débats.
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