Jeunesse libanaise: la nouvelle vague migratoire qui ne dit pas son nom

© AFP 2024 ANWAR AMROManifestations Beyrouth
Manifestations Beyrouth - Sputnik Afrique, 1920, 17.12.2021
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Face à la crise économique, aux blocages politiques et aux nombreuses pénuries, la jeunesse libanaise prend la route de l’exil. Depuis 2019, plus de 500.000 Libanais ont déjà fui à l’étranger de manière légale ou illégale. Témoignages.
"On rêve tous de partir. C’est triste, mais nous n’avons plus d’espoir en notre pays", déplore Youssef, un jeune étudiant de Beyrouth.
Être Libanais est un réel sport de combat. Un gouvernement aux abonnés absents, des pénuries d’essence, d’électricité, de médicaments, de produits alimentaires et d’eau. Le pays du Cèdre s’enfonce encore un peu plus dans une crise multidimensionnelle. Ajouter à cela l’interminable chute de la livre libanaise par rapport au dollar. Elle a perdu plus de 94,5%de sa valeur en à peine plus de deux ans. Aujourd’hui un billet vert équivaut à pratiquement 30.000 LL. Une baisse lourde de conséquences pour toute la population libanaise.
"Le salaire minimum est à peine supérieur à 20 dollars, comment voulez-vous qu’on vive? Rien qu’en faisant le plein d’essence, il ne nous reste plus rien à la fin du mois", s’insurge Dany, un habitant de Tripoli. À titre de comparaison, avant la crise d’octobre 2019, le salaire minimum était de 450 dollars.
Une situation qui plonge le Liban dans la précarité. Selon un rapport de l’Onu de novembre dernier, plus de 80%des Libanais vivent sous le seuil de pauvreté et 42% souffrent d’un état de pauvreté extrême. Face à ce marasme économique, les habitants peinent à garder espoir. "On avait une once d’espérance avec le nouveau gouvernement, mais comme d’habitude il n’y en a pas un pour rattraper l’autre", déplore Mohammed, en recherche d’emploi.

77% des jeunes libanais voudraient quitter leur pays

En effet, après 13 longs mois d’attente, les élites libanaises avaient enfin mis de côté leurs désaccords pour former un gouvernement en septembre dernier. Mais au Liban, le consensus est souvent de courte durée, le naturel revient vite au galop. Dans le sillage de la crise sur l’enquête de l’explosion du port de Beyrouth du 4 août 2020, le juge Tarek Bitar voulait auditionner plusieurs responsables politiques pour identifier les causes du terrible évènement. Mais le couple Hezbollah-Amal refuse catégoriquement de donner du crédit à ce magistrat, exigeant qu’il soit dessaisi de cette affaire. Ainsi, depuis le 12 octobre dernier, le Conseil des ministres ne s’est plus rassemblé.
C’en est trop pour la jeunesse libanaise, le vase ne cesse de déborder.
"Malheureusement, si je souhaite un avenir, ce n’est pas au Liban, il faut que je parte et nous sommes nombreux à avoir commencé les procédures pour l’obtention d’un visa, essayer de trouver une université à l’étranger pour faire un master en espérant pouvoir trouver un job sur place et quitter cet enfer", raconte Firas, jeune diplômé d’une licence d’économie.
Contrée d’accueil, le pays du Cèdre se transforme à nouveau en terre d’émigration. Les derniers chiffres montrent que les départs s’accumulent: depuis 2018, le nombre d’émigrants a quadruplé. Les demandes de passeports permettant de quitter le pays ont doublé en un an, avec plus de 6.000 documents délivrés chaque jour depuis le mois de juin. Rien que de janvier à avril 2021, plus de 230.000 Libanais sont partis à l'étranger, soit près de 3,86% de la population totale du pays. Depuis le début de la crise d’octobre 2019, entre 500.000 et un million d’habitants auraient fui le Liban. Un chiffre qui n’a rien d’étonnant quand on constate que près de 77%des jeunes Libanais disent réfléchir activement à quitter leur pays selon l'enquête Arab Youth Survey de fin 2020. Le taux le plus élevé du monde arabe.

Une diaspora libanaise cosmopolite

Cette émigration de la jeunesse libanaise se fait aux quatre coins du monde. Comme Khalil, jeune ingénieur, son choix s’est naturellement porté vers les Émirats arabes unis. "Beaucoup de Libanais vivent dans le Golfe, parce qu’il y a des opportunités professionnelles et ce n’est pas très loin du Liban, donc nous pouvons facilement revenir pour les fêtes, les anniversaires". En effet, plus de 500.000 Libanais vivent dans la péninsule arabique.
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L’Afrique de l’Ouest est également une destination prisée pour les nouveaux émigrants. Depuis le début de la crise économique, le nombre de nouveaux arrivants en provenance du Liban a augmenté de 30%rien que pour la Côte d’Ivoire. La diaspora libanaise est implantée en Afrique depuis la fin du XIXe siècle. Aujourd’hui, les Libanais présents en Afrique contrôlent de larges pans de l’économie locale, entre la restauration, la culture du cacao, du coton et le secteur de la nuit.
L’émigration libanaise affectionne l’Europe et notamment la France pour des raisons historiques liées à la francophonie. "Je suis venu en France parce que j’ai une tante qui réside à Paris, c’est plus simple pour la langue", relate Tatiana, arrivée en septembre dernier pour terminer un master en finance. Plus de 200.000 Libanais habitent dans l’Hexagone.

Des Libanais sur la même route que les réfugiés syriens

Mais le problème sous-jacent à cette émigration de masse est la fuite des cerveaux. "Si les diplômés ont une opportunité à l’étranger, bien évidemment qu’ils l’acceptent, la question ne se pose même pas", rétorque Firas. En effet, en raison de l’effondrement économique, de nombreux ingénieurs, avocats, médecins et infirmières quittent le pays. D’ailleurs plusieurs hôpitaux viennent-ils à manquer cruellement de personnel alors que le pays reste touché par la crise du coronavirus.
Pour les plus démunies aussi, l’envie d’un départ se fait de plus en plus sentir. Mais malheureusement pour eux, l’issue est plus qu’incertaine. Plusieurs centaines de Libanais prennent la direction de Chypre sur des embarcations de fortune. L’île n’est qu’à 160 kilomètres des côtes libanaises. Des initiatives dramatiques qui occasionnent de nombreuses disparitions en mer et qui se terminent le plus souvent par un retour au Liban après avoir été refoulées par les autorités chypriotes. La marine libanaise essaye tant bien que mal de limiter ce phénomène. "Compte tenu de la situation, les plus pauvres tentent même de rejoindre la Turquie pour atteindre la Grèce", nous raconte Tarek, habitant de Tripoli. La deuxième ville du pays est la plus pauvre de tout le pourtour méditerranéen.
De pays refuge pour les Palestiniens et les Syriens, le Liban devient une nouvelle terre d’exil. Qu’il est loin le temps où le pays du Cèdre était considéré comme la Suisse du Moyen-Orient pour ses opportunités économiques et sa neutralité régionale.
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