Vers une alliance Qatar-Émirats-Turquie?

© AFP 2024 MURAT CETIN MUHURDARErdogan au Qatar
Erdogan au Qatar - Sputnik Afrique, 1920, 10.12.2021
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Le Qatar et la Turquie continuent d’aider les talibans* à reconstruire l’aéroport de Kaboul. Par ailleurs, ils ont l’intention de conclure un accord avec pour exploiter l’aéroport. C’est ce qu’a déclaré lundi la diplomatie qatarie, à l’issue des pourparlers avec le ministre turc des Affaires étrangères.
Mais alors que les Émirats arabes unis ont déjà exprimé leur volonté d’aider à restaurer l’aéroport de Kaboul, tout en finançant l’économie turque en chute libre, ces trois pays ne tentent-ils pas de créer un triumvirat régional qui soutiendrait le gouvernement taliban* en Afghanistan et se soutiendrait également sur le plan financier et stratégique en renforçant leur influence dans la région? Sputnik a interrogé des experts sur les perspectives de mise en place d’une telle troïka régionale.
Un morceau de choix
Avec l’arrivée des talibans* au pouvoir en Afghanistan, l’aéroport international de Kaboul est paralysé. Les nouvelles autorités sont incapables de le reconstruire ou de réglementer ses activités. C’est pourquoi une aide extérieure est plus que jamais nécessaire pour rendre l’aéroport opérationnel.
Fin novembre, les EAU avaient déjà exprimé leur volonté de s’impliquer dans la gestion de l’aéroport de Kaboul. Et à l’issue des pourparlers des ministres des Affaires étrangères du Qatar et de la Turquie le 6 décembre, les deux pays ont déclaré qu’ils collaboreraient pour aider les talibans* à reconstruire et à gérer l’aéroport.
La question qui se pose est la suivante: s’agit-il d’une course à l’influence en Afghanistan ou d’un réel effort conjoint? Après tout, une influence directe sur le fonctionnement de l’aéroport de la capitale afghane renforcerait considérablement celle du gouvernement taliban*.
Comme le souligne Gökhan Ereli, coordinateur des recherches sur le Golfe au Centre d’études du Moyen-Orient, les EAU tentent plutôt de rivaliser avec le Qatar et la Turquie à Kaboul.
"Actuellement, nous constatons que les EAU prennent des initiatives concernant l’aéroport de Kaboul, parallèlement au Qatar et à la Turquie. Du moins à ce stade, on ne voit aucune évolution qui indiquerait que la Turquie, le Qatar et les Émirats arabes unis travailleront ensemble à l’avenir. Mais pour le Qatar et les EAU, qui ont une politique étrangère active, cette situation offre une opportunité certaine", expose l’expert turc.
Pour sa part, Mukhtar Ghoubbashy, vice-président du Centre arabe d’études politiques et stratégiques basé au Caire, estime que Doha et Abu Dhabi entrent en Afghanistan par des frontières différentes et qu’ils sont pour l’instant plus rivaux qu’alliés.
"Le Qatar a toujours été un médiateur clé entre les États-Unis et les talibans*. C’est l’une de ses politiques régionales indépendantes, où il a osé aller à l’encontre des intérêts de Riyad et de Téhéran. Cependant, l’entrée des EAU dans le dossier afghan ne peut être comparée à celle du Qatar ou même de la Turquie. C’est une tout autre histoire. Les Émirats entrent en Afghanistan étape par étape et principalement sur le plan financier. Quant au Qatar et à la Turquie, ils tentent d’influencer toutes les sphères d’activité du gouvernement taliban à la fois", explique l’expert égyptien.
Selon lui, le Qatar et la Turquie agissent de concert en Afghanistan, tandis que les EAU sont davantage tournés vers l’Arabie saoudite, ce qui explique pourquoi ils travaillent de façon indépendante à Kaboul.
Un triumvirat?
Cependant, il ne s’agit pas tant du cas afghan. Outre l’apparition des trois pays au même moment en Afghanistan, il existe un autre point commun. Aussi bien le Qatar que les EAU ont soutenu financièrement la Turquie, lorsque la livre turque s’est effondrée fin novembre.
Le 24 octobre, Mohamed Hassan Al Suwaidi, président du conseil du fonds d’investissement public des EAU, a annoncé un investissement de 10 milliards de dollars en Turquie. Lors des pourparlers qui se sont tenus le 6 décembre, les ministres des Affaires étrangères du Qatar et de la Turquie ont également convenu de réaliser des investissements pour soutenir l’économie du Qatar sans toutefois en divulguer le montant. Au cours de ces mêmes pourparlers, les responsables des banques centrales du Qatar et de la Turquie ont convenu de développer les relations financières et bancaires entre les deux pays.
À la différence de la géopolitique, les flux financiers en disent un peu plus sur les changements en cours. Comme l’a fait remarquer Gökhan Ereli, les pays jouent effectivement dans le même camp sur cette question.
"Aujourd’hui, il y a un processus de normalisation qui est en cours entre les EAU, le Qatar et la Turquie. Il y a un rapprochement entre la Turquie et les EAU, d’une part, et entre le Qatar et les EAU, d’autre part. Nous ne devons pas oublier qu’il n’est pas facile de rétablir la confiance dans les relations internationales. C’est pourquoi, dans les deux cas, ce ne sont pas l’économie et le commerce qui priment, mais les questions politiques. En d’autres termes, on discute des mesures qui peuvent aider à construire des relations dans les domaines militaires et politiques. Ces mesures peuvent accroître le niveau de confiance. Nous assistons à une période d’amélioration des relations entre la Turquie et les pays du Golfe. Par conséquent, nous pouvons nous attendre à ce que les relations se développent à l’avenir", poursuit l’expert turc.
Toutefois, Mukhtar Ghoubbashy juge que le Qatar et les EAU ne sont pas encore prêts pour une alliance. Doha n’a pas encore oublié le blocus régional dans le Golfe, auquel les EAU ont entre autres participé.
"Pendant le boycott régional du Qatar par les autres monarchies du Golfe en 2017, Doha est devenu très proche d’Ankara. La Turquie s’est avérée être presque le seul et principal partenaire stratégique des Qataris. Ensuite, c’est l’Iran qui est intervenu en fournissant une aide alimentaire et une aide à l’investissement au Qatar boycotté. Doha n’a aucune raison de limiter ou de refroidir ses relations avec ces deux États au profit de ses voisins du Golfe récemment réconciliés. Les Émirats sont trop étroitement liés à l’Arabie saoudite. Et le Qatar regarde l’un et l’autre avec beaucoup d’appréhension. Il faut comprendre que Doha n’est pas encore prêt à des alliances étroites avec Abu Dhabi", précise le politologue égyptien.
Qui s’y opposerait?
Mais une telle tendance au rapprochement risque de ne pas plaire aux principaux acteurs et rivaux du golfe Persique, à savoir l’Arabie saoudite et l’Iran, suppose Mukhtar Ghoubbashy. Et d’ajouter:
"L’Arabie saoudite ne se réjouira certainement pas du rapprochement entre les EAU et la Turquie. Par ailleurs, le renforcement de la position du Qatar dans la région n’est pas à son avantage d’un point de vue stratégique. L’Iran sera également mécontent de ce rapprochement, car elle considère les Turcs comme un concurrent au titre de leader régional, et n’appréciera pas l’élargissement des liens d’Ankara avec le Golfe."
*Organisation sous sanctions de l'Onu pour activités terroristes
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