L’homme "se pense dans son droit": ce "crime parfait" tue plus de femmes que les féminicides seuls
06:24 24.12.2021 (Mis à jour: 17:51 10.01.2022)
© Photo Pexels/Keira Burton / Homme femme, tenant mainsDispute, image d'illustration
© Photo Pexels/Keira Burton / Homme femme, tenant mains
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Parallèlement aux féminicides, il existe un autre mal tacite: les suicides forcés sur fond de violences conjugales. Selon un récent rapport européen, 207 femmes se sont donné la mort pour cette raison en 2017. Des faits qui ne sont pas "suffisamment" sanctionnés par la justice, déclare à Sputnik le collectif Féminicides par compagnons ou ex.
La France recense plus de 100 victimes de féminicides chaque année depuis 2006. Mais ce nombre peut être encore étoffé par celui des suicides de femmes causés par les violences psychologiques au sein du couple.
Selon le Projet européen sur les suicides forcés consulté par Le Parisien, ce bilan invisible s’élève pour 2017 à 209 cas en France, outre les 130 féminicides constatés par le ministère de l’Intérieur. Dans l’Union européenne, 1.136 suicides forcés ont été enregistrés cette année-là.
82% des morts au sein du couple sont des femmes, une proportion stable depuis 2006, a fait savoir l’Étude nationale sur les morts violentes au sein du couple en 2020.
Mais compte tenu de l’analyse européenne, "c’est donc près d’une femme victime par jour que font les violences au sein du couple en France en 2017, et non une tous les trois jours, comme habituellement rapporté si l’on considère les seuls féminicides".
"Ils se pensent dans leur droit"
Pour l’ancienne avocate pénaliste Yael Mellul, qui a fait partie de l’équipe de travail sur le rapport européen, ce type de délit est un "crime parfait":
"Il s'agit d'une estimation basse, mais en France, il y a quasiment deux fois plus de suicides forcés que de féminicides."
Les chiffres qui "démontrent une fois de plus à quel point les violences machistes sont mortifères pour les femmes", fustige le collectif Féminicides par compagnons ou ex, contacté par Sputnik.
Selon les militants, pour remédier à ce fléau, les associations doivent "proposer également des solutions pour traiter les auteurs, en ne considérant pas ces violences comme naturelles ni normales, mais bien comme des violences systémiques, dues à une société qui transmet la misogynie, objétise les femmes et produit des hommes violents".
"Le fait que la justice ne sanctionne pas suffisamment ces faits, elle ne dissuade pas ces hommes, ainsi ils se pensent dans leur droit de dominer ou posséder les femmes et punir celles qui se dérobent à leur oppression", déplore un porte-parole de ce collectif qui s'occupe depuis 2016 de la comptabilisation des femmes présumées victimes de crimes conjugaux en France.
Pour réaliser les calculs, les auteurs du rapport, remis en novembre à la Commission européenne, ont passé au crible les études sur le lien entre violences au sein du couple et suicide ou tentative de suicide.
Parmi les documents analysés figurait l’enquête Virage, menée en 2015 en France. L’étude a notamment révélé que 17,9% des 1.000 femmes en couple ou ayant vécu en couple (pendant quatre mois minimum) dans l’année ont affirmé avoir été victimes d’au moins un fait de violence psychologique. 31% de ces femmes ont assuré l’avoir subi "souvent".
Législation
Yael Mellul avait pointé, en 2019, que "87% des victimes [avaient] déclaré des violences psychologiques", selon les données récoltées grâce au numéro de téléphone pour les femmes violentées, le 3919.
En cela, la "violence psychologique" est décrite par la psychiatre Marie-France Hirigoyen comme "constituée de paroles et de gestes qui ont pour but de déstabiliser ou de blesser l'autre mais aussi de le soumettre, le contrôler de façon à garder une position de supériorité".
Cette même année, le Grenelle contre les violences conjugales a décidé d’inscrire la notion de suicide forcé dans le droit.
La peine est "portée à dix ans d'emprisonnement et à 150.000€ d'amende lorsque le harcèlement a conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider", conformément à l'article 222-33-2-1 du Code pénal.
Les plaintes ne sont pas pour autant nombreuses pour cette infraction. Jusqu’ici, la seule et unique action vient de la famille d'Odile qui a mis fin à ses jours le 1er janvier 2021 à Toulon.
"Harcèlement de conjoint poussant au suicide": Fadila, sœur d'Odile, qui s'est donnée la mort le 1er janvier 2021 à Toulon, livre son témoignage sur RMC: "Il a tout fait pour qu'on ne la retrouve pas"#ApollineMatin pic.twitter.com/DLIN7FImQt
— RMC (@RMCinfo) July 5, 2021
"La peine, je m'en fiche. Ce que je veux, c'est que sa responsabilité soit reconnue", lance la sœur d’Odile, Fadila, sur BFM TV. "Le soir de sa mort, elle n'a même pas essayé de m'appeler. Il lui a même enlevé sa force de vivre."
Au tribunal, un homme s’est vu condamner à un an d’emprisonnement le 13 août à Marseille pour avoir poussé au suicide sa compagne.
"Une décision importante" pour Yael Mellul puisque "ce type de condamnations reste très rare".
Géographie, âge
Depuis le début de 2021, le seuil des 100 féminicides a été franchi le 16 novembre, avait annoncé le collectif Féminicides par conjoint ou ex-conjoint. L’année précédente, ce nombre avait été décompté sur la même semaine.
Magali Mazuy, sociologue à l'INED, a indiqué à France Inter que tous les territoires étaient concernés, "en particulier les régions où il y a une forte densité de population, comme l'Île-de-France".
Selon l’enquête du ministère de l’Intérieur, les régions les plus touchées étaient en 2020 les Hauts-de-France, la Nouvelle-Aquitaine, l'Île-de-France et l'Auvergne-Rhône-Alpes.
Les victimes étaient âgées pour l’essentiel de 30 à 40 ans, d’après l’étude. La raison principale en est souvent la séparation ou l'expression du souhait de se séparer.
Quant aux femmes âgées, la majorité de ces féminicides restent "hors radar", selon la sociologue. En effet, dans 16 cas sur 18, le mari tue son épouse à l’arme à feu puis se donne la mort.
Le gouvernement a lancé un dispositif de dépôt de plainte "chez autrui", hors des commissariats, afin de permettre à une victime de violences sexuelles ou conjugales d'enclencher une procédure en toute sécurité: en compagnie de policiers et gendarmes depuis chez elle, chez un proche, un avocat, une mairie ou les locaux d’une association.