Géants numériques US, "des censeurs" qui veulent "garder bonne conscience"
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Depuis quatre jours, Facebook bloque les nouvelles publications sur la page en arabe de l’agence Sputnik. Pour le président de l’Observatoire des journalistes, il est temps de dénoncer les réseaux sociaux américains, ennemis de la démocratie.
Sans aucune explication, Facebook a bloqué le 21 janvier dernier la possibilité de publier pour Sputnik en arabe. Contacté par la rédaction, le réseau social s’est contenté de mentionner les "critères de la communauté" du réseau social.
C’est la première fois que Sputnik Arabic fait objet de tels reproches et aucune publication n’a récemment été signalée comme violant les règles du réseau social. Par le passé, un signalement et un blocage ont touché une vidéo sur la vie du général iranien Qassem Soleimani, tué par une frappe américaine. Elle avait été publiée par Sputnik en arabe après la mort de celui-ci, en janvier 2020.
Claude Chollet, président de l’Observatoire des journalistes et de l’information médiatique (OJIM), n’est pas surpris par la démarche du réseau social américain. Et ce pour deux raisons.
Monopole des réseaux sociaux US
La première est "géopolitique". Selon lui, le conflit "qui rentre peut-être dans une phase aiguë" entre les États-Unis et la Russie, "en particulier autour de l’Ukraine", pourrait expliquer l’attitude de Facebook.
"On voit beaucoup d’opérations que j’appellerais personnellement d’opérations d’influence ou de propagande sur les inquiétudes qui sont sans doute des pseudo-inquiétudes américaines autour de l’Ukraine. Et les Américains essayent d’entraîner les Européens dans leur orbite à ce sujet. Là, il y a manifestement un accroissement de la tension", analyse Claude Chollet au micro de Sputnik France.
Sur ce plan des relations internationales, notre interlocuteur cite également "l’instabilité géopolitique" au Moyen-Orient et plus particulièrement le conflit au Yémen, où "l’Arabie saoudite n’arrive absolument pas à réduire les rebelles houthis, alors qu’elle a des moyens considérables".
Blocage géopolitique
Le deuxième phénomène qui aurait mené au blocage de Sputnik Arabic est "bien connu", mais il s’accélère. Pour Claude Chollet, "il s’agit d’une opération de censure" de la part des réseaux sociaux américains tels que Twitter, YouTube et Facebook. Une censure qui s’inscrit dans le contexte des tensions internationales. Ces géants numériques, "très largement favorables à l’impérium américain", déterminent in fine "ce que tout le monde a le droit d’écouter, de lire, d’entendre, de regarder".
"Cette opération de censure, qui cette fois-ci touche Sputnik Arabic, touchera n’importe qui demain matin, qui pour une raison ou une autre “ne rentrera pas dans les critères de la communauté” de Facebook, de Twitter ou de YouTube", prévient le président de l’OJIM.
Créées il ya une vingtaine d’années, "pendant au moins dix ans, ces plateformes ont été un formidable espace de liberté", rappelle notre interlocuteur. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, car une transformation idéologique s’est opérée, selon lui:
"Le paradoxe est que l’on arrive à un phénomène où les gens continuent à pouvoir s’exprimer, mais jusqu’à un certain point. Pour des mots que vous pouvez prononcer, vous risquez tout simplement à court terme la suppression du post. À moyen terme, que votre compte soit supprimé. C’est grave, parce que c’est un déni de démocratie contre lequel il faut réagir fermement", détaille le président de l’OJIM.
Pour éviter de nouveaux avertissements, Sputnik Arabicn’a rien publié sur sa page concernant le Corps des gardiens de la révolution islamique ou la pandémie de coronavirus, se limitant aux articles sur les bienfaits du jus de carotte, des bains froids pour renforcer le système immunitaire et sur les effets du café sur le système digestif.
Pour le féru des sciences politiques, de même que le latin était "la langue commune mondiale au Moyen Âge" aujourd’hui, on "parle le Facebook, on parle le Twitter ou on parle le YouTube". Ce qui fait la force de ces géants numériques.
Combattre la censure des GAFAM
La page Facebook en arabe de Sputnik compte 2,3 millions d’abonnés et risque d’être instantanément supprimée d’un trait de plume.
"Ce sont deux millions de personnes qui s’intéressent à Sputnik dans le monde arabe, qui du jour au lendemain n’ont plus le droit de recevoir l’information. Maintenant, on a une difficulté, c’est comment réagir", souligne M. Chollet.
Pour le président de l’OJIM, "les censeurs" veulent non seulement pouvoir pratiquer la censure, mais "garder bonne conscience". Et il propose un moyen de combattre ces agissements des GAFAM:
"Il faut leur donner mauvaise conscience et expliquer au monde entier qu’ils sont des ennemis de la démocratie, de la liberté d’expression et même de la liberté d’opinion. Je ne suis pas certain que la censure sur ces grands canaux va se dissiper. J’ai l’impression qu’elle va se renforcer. Je dirais que c’est à chacun de se poser la question: “est-ce que je ne dois pas trouver d’autres plateformes qui respecteront mieux la liberté d’expression?”" conclut Claude Chollet.