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L’"Airbus des paiements" évitera-t-il un crash?
L’"Airbus des paiements" évitera-t-il un crash?
Sputnik Afrique
Si sur le papier la création d’un standard de paiement européen est actée, dans les faits, les désaccords subsistent, notamment sur le poids des différents... 02.12.2021, Sputnik Afrique
2021-12-02T20:15+0100
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L’"Airbus des paiements" n’a pas pris son envol. Dans un mélodrame dont les Européens ont le secret, les différents partenaires du projet baptisé European Payment Initiative (EPI) se sont certes entendus sur le principe de son lancement mais pas sur le poids que chacun y jouera. Attendu pour le 29 novembre, l’accord définitif pour la création d’une "target company" devrait intervenir d’ici à la fin de l’année, relate La Tribune qui suit le dossier de près.Visa et Mastercard: piliers de l’extraterritorialité des États-UnisCe contretemps tendrait à faire sourire si les enjeux n’étaient pas importants: rendre enfin les Européens souverains en matière de systèmes de paiement en créant une alternative communautaire à l’oligopole formé par Visa et Mastercard. En effet, au même titre que l’usage du dollar, ces cartes bancaires constituent un vecteur de l’extraterritorialité du droit américain, comme l’apprenaient à leurs dépens les Européens en 2018. À l’époque, Donald Trump déchirait l’accord sur le nucléaire iranien et plaçait unilatéralement la République islamique sous embargo.Si une banque européenne avait outrepassé cet interdit, elle aurait certes perdu l’accès au marché américain et se serait exposée aux foudres des agences fédérales outre-Atlantique. Mais Visa et Mastercard auraient également coupé les ponts avec elle, privant tous ses clients européens de cartes bleues. Face aux menaces de Donald Trump, les Européens en ont alors été réduits à recourir à un moyen datant du néolithique pour conserver un semblant de lien commercial avec l’Iran: le troc.L’auteur de Misère de la Finance (Éd. L’harmattan, 2014) rappelle que "cela a été un choc pour les États européens parce qu’ils se sont aperçus qu’à tout moment, les États-Unis pouvaient leur retirer leurs moyens de paiement".Ce docteur en sciences de gestion et professeur à la Paris School of Business évoque le cas de la Russie, en mars 2014, où dans la foulée de la crise de Crimée, Visa et Mastercard avaient coupé sans préavis leurs services aux clients des banques russes. En réponse à cette sanction, la Russie a développé, grâce à ses établissements financiers, son propre réseau de cartes de paiement: Mir. Une solution de souveraineté pour laquelle la Chine avait opté une décennie plus tôt avec UnionPay. Lancé en 2002, ce réseau de cartes de paiement chinois est aujourd’hui accepté dans 141 pays. Sont venues s’ajouter, à l’heure d’Internet, des solutions dématérialisées telles que WeChat Pay et Alipay. Des équivalents de Paypal ou encore d’Applepay outre-Atlantique et qui s’imposent sur le Vieux continent.Cartes de paiement: les Européens à la traîneCar côté européen, l’électroencéphalogramme est plat. Un comble pour une zone économique qui se revendique comme la deuxième plus importante au monde ou encore du simple fait que c’est en France que la carte à puce fut inventée. Jusqu’au choc du mandat Trump, développer un système propre de paiement "n’a pas été perçu comme une priorité dans la mesure où les acteurs bancaires privés européens sont assez à l’aise avec l’idée d’utiliser Mastercard et Visa", relate notre intervenant.Pour expliquer ce "temps perdu", Josse Roussel pointe également du doigt la "complexité de la structure européenne" et la "fragmentation" de l’industrie bancaire à travers le Vieux continent. En effet, l’harmonisation n’est pas encore à l’ordre du jour parmi la jungle de systèmes bancaires qui coexistent au sein l’UE. En somme, jusqu’à présent, chacun innove de son côté et pas à la même vitesse.C’est d’ailleurs là que résiderait une partie du problème, selon La Tribune. Deuxième plus gros bataillon de banques derrière les françaises, les banques espagnoles ont investi dans leur propre solution nationale et sont donc réticentes à l’idée de tout remettre à plat au profit d’un nouveau système paneuropéen. Si, comme pour tout "Airbus" qui se respecte, l’initiative de ce projet lancé en juillet 2020 est française, les banques sont aujourd’hui issues de sept États membres: France, Belgique, Pays-Bas, Espagne, Finlande, Pologne et Allemagne. Bien qu’il s’agisse là d’une bonne base (les banques françaises et néerlandaises étant de loin les plus grosses d’Europe), pas moins de 20 États membres n’ont pas répondu à l’appel.Face à ce manque d’entrain de leurs partenaires, les ministres des Finances des sept pays dont sont issus les acteurs du projet cosignaient une lettre les enjoignant à les rejoindre. Une situation dont se désolait dans une autre mesure, début octobre, Cédric O. Le ministre de la Transition numérique regrettait alors la disproportion