Uber, Deliveroo, plateformes numériques: pour Macron, une occasion "de casser le salariat"?

© Sputnik . Oxana Bobrovitch Manifestation des livreurs de Deliveroo
Manifestation des livreurs de Deliveroo - Sputnik Afrique, 1920, 10.12.2021
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Un grand pas pour les travailleurs des plateformes numériques: Bruxelles propose d’introduire la présomption de salariat pour cadrer leur statut. Une belle victoire pour ces derniers, mais un camouflet pour Macron, estime l’eurodéputée Leïla Chaibi.
Les chauffeurs VTC qui travaillent pour Uber ou Bolt, les coursiers qui pédalent pour Deliveroo sont-ils indépendants ou salariés? Bien souvent, ce sont les juges qui doivent apporter une réponse à cette question dans les tribunaux aux quatre coins de l’Europe. Pourtant, sur 28 millions de travailleurs qui fournissent des services à près de 500 plateformes numériques, 5,5 millions d’entre eux sont à tort qualifiés d’indépendants, selon les estimations de la Commission européenne.
Afin d’y voir plus clair, Bruxelles a présenté le 9 décembre un projet de directive les concernant. Dans ce texte, la Commission européenne propose d’accroître la transparence sur les algorithmes, mais surtout d’introduire la présomption de salariat pour ces travailleurs.

Présomption de salariat, travailleurs mieux protégés

Pour ce faire, elle a listé cinq critères pour déterminer s’ils doivent être considérés ou non comme salariés. Parmi ceux-ci: la plateforme fixe-t-elle les niveaux de rémunération, supervise-t-elle à distance les prestations, permet-elle aux employés de choisir leurs horaires ou de refuser des missions, impose-t-elle le port d’uniforme, ou encore interdit-elle de travailler pour d’autres entreprises? Dans le cas où au moins deux critères sont remplis, la plateforme sera de fait "présumée" employeur et devra donc respecter les droits accordés aux salariés dans le pays concerné.
"Si elles veulent des indépendants, les plateformes seront obligées de retirer les éléments de subordination, donc jouer réellement et uniquement un rôle d’intermédiaire", se réjouit au micro de Sputnik Leïla Chaibi, député européenne (GUE/NGL, gauche).
Ces nouvelles règles devraient permettre à ces livreurs et chauffeurs de "jouir des droits du travail" et de bénéficier "des prestations sociales auxquelles elles ont droit", a souligné la Commission européenne.

"Quand on est patron, on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. À savoir, avoir des gens sous vos ordres, mais sans appliquer le droit du travail. Alors que les travailleurs sont tous indépendants, mais n’ont aucun des avantages conférés par ce statut", résume l’eurodéputée.

Une belle avancée donc. Pourtant, cette perspective pourrait rencontrer une forte résistance, concède Leïla Chaibi: "Les plateformes vont tout faire pour trouver la parade afin de ne pas appliquer la directive, car elles ne s’attendaient pas du tout à ce qu’il y ait cette présomption de salariat."

Le business model des plateformes en danger?

Pour les entreprises concernées, cette possible requalification des contrats devrait leur coûter 480 millions d’euros. Une somme qui ne devrait néanmoins pas impacter leur fonctionnement, estime Leïla Chaibi: "Elles sont en train d’expliquer que c’est incompatible avec leur business model, qu’elles vont quitter l’Europe, mais on sait que c’est simplement du chantage". D’autant plus que les revenus annuels des plateformes ont explosé, passant de trois à 14 milliards d’euros entre 2006 et 2020.

"Des plateformes comme Just Eat fonctionnent avec des salariés ou les plateformes de livraison de course à domicile qui se développent, à l’image de Gorrillas. C’est devenu un argument marketing d’avoir des salariés", détaille l’eurodéputée.

Cependant, rien n’est joué, car le projet de directive doit être adopté par les États et les eurodéputés. Les plateformes pourraient d’ailleurs bénéficier d’un soutien de poids en la personne d’Emmanuel Macron. "C’est leur plus grand porte-parole", tacle Leïla Chaibi. Elle en veut pour preuve qu’au Parlement européen, "les plus grands adversaires étaient les macronistes du groupe Renew Europe".

Macron, VRP d’Uber et Deliveroo?

Le gouvernement a en effet toujours été hostile à la présomption de salariat. Élisabeth Borne expliquait en septembre dernier, durant la mission d’information "ubérisation de la société", que "nous ne voulons pas nous prononcer a priori sur le statut des travailleurs des plateformes". Selon elle, "les protections du cadre du salariat sont vécues comme des contraintes pour les chauffeurs VTC", par exemple. En même temps, la ministre du Travail avait souligné que le gouvernement souhaitait "s’assurer qu’ils puissent établir un meilleur rapport de forces avec les plateformes pour négocier leurs rémunérations et leurs conditions de travail".
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Un positionnement que Leïla Chaibi explique par des raisons idéologiques:

"Macron a vu une opportunité de casser le salariat, parce que si demain vous légalisez la possibilité d’avoir des gens sous vos ordres sans assumer la contrepartie qui est le droit du travail, ça peut être appliqué à plein d’autres secteurs de l’économie, bien au-delà des seuls ubérisés aujourd’hui", fait-elle valoir.

Reste que la députée européenne craint qu’Emmanuel Macron profite de sa présidence du Conseil de l’Union européenne pour reléguer au second plan la question des droits des travailleurs. Ainsi, elle observe que "cela fait des mois qu’il expliquait vouloir mettre le paquet sur le social, à l’image de son discours lors du sommet social européen de Porto. Comme il y a une élection présidentielle et qu’il a fait de la casse sociale pendant cinq ans, il cherche à redorer son image sur le dos de l’Europe".

"Sauf que cette directive ne va pas dans son sens, donc il n’a pas dit un mot sur les travailleurs des plateformes. Il a retiré ce dossier des priorités de la présidence française parce qu’il sait qu’il s’est fait avoir là-dessus et qu’il ne peut plus le revendiquer", conclut Leïla Chaibi.

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