Burkina Faso: les putschistes face à l’enjeu sécuritaire
21:15 25.01.2022 (Mis à jour: 21:42 25.01.2022)
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Le coup d’État au Burkina Faso, exécuté par des militaires, se déroule dans un contexte sécuritaire très complexe. L’élaboration et la mise en œuvre d’une feuille de route politique par les putschistes dépendra de leur capacité à lutte contre les groupes terroristes et à mettre un terme à la violence.
Nouveau coup de force au Burkina Faso. Lundi 24 janvier 2022, un groupe de militaires conduit par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, a renversé Roch Marc Christian Kaboré qui avait été réélu pour un second mandat en novembre 2020. Des militaires en tenue de combat sont apparus dans la soirée à la Radiodiffusion Télévision du Burkina (RTB) pour annoncer la création du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR) qprésidé par le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba. Le porte-parole du MPSR annonce la suspension de la Constitution, la dissolution du gouvernement et celle de l’Assemblée nationale. L’ordre constitutionnel est gelé. Les Burkinabé prennent également connaissance de la lettre de démission du désormais ex-Président sur la page Facebook de la télévision publique.
Crise sécuritaire
Les putschistes ont justifié leur acte par l’incapacité du chef de l’Étatà assurer la sécurité du pays. Le Burkina Faso fait face depuis 2015 à la menace terroriste provoquée par des groupes djihadistes qui agissent dans le Sahel. Les régions du nord, à la frontière avec le Mali et le Niger, sont les plus visées par les attaques terroristes contre les villages. Une situation qui a provoqué le déplacement interne de plus d’un million et demi de personnes. Leslie Varenne, directrice de l’Institut de veille et d’étude des relations internationales et stratégiques (IVERIS), explique à Sputnik que la question sécuritaire reste au centre de la problématique burkinabé. Selon elle, il existe des points communs entre le Burkina Faso et le Mali, tous deux étant déstabilisés par la situation sécuritaire et où l’armée a pris le pouvoir par la force, sauf que la grande différence est dans l’état d’esprit de la population.
" Les militaires qui ont pris le pouvoir à Ouagadougou n’auront pas de période de grâce, contrairement à ce qui s’est passé au Mali. Ils doivent obtenir des résultats sécuritaires rapidement. La population burkinabè restera très vigilante et ne veut pas se faire voler les acquis de la révolution de 2014. D’ailleurs, on constate qu’il n’y a pas eu de grands mouvements de liesse populaire au terme du coup d’EÉtat [quelque milliers de personnes ont manifesté à travers tout le pays, ndlr], ni pour ovationner les putschistes ni pour soutenir le Président déchu. Les Burkinabè considèrent que Roch Marc Christian Kaboré a échoué et que la situation ne pouvait pas perdurer; pour autant ils ne sont pas prêts à signer un chèque en blanc à la junte ", note Leslie Varenne.
Le contexte sécuritaire s’est compliqué ces dernières années avec l’apparition des Koglweogos, des milices chargées de lutter contre les groupes terroristes et de faire face au banditisme. Leur création avait été encouragée par le Président Roch Marc Christian Kaboré afin d’agir là où les forces armées ne pouvaient intervenir. Mais les Koglweogos sont devenus incontrôlables et ont fini par exacerber les conflits ethniques. Leurs membres sont accusés d’avoir commis des meurtres et de nombreux abus contre les populations.
"Les militaires doivent mettre en œuvre deux chantiers prioritaires: en finir avec les exactions de l’armée et avec les groupes d’autodéfense que ce soient les Koglweogos ou les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP). Cela permettra de diminuer de beaucoup le niveau de violence et permettra également à un grand nombre de déplacés de retourner vivre dans leurs villages. Sans cela, la spirale infernale des attaques/représailles continuera et ils ne pourront mettre en œuvre d’agenda politique pour un retour à l’ordre constitutionnel", souligne la directrice de l’IVERIS.
Leslie Varenne relève que "le scrutin qui a permis à Roch Marc Christian Kaboré d’être réélu en 2020 n’était pas un modèle de transparence." De plus, pendant la campagne électorale pour son deuxième mandat, il s’était engagé à lancer un processus de réconciliation nationale. Finalement, il n’en a rien été et de surcroît, il a organisé le procès de l'ancien Président Thomas Sankara dans un pays déjà très déstabilisé. Sur le plan international, les réactions de l’Union africaine et de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) se caractérisent par un manque de fermeté à l’adresse des putschistes.
"On est en droit de s’interroger sur les déclarations des organisations sous-régionale et continentale. En apparence fermes, elles sont en réalité des aveux d’impuissances. Elles ne demandent pas le retour au pouvoir du chef de l’État, comme elles l’avaient fait lors du putsch de 2015, comme si elles prenaient acte de l’échec de celui qui était au pouvoir. Il faut reconnaître qu’elles sont très affaiblies depuis qu’elles ont adoubé les 3e mandat anticonstitutionnel en Côte d’Ivoire et en Guinée", précise Leslie Varenne.
Même si elle se montre moins ferme au lendemain des coups de force, la CEDEAO fait néanmoins en sorte de réagir sévèrement par la suite en imposant des sanctions. C’est le cas notamment face au Mali. Reste qu’un putsch contre Roch Marc Christian Kaboré était donc prévisible. Une tentative de "déstabilisation des institutions de l’EÉtat " conduite par le lieutenant-colonel Emmanuel Zoungrana avait été déjouée le 10 janvier. Selon le média Africa Confidential, dans un article publié mardi 25 janvier, les autorités françaises travaillaient sur un scénario similaire " depuis le mois de septembre 2021 ". Paris, qui dispose d’une base de forces spéciales au Burkina Faso, aurait proposé au Président déchu de "l’exfiltrer " vers un pays voisin en cas de "prise de pouvoir par les armes". Une proposition rejetée par Roch Marc Christian Kaboré.