entre la mobilisation "exemplaire" des acteurs tricolores et celle a minima… des pays partenaires.Souveraineté: le risque d’un double jeu allemand?Dans cette aventure européenne, dont le réel départ va être donné avec la création de la fameuse "target company", le poids de chacun dans celle-ci sera déterminant pour la réussite du projet, insiste Josse Roussel. En clair, ce rendez-vous ne doit pas être manqué par la France, qui pourrait reprendre un rôle central dans la construction européenne. Un processus où l’Hexagone s’est vu cornérisé par l’Allemagne. Or, sur cette initiative, le rôle de Berlin, qui ne dispose pas des établissements financiers les plus puissants, est pour l’heure… central. C’est en effet un allemand qui a récupéré le pilotage du projet.Dans la mesure où ce dernier vise à corriger une "fragilité géostratégique" des Européens face aux États-Unis et que l’Allemagne est considérée par les Américains comme leur principal allié sur le Vieux continent, la partie française devrait s’assurer que leur voisin ne joue pas un rôle "ambigu" dans l’affaire, estime notre intervenant. "Les Américains seraient sans doute très rassurés de voir le futur système des paiements européen contrôlé par l’Allemagne", tacle-t-il.Josse Roussel revient notamment sur le cas du nucléaire où, depuis sa décision de se retirer de l’atome, Berlin fait pression pour que celui-ci soit banni à l’échelon des 27. S’ajoutent à cela tous les dossiers, houleux, de coopération militaire. Systèmes de combat aérien et terrestre du futur, drone MALE, Tigre… l’Allemagne avance continuellement ses pions au détriment d’une France qui prêche le rapprochement franco-allemand au nom de l’idéal européen. "Il y a une forme de cécité, de naïveté, par rapport à ce rôle de l’Allemagne dans la construction européenne", conclu notre intervenant.
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russie, allemagne, chine, nucléaire, embargo, paypal, mastercard, carte de crédit, sanctions économiques, visa, inc., mir (carte bancaire), système de combat aérien du futur (scaf), sanctions contre l'iran, extraterritorialité, main ground combat system (mgsc, char) , european payment initiative, économie
L’"
Airbus des paiements"
n’a pas pris son envol. Dans un mélodrame dont les Européens ont le secret, les différents partenaires du projet baptisé European Payment Initiative (EPI) se sont certes entendus sur le principe de son lancement mais pas sur le poids que chacun y jouera. Attendu pour le 29 novembre, l’accord définitif pour la création d’une "target company" devrait intervenir d’ici à la fin de l’année, relate
La Tribune qui suit le dossier de près.
Visa et Mastercard: piliers de l’extraterritorialité des États-Unis
Ce contretemps tendrait à faire sourire si les enjeux n’étaient pas importants: rendre enfin les Européens souverains en matière de systèmes de paiement en créant une alternative communautaire à l’oligopole formé par Visa et Mastercard. En effet, au même titre que l’usage du dollar, ces cartes bancaires constituent un vecteur de l’extraterritorialité du droit américain, comme l’apprenaient à leurs dépens les Européens en 2018. À l’époque, Donald Trump déchirait l’accord sur le nucléaire iranien et plaçait unilatéralement la République islamique sous embargo.
Si une banque européenne avait outrepassé cet interdit, elle aurait certes perdu l’accès au marché américain et se serait exposée aux foudres des agences fédérales outre-Atlantique. Mais Visa et Mastercard auraient également coupé les ponts avec elle, privant tous ses clients européens de cartes bleues. Face aux menaces de Donald Trump, les Européens en ont alors été réduits à recourir à un moyen
datant du néolithique pour conserver un semblant de lien commercial avec l’Iran: le troc.
"Pour garantir que cet embargo ait une portée extraterritoriale, on utilise ce moyen de pression, des systèmes de paiement, pour obtenir la soumission des Européens", insiste auprès de Sputnik Josse Roussel.
L’auteur de Misère de la Finance (Éd. L’harmattan, 2014) rappelle que "cela a été un choc pour les États européens parce qu’ils se sont aperçus qu’à tout moment, les États-Unis pouvaient leur retirer leurs moyens de paiement".
Ce docteur en sciences de gestion et professeur à la Paris School of Business évoque le cas de la Russie, en mars 2014, où dans la foulée de la crise de Crimée, Visa et Mastercard avaient
coupé sans préavis leurs services aux clients des banques russes. En réponse à cette sanction, la Russie a développé, grâce à ses établissements financiers, son propre réseau de cartes de paiement: Mir. Une solution de souveraineté pour laquelle la Chine avait opté une décennie plus tôt avec UnionPay. Lancé en 2002, ce réseau de cartes de paiement chinois est aujourd’hui accepté dans 141 pays. Sont venues s’ajouter, à l’heure d’Internet, des solutions dématérialisées telles que WeChat Pay et Alipay. Des équivalents de Paypal ou encore d’Applepay outre-Atlantique et qui s’imposent sur le Vieux continent.
