Abandonné par ses soutiens étrangers, Hariri jette l’éponge et plonge le Liban dans l’incertitude

© AFP 2024 ANWAR AMROSaad Hariri
Saad Hariri - Sputnik Afrique, 1920, 25.01.2022
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Saad Hariri se retire de la vie politique. L’ex-Premier ministre libanais invoque l’influence du Hezbollah. Mais c’est surtout le fait que Riyad l’abandonne qui explique son départ. Sa succession va plonger davantage encore le pays dans la crise.
C’est la fin d’une époque au Liban. Après avoir trusté les hautes sphères du pouvoir libanais durant trente longues années, le clan Hariri tire sa révérence. Après des semaines de spéculations sur son avenir politique, l’ancien Premier ministre a tranché: "Je suspends ma participation à la vie politique et invite ma famille politique au sein du Courant du futur à suivre ma voie. Je ne me présenterai pas aux élections et ne présenterai aucune candidature issue du Courant du futur ou en son nom." Un renoncement prononcé sur un ton larmoyant lors d’un point presse le 24 janvier, avant de prendre un avion pour Abou Dhabi où il réside en ce moment. Cette "suspension" pourrait bien s'avérer définitive.
Pourtant, le dirigeant libanais a longtemps été indéboulonnable. Après avoir dirigé le gouvernement entre 2009 et 2011 puis entre 2016 et 2019, Saad Hariri avait subi la pression de la rue et s’était retiré pour un temps. Faute d’alternative, il était revenu un an plus tard avec l’aval des puissances étrangères, dont la France. Mais celui qui est né à Riyad avait présenté sa démission le 15 juillet dernier en raison des nombreux blocages parlementaires et de la brouille avec le Président Michel Aoun. L’ancien Premier ministre justifie aujourd’hui son renoncement à la politique en évoquant "l’influence iranienne" sur le pays, le "désordre sur la scène internationale" et les "divisions internes".

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En pointant du doigt la responsabilité du Hezbollah dans sa prise de décision, Saad Hariri tenterait de sauver les meubles. "Il essaye de se dédouaner de ses propres échecs", estime Michel Fayad, analyste politique et financier libanais.
"Les raisons de son départ sont multiples. Oui, le poids du Hezbollah sur la scène intérieure est un élément à prendre en compte. Mais c’est loin d’être le seul. Aujourd’hui, il n’a pas réussi à réunir ses traditionnels soutiens extérieurs, dont l’Arabie saoudite", souligne-t-il au micro de Sputnik.
"C’est surtout l’affaire de la séquestration de Saad Hariri qui a précipité ce divorce", ajoute notre interlocuteur. En voyage en Arabie saoudite sans son staff habituel, en novembre 2017, l’homme politique avait dû annoncer à la télévision saoudienne sa démission avant de rester coincé plusieurs jours dans le royaume. Ses "hôtes" jugeaient le Premier ministre trop timoré à l’encontre du Hezbollah.
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Depuis, les choses n’ont cessé de s’envenimer. Et ce malgré les tentatives de rabibochage de Saad Hariri. Pire, Riyad l’a frappé au portefeuille, un point ultra-sensible, en s’en prenant à son empire financier, Saudi Oger. Criblé de dettes, ce fleuron du BTP est en crise, en raison également d’arriérés impayés par l’État saoudien. Ainsi, le leader du Courant du futur semble avoir été diplomatiquement et financièrement lâché par l’Arabie saoudite. La monarchie aurait de surcroît refusé de financer la campagne électorale de son ancien protégé.
Riyad souhaite la mise en place de l’initiative en douze points présentée dernièrement aux dirigeants libanais par le chef de la diplomatie koweïtienne, Ahmad Nasser al-Sabah, mandaté par le Conseil de coopération du Golfe (CCG) pour normaliser les relations avec le Liban. Ce document stipule, entres autres, le désarmement du Hezbollah. Et pour cela, l’Arabie saoudite "compte maintenant sur Samir Geagea [le leader du parti chrétien des Forces libanaises, ndlr]",pense Michel Fayad. Et pour cause, celle-ci est devenue la principale force d’opposition au puissant mouvement chiite.
Comprenant qu’il n’était donc plus dans les petits papiers de Riyad, Saad Hariri a multiplié les visites en France et en Turquie. En effet, le leader politique sunnite dispose de la nationalité française et jouit de bonnes relations avec Emmanuel Macron. Il s’est rendu en catimini à l’Élysée en février et en mai dernier.

Des sunnites à la pelle

Mais rien n’y a fait, Paris a changé son fusil d’épaule: "Hariri n’était plus la priorité de la France." En effet, les autorités françaises ont marginalisé l’ancien Premier ministre. Lors de sa rencontre avec Jean Yves Le Drian, en mai dernier, il avait dû se rendre à l’ambassade de France à Beyrouth. Alors que, suivant le protocole, un ministre français doit se rendre chez ses hôtes et non pas dans un lieu appartenant à la France.
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Se pose donc dès à présent la question de l’avenir du leadership politique sunnite au Liban. La famille Hariri était à la tête de cette communauté depuis 1992. Ce vide a directement laissé place à des scènes de colère dans les rues de Beyrouth et dans les localités sunnites. Des manifestants ont bloqué des routes avec des pneus enflammés et des bennes à ordures. De surcroît, le Hezbollah se retrouverait ainsi sans véritable opposition sur le plan interne. Le parti chiite pourrait dès lors étendre encore un peu plus son influence. Néanmoins, à en croire notre interlocuteur, c’est une victoire en trompe-l’œil.
"Le Hezbollah est dans l’inconnu. Le parti chiite était en contact avec Hariri qui était plus ou moins l’homme des compromis. Aujourd’hui, il y a plusieurs scénarios qui pourraient s’avérer pires pour le parti pro-iranien", estime Michel Fayad.
En effet, plusieurs roitelets espèrent se tailler la part du lion. Parmi les candidats au trône sunnite, "on peut citer Baha Hariri, frère de Saad, qui reste influent, notamment à Tripoli", mais également "Fouad Makhzoumi, richissime homme d’affaires ayant une société de pipelines aux Émirats, connu pour avoir offert des costumes de luxe à François Fillon" et enfin "Archraf Rifi, proche de la Jamaa Islamiya [les Frères musulmans* au Liban, ndlr] et la Turquie", énumère l’analyste politique libanais.
Les prétendants ne manquent donc pas à la succession de Saad Hariri. Mais, pour s’imposer sur l’échiquier politique sunnite, il faut savoir jongler avec les compromis. Plaire à Riyad et Ankara sans pour autant se brouiller frontalement avec le Hezbollah et risquer des affrontements communautaires. La tâche relève de l’équilibrisme par temps agité.
"Avec ce vide de leadership au sein de la classe sunnite, il y a un risque important d’instabilités politiques, avec des tensions entre les différents leaders communautaires", conclut Michel Fayad.
Il ne manquait plus que ça au Liban! Le pays connaît une crise multidimensionnelle sans précédent. Entre la pauvreté endémique qui touche plus de 78% de la population, un immobilisme politique et de multiples pénuries, ce retrait de Saad Hariri ne contribue en rien à l’amélioration de la situation au pays du Cèdre.
* Organisation terroriste interdite en Russie.
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