Cartes de paiement: les Européens à la traîne
Car côté européen, l’électroencéphalogramme est plat. Un comble pour une zone économique qui se revendique comme la deuxième plus importante au monde ou encore du simple fait que c’est en France que la carte à puce fut inventée. Jusqu’au choc du mandat Trump, développer un système propre de paiement "n’a pas été perçu comme une priorité dans la mesure où les acteurs bancaires privés européens sont assez à l’aise avec l’idée d’utiliser Mastercard et Visa", relate notre intervenant.
"Il n’y a pas eu de sentiment d’urgence et de nécessité pour la construction d’une Europe des moyens de paiement."
Pour expliquer ce "temps perdu", Josse Roussel pointe également du doigt la "complexité de la structure européenne" et la "fragmentation" de l’industrie bancaire à travers le Vieux continent. En effet, l’harmonisation n’est pas encore à l’ordre du jour parmi la jungle de systèmes bancaires qui coexistent au sein l’UE. En somme, jusqu’à présent, chacun innove de son côté et pas à la même vitesse.
C’est d’ailleurs là que résiderait une partie du problème, selon La Tribune. Deuxième plus gros bataillon de banques derrière les françaises, les banques espagnoles ont investi dans leur propre solution nationale et sont donc réticentes à l’idée de tout remettre à plat au profit d’un nouveau système paneuropéen. Si, comme pour tout "Airbus" qui se respecte, l’initiative de ce projet lancé en juillet 2020 est française, les banques sont aujourd’hui issues de sept États membres: France, Belgique, Pays-Bas, Espagne, Finlande, Pologne et Allemagne. Bien qu’il s’agisse là d’une bonne base (les banques françaises et néerlandaises étant de loin les plus grosses d’Europe), pas moins de 20 États membres n’ont pas répondu à l’appel.
Face à ce manque d’entrain de leurs partenaires, les ministres des Finances des sept pays dont sont issus les acteurs du projet cosignaient une lettre
les enjoignant à les rejoindre. Une situation dont se désolait dans une autre mesure, début octobre, Cédric O. Le ministre de la Transition numérique regrettait alors la disproportion entre la
mobilisation "exemplaire" des acteurs tricolores et celle a minima… des pays partenaires.
Souveraineté: le risque d’un double jeu allemand?
Dans cette aventure européenne, dont le réel départ va être donné avec la création de la fameuse "target company", le poids de chacun dans celle-ci sera déterminant pour la réussite du projet, insiste Josse Roussel. En clair, ce rendez-vous ne doit pas être manqué par la France, qui pourrait reprendre un rôle central dans la construction européenne. Un processus où l’Hexagone s’est vu cornérisé par l’Allemagne. Or, sur cette initiative, le rôle de Berlin, qui ne dispose pas des établissements financiers les plus puissants, est pour l’heure… central. C’est en effet un allemand qui a récupéré le pilotage du projet.
Dans la mesure où ce dernier vise à corriger une "fragilité géostratégique" des Européens face aux États-Unis et que l’Allemagne est considérée par les Américains comme leur principal allié sur le Vieux continent, la partie française devrait s’assurer que leur voisin ne joue pas un rôle "ambigu" dans l’affaire, estime notre intervenant. "Les Américains seraient sans doute très rassurés de voir le futur système des paiements européen contrôlé par l’Allemagne", tacle-t-il.
Visa et Mastercard: piliers de l’extraterritorialité des États-UnisCartes de paiement: les Européens à la traîne"On touche à un tabou: est-ce que véritablement l’Allemagne est notre allié dans le projet de construction européenne ou est-ce simplement une nation qui cherche à asseoir sa domination sur l’Europe en utilisant son levier d’influence américain? C’est devenu un acte de foi, un credo de nos élites, qu’on ne peut pas remettre en question."
Josse Roussel revient notamment sur le cas du nucléaire où, depuis sa décision de se retirer de l’atome, Berlin fait pression pour que celui-ci soit banni à l’échelon des 27. S’ajoutent à cela tous les dossiers, houleux, de coopération militaire. Systèmes de combat aérien et terrestre du futur, drone MALE, Tigre… l’Allemagne avance continuellement ses pions au détriment d’une France qui prêche le rapprochement franco-allemand au nom de l’idéal européen. "Il y a une forme de cécité, de naïveté, par rapport à ce rôle de l’Allemagne dans la construction européenne", conclu notre intervenant.